Où est passé l'enfer ?
Il y a belle lurette, deux siècles environ, que ce lieu redouté ne nous attend plus derrière le voile de la mort !
Ayant pris les choses en main, vraisemblablement lassé de ses prédicateurs réputés sadiques, décrédibilisés, il est désormais installé à demeure, ici-bas ! ...
L'enfer, c'est les autres !
Jean-Paul Sartre, adulé dans les années 70, lui avait trouvé cet intriguant recyclage, avant de disparaître à son tour au royaume des ombres ! ...
L'enfer est-il nomade ?
Quelque part entre Homère et Socrate, les anciens grecs avaient observé à leur dépens une étrange migration ...
Vraisemblablement lassé de la compagnie des morts, de ces ombres fugitives, fumées inconsistantes, il s'installa soudain à la lumière du soleil, prenant ses aises dans la conscience trompeuse de ceux qui se croyaient vivants !
C'est mourir que de vivre, et vivre que de mourir !
En peu de mots, au Xème siècle, Mansur Al-Allaj résuma ce terrible sentiment qui s'était emparé des Grecs à partir du VIIème siècle avant J.C, emportés par un temps désormais linéaire, destructeur, observateurs impuissants de l'impermanence délétère, disait alors aux siens, comme en écho, Gautama dit le Bouddha !
Il semblerait donc que le véritable lieu de l'enfer n'est pas ici ou là, là-haut ou ici-bas, ou plus bas encore, mais se situe dans nos représentations, se déplaçant au gré de leurs évolutions ! ...
L'information en continu, gourmande de mauvaises nouvelles, a remplacé les prédicateurs, qui n'avaient eux, guère que le dimanche matin pour déverser les dernières trouvailles d'un sadisme jamais à court d'idées ...
Le temps d'un oubli salvateur, espérons ne pas avoir à le subir à notre tour, car il frappe désormais indistinctement les bons et les méchants ! ...
En conclusion provisoire, nous pouvons dire que si ce transfert de l'enfer ne fait pas nos affaires, du moins correspond-il à l'opinion courante que rien ne saurait se passer ailleurs qu'ici-bas ...
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Ceux qui néanmoins persistent dans cette idée "exotique" que la mort ne signifie pas le retour au néant, resteront attentifs à ce qui va suivre ...
A propos de l'Hadès, les Grecs se posaient cette question fondamentale qui, curieusement, ne semble plus nous effleurer : qu'y devenait la conscience ?
Et si, précisément, ils nommaient "royaume des ombres", cet endroit "infernal", c'est en raison de l'oubli qui en gardait l'accès, imposant cette perte de conscience à ceux qui avaient quitté la lumière du soleil ...
La conscience, tout est là !
Que devient cette indéfinissable dignité dont on ne sait plus quand ni pourquoi elle nous fut accordée, une fois délestés de notre corps ?
Mais plus encore, qu'en serait-il de notre immortalité sans elle ?
Voilà des questions difficiles qu'auraient dû nous poser ceux qui étaient "normalement" chargés d'initier au mystère du Golgotha les "mendiants en esprit" que nous étions devenus !
Ceux qui ont déjà poussé La Porte des Lions savent que ce manque abyssal vient du rejet plus de deux fois millénaire de la sagesse des mythes, exécration que nous devons en partie à Platon, très ambivalent en ce domaine, mais surtout aux "kmers rouges" de l'Eglise romaine ...
"Mieux vaut être mendiant à la surface de la Terre que roi au royaume des ombres !"
Comment mieux exprimer ce que ressentaient les anciens Grecs, quelque mille ans avant le mystère du Golgotha ?
Qui, mieux qu'un mort, serait qualifié pour établir un tel constat ?
En l'occurrence, il s'agit d'un aveu fait par Achille, le défunt héros de la Guerre de Troie, à Ulysse, de passage aux enfers !
Conversation divulguée quelques siècles plus tard par Homère, le voyant aveugle, protégé de Mnémosyne, Déesse personnifiant la mémoire et mère des muses !
Cet aveu d'Achille qui, notons-le, se remet en question pour la première fois, indiquerait-il que le héros serait sur la voie d'une intériorisation ? ...
Cette mutation du psychisme, désormais tourmenté et qui nous annonce, fit l'objet de l'enquête menée par la tragédie grecque au Vème siècle !
Flash back !
Pourquoi Achille se présente-t-il comme un "roi au royaume des ombres" ?
Dans l'Hadès, les héros morts s'étant montrés dignes des actes dictés par les dieux, avaient accès à l'île des bienheureux, espace épargné par l'implacable oubli (Lethé), cet ennemi mortel de la conscience ...
Pourtant Achille, terriblement amer semble-t-il, se plaint de son sort !...
Comment pourrions-nous comprendre actuellement cette plainte post mortem, autrement qu'en nous imaginant, ici-bas, en pleine possession de nos moyens, mais soudainement, brutalement, exclusivement entouré d'êtres végétatifs ?
L'autre leçon de cette confidence de notre héros contrit est, qu'à ce moment de l'histoire psychique des hommes, la nostalgie de la vie ici-bas était telle que le retour en était ardemment désiré, quel qu'en soit le prix à payer !
Remarquons a contrario que, quelques siècles plus tard, le Bouddha conseilla vivement à ses contemporains d'éradiquer tout désir, afin de ne jamais plus revenir dans ce monde de souffrance et d'ignorance ! ...
Un peu plus tard, voici Platon, le dernier des orientaux qui, perclus de réminiscences, éperdu de vérité, dévalorise le monde d'ici-bas, chante celui intelligible dont nous ne savons plus être venus ! ...
Qui a jamais observé ce va-et-vient qui emporta nos évolutions psychiques, de-ci de-là, pendant tous ces siècles oubliés ?
"Heureux les mendiants en esprit !" (Matthieu 5:3)
Près de mille ans plus tard, la réponse est proclamée, énigmatique, ambivalente, un brin provocatrice, au moins pour nous qui ne la comprenons plus, son sens ayant été détourné pendant tous ces derniers siècles !
Les neuneus ne sont pas ceux que l'on croit, et ceux qui virent là un angle d'attaque providentiel pour leur petite besogne, devraient méditer sur cette consolation adressée à une humanité dont le monde spirituel s'était progressivement éloigné depuis près d'un millénaire !
Car ici, la question qui se pose est : "Pourquoi cette entité que l'on appelle le Christ, ou le Logos, ou bien encore le Verbe, se serait incarnée à ce moment précis de l'évolution psychique de l'Homme ?
Le temps est venu d'exonérer Adam de sa faute, de chasser cette morale au service des culpabilisateurs accrocs au pouvoir, à moins que ce ne soit l'inverse, pour contextualiser cette mystérieuse venue il y a deux mille ans !
Comme il en est du bonzaï, la représentation étriquée que nous avons de l'enfer, nous accompagne au gré des déplacements de nos représentations !
La suite dans les tout prochains jours !