Nietzsche, entre fulgurances et effondrements !

Pour parler de manière moins grandiloquente de celui qui squatte incognito nos représentations, sans que quiconque ne songe à l'expulser - mais il est vrai que nous n'en sommes pas propriétaires ! - je dirais que sa pensée évoque pour moi le parcours erratique d'une bille de flipper ! ...

Ne s'élève-t-elle pas soudain dans la bonne direction, fière, provocatrice, encouragée en cet effort par notre regard bienveillant, pour soudain bifurquer, échapper à notre volonté d'aboutir, abdiquant la sienne devant la toute puissante gravité de la machine inclinée, retombant dans ce néant qui pour elle, signifie l'impossibilité de se mouvoir !

Fin de partie !

Eh bien pas tout à fait, car l'homme avait le sens de la formule, et quelques pièces à remettre dans le biniou !

Pour aller à l'essentiel, qui s'en soucierait s'il n'avait décrété "La mort de Dieu" ?

Pour ce qui concerne le chantier de démolition de la religion, l'entreprise Spinoza avait déjà fait le travail, il en avait sans doute déduit qu'il fallait taper plus fort, sur les chrétiens eux-mêmes, et pourquoi pas à la tête, sur le Christ himself, pour se raviser sur le tard, décrétant que "le crucifié était le seul vrai chrétien !" ...

Cela me rappelle l'impertinent bon sens de Voltaire sur son lit de mort, répondant au curé qui le priait instamment de renoncer au diable : "Ce n'est pas le moment de se fâcher avec des gens importants ! " ...

Sans prétendre être exhaustif, examinons quelques unes de ces fulgurances qui finalement firent pschitt !

L'éternel retour !

Voilà ce qui revient souvent lorsque l'on veut distinguer cette pensée unique !

Alors, les aficionados affairés se mirent en tête de trouver en quel spot il avait bien pu pêcher cet étrange poisson ...

Etrange car il s'agit non pas de cycles qui renouvellent à un autre niveau ce qui fut détruit, mais du retour du même, un genre de cauchemar à petit budget qui renouvelle l'instant vécu, sans toucher au décor ni aux figurants !

Certains parmi les fébriles se sont égarés du coté d'Héraclite, il est vrai que l'obscur prophète du devenir, en avait égaré plus d'un, et pas des plus sots !...

Quitte à hurler avec les loups, à le priver donc de la paternité de cette vision, prélude à une expérience de pensée radicale quant à notre appétence pour la vie, j'irais plutôt voir du coté du bouddhisme quitte à me faire appeler Arthur ...

En effet, le retour systématique du même, c'est la négation du devenir, du progrès, de l'histoire, en un mot comme encens : "Ce qui était, ce qui est, sera toujours !"

Telle est la vision assumée de et par Gautama Bouddha, affranchi déclaré de l'histoire, d'une quelconque finalité, avant de conclure qu'il nous faut tout faire pour ne plus revenir dans ce monde de souffrance !

Au moins proposait-il alors une échappatoire, étiquetée "Nirvana", pour les siens, comme pour les futurs nouveaux consommateurs dépités, affamés, écoeurés souvent, venus des pays du soleil couchant ...

Mais notre Friedrich avait fermé à double tour la porte de cet ailleurs, de cet "autre monde" exécré, encombré sans doute par cette hargne à l'endroit de la religion de son père ...

Alors il lui fallait, tel un héros grec lancé dans le labyrinthe, combattre la bête qui ne lui laisserait aucun répit, l'hydre aux deux têtes, physique et psychique !

Quoi de mieux alors, de plus bravache, que de décrêter que c'est lui qui en avait décidé ainsi !

Amor fati !

Qui pourrait le juger, sûrement pas Celui qu'il chercha toute sa vie sous les décombres d'une Eglise qui avait trahi son discours !


Ecce homo !

Impérial, vraisemblablement sûr de son effet, après avoir martelé ces deux mots devenus sybillins, Pilate exhiba devant la foule un pauvre bougre, un corps de souffrance, martyrisé, anéanti, celui-là même qui, hier encore, radieux, inspiré, avait le don d'électriser une grande partie des accourus !

Celui dont Simon, l'intermittent de la clairvoyance, avait été le seul à proclamer, en comité restreint certes, qu'il était "le fils du Dieu vivant" !

Lequel, ainsi promu, s'était pour autant révélé incapable de se sauver des griffes du Sanhédrin !

"Ecce homo", c'est aussi le titre évocateur du dernier écrit de Nietzsche, où celui-ci va parler de lui-même, officiellement, car, tout bien considéré, il n'a fait que ça ! ...

Il faut reconnaître qu'il s'en est ouvert par la même occasion ! ...

S'est-il alors identifié à celui qu'il venait de réhabiliter dans "l'Antéchrist" : Le crucifié, victime d'un indigne châtiment, perclus de solitude, souffrant corps et âme, abominablement trahi par les siens, "seul vrai chrétien" à n'avoir jamais existé ?

Toujours est-il que, sans le savoir, à l'instar de l'entité dont il nia toujours l'existence, il ne tardera pas à abandonner à son tour son corps de souffrance, pour descendre aux enfers, ou bien devenir fou selon ce qu'il nous fut dit de plus récent ...

La modalité de sortie restant à votre libre appréciation, selon ce que vous pensez de la mystérieuse relation entre l'esprit, l'âme et le corps !

Si toutefois, bien entendu, vous n'avez pas encore accepté d'être réduit à un corps qui se délite, malgré tous vos efforts désormais dignes de Sisyphe, emportant en otage ce qui avait osé en émerger au fil de l'évolution ! ...


"Mieux vaut être mendiant à la surface de la Terre que roi au royaume des ombres !"

Il s'agit-là d'un aveu confié par Achille, le défunt héros de la Guerre de Troie, à Ulysse, de passage aux enfers !

Sans trop réfléchir, vous me rétorquerez : "Ce n'est-là qu'un mythe, et, qui plus est, qu'est-ce que cela pourrait bien nous dire de Nietzsche? "

Tout d'abord, après plus de deux mille ans de relégation, de mépris, vous venez spontanément d'en témoigner, il est désormais clairement établi, qu'entre le mythe et la "pensée positive" des premiers philosophes grecs, il n'y a pas rupture mais continuité, celle-ci s'effectuant à un autre niveau, celui de l'abstraction, entretemps devenue notre !

Nous saluerons prochainement sur le blog ce remarquable travail des chercheurs tels que Cornford, encore largement ignoré, qui eut le grandissime mérite de mettre fin à cette incroyable tache sur les origines de la pensée positive, de nous débarrasser enfin du si paradoxal "miracle grec" ... 

Entre le récit du "vécu" d'Achille, à nous transmis par Homère, et la philosophie de Nietzsche, la parenté est évidente, au mot près, si ce n'est que le royaume des ombres "n'existe" pas plus que cet "autre monde" de Platon puis des chrétiens, que notre Don Quichotte combattit toute sa vie, comme autant de moulins à vent !

Aux psychanalystes en herbe ou en jachère, j'adresse cette question : "N'avez-vous pas remarqué que, pour notre sujet aux obsessions, la vie s'est arrêtée à un certain moment de l'histoire, avant que ne survienne la décadence, la décomposition, annoncée, chantée, enfantée sans vergogne, par Socrate, le sinistre, le mort-vivant, le petit homme, l'homme double, ce suppôt d'Apollon ?" 

Pour Nietzsche le temps se serait alors arrêté !

La communion avec la nature, l'amour de la vie, de ses excès, de la fête, auraient soudain jetés leurs derniers feux ... exit Dionysos, est venu le temps de la morale qui vous fout le moral à zéro, est venu le temps de la suspicion à l'égard de notre écrin, de mère nature, des autres aussi, surtout des plus forts, et jusqu'à soi-même, jusqu'à son propre corps, de ce que l'on pense savoir, bref, quitte à risquer le claquage anachronique, est venu le temps de la shizophrénie !

L'homme des "raccourcis serviables" !

Quand bien même il y consacra sa vie entière, la polémique est un genre qui exige de ne pas s'arrêter à des détails, de ne pas s'embarrasser de la complexité du réel, de ne point tarder à désigner le bouc émissaire, surtout si celui-ci commençait à cristalliser un début de rejet ! 

Son nez le lui a dit, mieux que tout raisonnement : "après les présocratiques, ca pue la mort, la décomposition" ! (Ecce homo).

Voici donc ce que lui souffla son nez et dont il fit un discours !

"Sous la houlette de la clique des décadents, Socrate et Platon en tête de cortège, bientôt augmentée des porteurs affublés du goupillon et de tous les faibles accourus, serait venu le temps des mécontents, de l'accusation mortifère à tout faire, et surtout à tout défaire : la nature, la vie, la fête, le corps, les forts !... "

Le temps était venu du mépris, de la culpabilisation et de la morale ! ...

En réalité, rien ne s'est passé comme indiqué sur ce cahier à charge, quand bien même la conclusion contient une grande part de vérité !

Le silence assourdissant de mainstream sur cette discordance entre ce que l'on pouvait constater au XIXème siècle et la reconstitution fallacieuse des causes par notre polémiste, pourrait laisser penser que la recherche de la vérité n'est plus au goût du jour ! ...

A ceux qui oseraient, ô crime de lèse-majesté, vérifier les sources du péremptoire, mon devoir est de préciser qu'à bien observer cette période qui obsède tant Nietzsche, on peut conclure que non seulement il n'y a pas un avant et un après, mais il y a un pendant !

De quoi s'agit-il ?

Tandis que les philosophes ioniens s'affairaient à nettoyer la nature de toute présence divine, se posant, ainsi démunis, la question de ce qui pouvait bien mettre en mouvement cette merveilleuse mécanique, à l'autre bout de la Grande Grèce, en Italie du sud, on s'interrogeait sur la relation qui existait entre la pensée, mobile, affranchie de l'espace, du temps, et le corps, à l'évidence plus contraint ... 

Ce partenaire immatériel du corps, est devenu notre "âme", quant au moteur invisible de la nature, il fut célébré sous l'aspect du "noûs", déposé devant le tribunal de l'opinion par Anaxagore !

Au passage, on pourrait objecter à ce pourfendeur assidu de "l'autre monde", que ce que cherchaient les présocratiques chers à son coeur, derrière ce que la nature donne à voir, ce qui peut bien la mettre en route, c'est la définition même d'une autre réalité, et qui ne se déshabille pas devant le premier venu !

C'est donc la vision de Grande Grèce qui fit flores auprès de Socrate et Platon, avec un pas de coté de la part de ce dernier en direction du noûs, devenu aux yeux de ce géomètre le monde intelligible !      

La grande métamorphose dont vous et moi sommes issus, consista d'une part, à se passer résolument du récit mythique visant à expliquer le mystère du monde et de l'Homme, pour en faire une problématique, objet d'un débat, cérébralisant, libérateur, et d'autre part, à séparer les plans divin, de la nature et de l'Homme qui, jusqu'alors ne faisaient qu'un ! ...

De ce double découplage, du monde et du noûs, de l'âme et du corps, et par conséquent du libre et du contraint, est né dans les représentations, un certain recul par rapport au monde sensible !

Comment aurait-il pu en être autrement ?

C'était l'esprit du temps, mais celui-ci n'a qu'un temps ! ...

"Un bien qui s'attarde devient un mal", disaient les anciens Perses dont la morale n'aurait su s'affranchir de l'incontournable évolution !

Il n'était pas Perse, ni chrétien, mais le néo-platonicien Proclus en témoigne par sa réhabilitation de la nature, de la vie et du corps !

Ce qui vint à contretemps et que nous ne cessons de condamner sur La Porte des Lions, c'est l'exploitation honteuse de ce doute par l'Eglise romaine, afin de culpabiliser les ouailles, de les enfermer dans les rêts d'un pouvoir absolu ...

Finalement, Nietzsche n'a pas réussi à "tuer le père", dégainant rageusement sa haine des théologiens, puisque celui-ci, toujours bien vivant dans ses représentations, lui laissa accroire, de bonne foi, que le discours de l'Eglise avait quelque chose à voir avec le véritable christianisme ! ...

Epilogue  provisoire !

Au total, a-t-il confondu, volontairement ou involontairement, le véritable christianisme avec ce que l'Eglise en avait fait ?

Il est vrai que faire la part des choses aurait nécessité une longue étude, impliquant un ajournement, voire une remise en question de sa prophétie de l'inversion des valeurs ! ...    

Un dernier exemple pour la route !

Le dionysisme dont il se servit à sa guise, se développa primitivement auprès des exclus de la religion officielle comme des "affaires" de la cité : les femmes et les esclaves ...

Tout comme le tout premier christianisme !

Mais derrière les apparences, pour peu que l'on ne se laisse pas abuser par sa propre précipitation, se cache la complexité !

En effet,  si les orgies dionysiaques n'avaient d'autre but pour ces exclus que d'établir un rapport direct avec le divin, sans la cité, sans même le "moi", dissous dans le délire, de se faire "chevaucher" par les dieux lors de cavalcades débridées dans les bois et les champs, le christianisme, dans le même but révolutionnaire de se libérer des intermédiaires, proposait une toute autre approche !

C'est tout le sens de la prophétie faite par le futur crucifié à la Samaritaine, où il est question d'une future relation directe avec le divin, non plus sur la montagne ou dans le temple, mais en son for intérieure, dans la paix du coeur, en toute conscience, en esprit !   

Cette différence, cette rebutante complexité pour qui est pressé d'en découdre, tout à la fois résulte de, et engendre l'évolution psychique !           .

   






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