Volonté de puissance et ontogénèse ! ...
Les deux ont au moins ceci en commun d'avoir été observées et théorisées dans un mouchoir de poche temporel !
Le premier concept ayant toutefois été formulé quelques dizaines d'années avant la mise en évidence du mystérieux déploiement de notre vie in utero ! ...
Mais, comme son géniteur en avait accouché sur les décombres d'une civilisation honnie dans des cercles toujours plus larges et plus aériens, la nouvelle révélation s'ébruita rapidement : "ce qui caractérise le vivant, c'est la volonté de puissance !"
Et si l'on ajoute que, pour cet homme pressé, le christianisme, cet otage réduit sans autre analyse à l'Eglise félonne, fit tant et si bien que les plus faibles finirent par imposer leur loi scélérate aux plus forts, alors on jette les fondations d'une nouvelle église qui elle, ne va pas s'embarrasser bien longtemps de cette morale "humaine trop humaine", redonnant manu militari sa place au mieux doté par la nature !
Il y avait bien Freud, le "cadet" de ses soucis, qui aurait pu lui expliquer ce qu'est une projection, qu'il avait trouvé son concept en observant l'Eglise, incarnation ostentatoire de la volonté de puissance, qu'il s'était contenté de remettre au goût du jour en s'appuyant non plus sur les faibles mais sur les forts, sur cette volonté de persévérer dans l'être par des moyens non pernicieux ! ..
Friedéric Nietzsche aurait-il eu cette représentation du monde, si, libéré de ses deux ventriloques qu'étaient Spinoza et Schopenhauer, il avait eu connaissance de cet enfant sublime de la nature et du cosmos que nous désignons d'un mot, froid, abscons, réservé à qui de droit : "Ontogénèse" ?
Il y avait bien cette curieuse organisation des abeilles, exempte de la morale des ouvrières, mais on était déjà dans le social, cette perversion, cet aménagement de la volonté de puissance primordiale !...
Bref, pour ceux qui font l'opinion en ce début de XXème siècle, la loi fondatrice du vivant, c'est la volonté de puissance !
Avec le procès de Nuremberg, le temps était venu d'archiver ce concept devenu par trop encombrant !
Dans l'inconscient collectif, restait, et reste encore, cette déflagration qui y présida : Dieu est mort !
Personne n'est dupe, à part peut-être Nietzche lui-même, esprit pressé, oppressé, dont l'imagination fertile, ajoutée au besoin de ferrailler, lui avait interdit de nuancer, d'ajouter que ce dieu pris en otage, trahi par l'Eglise félonne, n'occuperait fort heureusement bientôt plus nos esprits !
Spinoza, son maître, avait ôté toute responsabilité au dieu de son enfance et de la vieille église, à ce dieu "humain, trop humain", mais, la nature ayant horreur du vide, lui se mit en tête de le remplacer par la volonté de puissance ! ...
En vertu de quelle morale une cellule souche renonce-t-elle à sa toute puissance ? ...
Ainsi, si l'on a souci du réel, laissant là nos pensées narcissiques, ce qui est au coeur du vivant, ce n'est pas la volonté de puissance, c'est le sacrifice de l'Un au profit du multiple ! ...
Ce mystère inabordable pour les enfants de Parménide, se trouve au début du Rig Veda, où l'on observe, incrédules, le passage du non-être à l'être ! ...
Pour ceux qui désirent rester dans l'entre-soi occidental, il s'agit également d'un arcane des mystères orphiques, contemporains de ces présocratiques si chers à son coeur ! ...
Ce dont Nietzche ne voulait rien savoir !
Pour ce sélectif, roi de l'amalgame et des raccourcis serviables, le seul monde qui vaille s'est arrêté soudain, subverti, empêché, à partir de Socrate !
Aussi, en philologue idéologue, ne s'est-il pas aventuré jusqu'à Proclus, ce néoplatonicien du Vème siècle qui, comme lui, avait repensé le statut de ce monde alors largement dévalorisé, non pour s'accommoder de ce lieu de souffrance, de son absurdité, en faisant de sa vie une oeuvre d'art, mais pour rétablir sa dignité, sa nécessité, s'incrivant en ce geste insolent, révolutionnaire, contre Platon, son très lointain maître ...
Il se trouve que ce saut créatif s'inscrit, consciemment ou non, dans une très ancienne morale de la Perse zoroastrienne selon laquelle, "au delà du bien et du mal", ce qui était bon hier ne doit pas s'attarder, en raison de la marche en avant de l'humanité !
Pas plus que Nietzsche, Proclus n'avait pas eu connaissance du déroulement de l'ontogenèse, pourtant il affirma que l'âme qui s'incarne détient secrètement tous les possibles, et qu'il appartient à l'homme accompli d'identifier, puis de jouer la seule note pour laquelle il fut choisi !
Epilogue
Il est bien dommage que le daemon de Proclus, au moment de s'incarner, n'ait pas choisi le rôle alors crucial de Père de l'Eglise, nous aurions évité plus d'un millénaire d'obscurantisme ! ...