Que reste-t-il des rois mages ?
Oui, que reste-t-il de ces rois mages, de cet épisode de l'évangile de Matthieu ?
Un souvenir d'enfance, une crèche abritant nos représentations pendant les huit derniers siècles, désertée, répudiée, sur le point de disparaître avec cet imaginaire qui, il est vrai, n'a plus bonne presse en Occident ?
Que reste-t-il de ce papier rocher savamment froissé, abritant pour quelques jours le spectacle insolite de trois orientaux richement habillés, porteurs de précieux cadeaux, agenouillés au beau milieu de bergers anonymes, de leurs moutons, d'un âne et d'un boeuf, des deux parents émerveillés de ce petit qui, déjà, semble accompagné d'une ribambelle d'anges ?
La véritable signification de l'étrange venue des rois mages depuis l'orient lointain, l'Eglise l'a, semble-t-il, très tôt escamotée, comme elle le fit des quatre évangiles lors de ses premiers conciles !
Elle savait pourtant, au moins au début, à l'exemple de Matthieu l'essénien, que derrière ce déplacement se profilait la prédiction de Zarathoustra, l'initiateur des hébreux alors captifs de Babylone ...
Mais, pour les théologiens sourcilleux de l'Eglise impériale, le diable se cache dans les détails, et dire la vérité, toute la vérité, c'est admettre la réincarnation ...
Comment, lors de la canonisation des évangiles, n'avait-on pas tiré à boulets rouges sur tout ce qui laissait entrevoir cette vieille chimère de païens endurcis ?
Et, comme un malheur n'arrive jamais seul, il y avait tous ces initiés qui savaient encore que le premier Zoroastre, antérieur de plusieurs milliers d'années à celui qui avait enseigné aux hébreux et à Pythagore, avait eu le mauvais goût d'inciter ses contemporains récemment sédentarisés à lever le nez, à laisser-là, momentanément, les durs travaux des champs, afin de contempler Ahura Mazda, le verbe solaire !
A tenter de recontacter ce monde oublié derrière les affres et les joies de l'exil !
S'il s'en était tenu là, encore, mais il prédisait que cette entité rejoindrait le moment venu notre planète et que lui-même jouerait un rôle dans cet impénétrable mystère ...
"Religion astrale", vous avez dit "Religion astrale" ! Courage, fuyons ! ...
Comme le bourgeois gentilhomme n'aimait pas qu'on lui rappelle ses racines, tout à son imitation de son inaccessible modèle résidant au château, l'Eglise eut tôt fait de rejoindre la pensée mainstream de l'époque, vénérant en loucedé la Raison, ce nouveau dieu, jaloux, exclusif !
Avant d'égrener ce qui vint s'ajouter à cette mascarade, il paraît indispensable, dans un premier temps, de tenter de décontaminer nos représentations, souvent inconscientes de ce lourd et complexe héritage !
"Je n'en crois pas mes yeux !"... "C'est une vue de l'esprit !"...
Voilà qui en dit long sur la confiance que nous accordons habituellement à notre regard, ainsi qu'au discrédit de ce qui serait "vu en esprit"!
En effet, depuis Aristote, "le maître de ceux qui savent !" fut-il dit, tout s'acheminait tranquillement vers la suprématie de la science, le XIXème siècle se retira en fanfare, avec le sentiment affiché d'avoir tout compris ! ...
Mais soudain, sans transition, cette belle assurance, pour une raison que le raison ignore, mais pas l'esprit du temps, fut bousculée, entraînant avec elle, dans le puits sans fond du monde quantique, notre bon sens, notre intuition, notre logique, bref, tout ce qui nous permettait d'avancer en terrain relativement sûr ! ...
Alors, nouveaux Sisyphe, ou toute nouvelle chance ?
Et, en cette dernière hypothèse, qui saura la saisir ?
Il est vrai qu'Einstein lui-même fut longtemps rétif au message initiatique de l'intrication, ce phénomène étrange, contre-intuitif, totalement affranchi des lois de l'espace et du temps !
C'est dire si notre côté obstinément obtus ne signale pas nécessairement un manque d'intelligence, mais atteste la lente stratification de nos représentations, au fil des croyances revêtues de la toge scientifique !
Et, comme s'il n'y suffisait pas, il y a ces "particules" qui ne tiennent pas en place, avant qu'on les observe à cet endroit où elles sont venues se ranger bien sagement l'instant d'une mesure, mais où elles n'étaient pas ! ...
Comparé à cette nouvelle situation qui nous est faite, Kafka fait bien pâle figure ! ...
Enfants d'une nouvelle guerre perdue, utilitaristes obligés, nos physiciens certes, ne rangent plus les élastiques usagés dans une boîte à chaussure, mais se rassurent avec ces équations qui, sait-on jamais, peuvent toujours servir à la conception de nouveaux objets, abandonnant la certitude que ceux qu'elles sont censées détecter ont une quelconque réalité ...
Seuls, quelques uns d'entre eux, enfants lointains des "réalistes" du XIIème siècle, n'ont pas renoncé à cette quête, fourvoyée dans l'impasse matérialiste, qui parlent d'un "réel voilé" !
Avec la physique quantique nous quittons l'ère du "ou", du local, du tangible, qui nous accompagna patiemment, le temps de quelques premiers pas vers la liberté, pour entrer dans l'étrange royaume du "et", insolemment affranchi de nos catégories, prélude aux vérités contradictoires !
Adieu Parménide, père de l'Occident, oubliée bientôt la trique de la non contradiction !
Cette déflagration pour notre cerveau, habitué à se reposer sur certaines régularités, n'aurait-elle pas ce premier avantage de dater notre morgue et notre dédain à l'égard de ceux qui nous précédèrent à la surface de Gaïa ? ...
Gaston Bachelard, contemporain avisé de cette aventure de l'esprit, nous invitait à "penser contre notre cerveau! " ...
Je ne connais pas assez son oeuvre, mais quelqu'un pourrait peut-être me dire s'il a pensé à déboulonner la statue de Parménide ! ...
Peut-on enfin accepter qu'un haussement d'épaules ne saurait nous exonérer bien plus longtemps d'une nécessaire contextualisation ?
A commencer par l'édification de nos représentations qui relève plus de la géologie que du libre mouvement, chaque nouvelle couche dissimulant ce qui précéda !
Pour ce qui concerne l'Eglise, la messe est dite, son appétit de pouvoir, son aptitude à trahir, sa volonté farouche de rester dans le mouv', d'éradiquer tout ce qui pourrait l'exclure de la pensée du jour, ont fait long feu, mais, paradoxalement, elle eut des émules parmi ses principaux détracteurs !
Ainsi naquit le Positivisme, nouvelle église, dogmatique, flanquée de ses gardiens de la foi, parcourue de dissensions internes, aussi vite oubliées lorsque se pointait le véritable hérétique ...
Comme feu la romaine, ayant officieusement disparu du décor, elle laissa des traces indélibiles dans nos représentations tout à la fois spongieuses et stratifiées, en témoigne votre haussement d'épaules à l'évocation de la religion astrale de ces "arriérés" qui nous précédèrent à la surface de Gaïa !...
Cependant, déterminés à creuser un peu plus, nous finîmes par exhumer la première couche, hermétique celle-là, et qui nous empêche de voir ce que nous voyions avant d'être réduits à ce que nous voyons ! ...
Vu de l'extérieur, comme on ne sait désormais pas faire autrement, on dira, un brin narquois : " Que la très longue dévotion apparemment due aux divinités cosmiques s'acheva sous le règne des astro-géomètres ioniens qui, une fois repus des précieuses et patientes observations babyloniennes, laissèrent les dieux sur le bord de l'assiette ! "
Mais, sur La Porte des Lions, curieux par nature, indécrottables, tentés de nous immiscer dans les bouleversements psychiques de cette époque, comment ne pas risquer ces quelques mots à ne surtout pas prononcer devant nos enfants, cela pourrait les laisser pensifs :
"Lorsqu'après avoir été longtemps confinés ici-bas, accablés, attentifs, sous le regard énigmatique de ces planètes habitées qui dansaient la ronde du destin, nous émigrâmes, via l'intrangiseante douane grecque, vers le centre d'un cercle conceptualisé, déserté par l'esprit, nous dûmes abandonner tous ces dieux imprévisibles, pour n'en vénérer qu'un seul, "la raison", ce petit nouveau, plus familier, plus consanguin !"
Ce long passé psychique de l'Homme que nos représentations n'arrivent pas à se représenter ! ...
Encore, me direz-vous, faudrait-il qu'elles en aient l'idée !
Elles ont toutefois une excuse, car l'Histoire d'Hérodote, cette "enquête"petit bras d'un nouveau genre, se voulant d'emblée "positive", libre du savoir des muses, limitée de la sorte à un récent passé, tendit le micro aux seuls survivants, c'est-à-dire aux vainqueurs !
Sur ce, survint l'Eglise romaine dont les méthodes expéditives ne furent pas perdues pour tout le monde, en témoigne la folle épopée des théoriciens de la Terreur, ces grands frêres des Kmers rouges ...
Pour faire bon poids, voilà pour finir, nos délicats antropologues, évitant surtout de se retrouver en délicatesse avec l'Ecole, dédaigneux obligés de cette mine à ciel ouvert que sont les mythes ...
Que sait-on de Zarathoustra ?
Si l'on s'en tient aux seuls textes qui nous parvinrent sur le tard, pas grand chose !
Très fragmentaires, rédigés en ancien avestique, non décrypté depuis des millénaires, par les Perses eux-mêmes !
A défaut de Pierre de Rosette, nos philologues intrépides essayèrent d'interpréter quelques hymnes attribués au prophète, les Gathas, à nous confiés par les Parsis, déposés naguère en Inde par la marée islamique ...
Ce que les actuels Zoroastriens ont retenu de l'enseignement du prophète, avec tout le respect qu'on leur doit, fait étrangement penser au "sentier octuple" de l'ancien voisin bouddhiste, qui avait encore, à l'époque de l'exil, pignon sur rue en Inde ...
Il faut donc nous tourner vers les enseignements de la très longue tradition occulte, qui prennent tout leur sens à la lecture de ce passage de l'évangile de Matthieu où l'on découvre cette étrange délégation de mages venus de la Perse lointaine, pour s'incliner devant ce mystèrieux accomplissement de la prédiction jadis confiée aux initiés ...
En cet Occident désormais friand d'exotisme, on s'intéresse à cette étrange façon qu'ont les tibétains de "valider" la réincarnation de cette entité qui sera leur nouveau guide !
Du moins y-a-t-il un public pour cela, en témoigne l'audimat des reportages et autres enquêtes à ce sujet, mais, de ce que sont venus accomplir les mages Perses lors de leur visite insolite, relatée par l'Evangile de Matthieu, nulle nouvelle !
Comment alors ne pas se souvenir de l'étonnante invite du Dalai Lama, adressée aux jeunes occidentaux "mainstream", déjà déguisés, accourus en légions : "Commencez par approfondir votre tradition, et s'il n'y suffit pas, revenez me voir ! "
Il n'est pas interdit de rêver !
Souvenez-vous : "Comme les rois mages en Galilée, suivaient des yeux l'étoile du Berger ..."
Ce fut un carton, bien qu'alors déjà transgressif !
De l'eau a coulé sous les ponts, mais il me semble qu'une enquête ayant pour but d'éclairer l'arrière-plan de cette arrivée des mages en Palestine, pourrait intéresser le plus grand nombre, restituant, accessoirement, ce dont avait réellement parlé Zarathoustra !