Nietzsche est mort et Dieu a survécu ! ...
J'avoue avoir hésité avec cet autre titre : "Nietzsche, esprit du temps ou voyageur temporel ?"
Mais, si ce dernier introduit mieux ce qui va suivre, j'ai préféré commencer par la seule chose ou presque qui nous reste de ce provocateur, si tant est que l'auteur de cette déflagration soit encore identifié !
Pour en revenir au titre qui aurait "mieux" convenu, derrière l'interrogation, se profile cet autre mystère trop longtemps oublié qu'est la réincarnation ...
Warning !
Que ceux qui veulent bien envisager cette hypothèse, à la condition expresse d'avoir été "quelqu'un" dans une autre vie, passent leur chemin, sans vouloir être désagréable, il promet d'être long ! ...
Présente lors de la naissance de l'Occident, cet enfant prodigue de l'Orient, contrainte de s'éclipser, le temps pour les puissants du jour d'installer leur emprise totale sur les esprits, de les enfermer dans le temps unique de la culpabilité, il semble qu'au fil du desserrement de l'étouffante étreinte, nous assistions à sa résurgence, dont nous allons établir qu'il s'agit en réalité d'une cure de jouvence !
Pour premier exemple, comment imaginer ce qu'aurait pu être la pensée de Spinoza et de Nietzsche, s'ils ne s'étaient laissés enfermer dans la nasse conceptuelle d'une seule vie, entre naissance et mort, imposée par cette Eglise qu'ils prétendaient combattre, acceptant cependant d'aller ferrailler sur son terrain ?
En dehors d'une juste condamnation de ce qu'était devenue cette religion félonne, comment se seraient posées à eux les questions essentielles de la liberté, du libre-arbitre, du sens de notre vie ici-bas, si ces deux guerriers n'avaient accepté de combattre une main dans le dos, validant ainsi la loi qu'ils prétendaient abolir ?
Essai de profilage d'un karma !
La pensée complexe de Nietzsche, ajoutée à ses ambiguïtés, signes d'une véritable recherche, font que l'on se demande si tous ceux qui s'en sont fait une spécialité, parlent bien de la même personne !
Ainsi en va-t-il de la description des témoins d'un accident, si l'on peut dire, car le commandeur de nos nouvelles croyances vint à point nommé, sauf à penser que l'Eglise qu'il honnissait et l'avait déclenché avait toujours su se bien conduire ...
Chacun y va de sa trouvaille, de ce qu'il aurait emprunté à tel ou tel, à Schopenhauer, à Spinoza, à Wagner, au bouddhisme, de ce qu'il doit à son enfance bousculée, à son précoce sentiment de décalage avec ses proches, à son instabilité affective, à sa souffrance psychique, sentimentale, physique etc. ...
Rien de tout cela n'est faux, mais tellement partiel !
On est dans le discret, alors qu'il s'agit de l'ondulatoire! ...
Comme leur fascinant sujet, tous ces érudits, philologues, philosophes et détracteurs accourus, chacun scrute la bête pour ce qu'elle a bien voulu nous laisser de sa vie erratique, signalée à la surface de Gaïa, entre le 15 octobre 1844 et le 25 août 1900 !
Qui s'est "amusé", puisqu'aussi bien nous ne prenons pas au sérieux ce qui va suivre, à reconstituer le puzzle, à partir de multiples fragments témoignant de ses obsessions ?
Le puzzle nietzschéen !
La méthode analytique est par essence fragmentaire, ainsi, pour ne prendre qu'un exemple, il n'est pas trop difficile de voir où Nietzsche a "piqué" son concept de "volonté de puissance", quitte, c'est tellement humain, à y mettre sa patte, pour s'y sentir bien ! ...
Qu'avons-nous à rajouter à cela, nous, juges impénitents dont les pensées soi-disant propres, sont "sales" de la pensée des autres ?
Comme dans un shaker, vous mettrez une bonne dose de conatus spinozien, un trait de volonté "made in Schopenhauer", un soupcon de volonté cosmique, et le tour est joué !
Voilà ce qui amuse la galerie de nos exégètes, attachés à déconstruire ce qui vient tout juste d'être sacré !
Comme vous l'aurez remarqué, sur La Porte des Lions, notre approche de la complexité des êtres, ne saurait se limiter à la seule vie que nous leur connaissons !
En ce sens, nous avions suggéré une piste pour ce qui concerne Maître Eckart !
Notre première étape sera donc de rassembler toutes les pièces du puzzle nietzschéen, gisant éparses à l'issue de ce parcours, court il est vrai, mais qui en dit plus long que ceux innombrables qui s'attardent et s'oublient d'autant plus vite ...
Avant de jouer, réunissons quelques pièces significatives, glanées ici et là, au fil de son combat titanesque contre ce monde qu'il découvre et n'aurait pas dû être !
Dieu est mort ! ... Amor fati ... L'éternel retour ... Le chaos sous la surface ... Les dangers de l'introspection ... L'illusion du "moi" ... Ca pense ! ... La nature divine de l'Homme ... Le surhomme ... Le nihilisme ... Dionysos ... Apollon ... Les présocratiques ... La tragédie grecque ... Penser avec son corps ! ... Le décalage ... La solitude ... L'errance ... Apatride ... La démence ...
Dieu est mort !
Sous entendu, ce à quoi l'on a cru jusqu'ici est obsolète !
C'est du moins la traduction qu'en font ceux qui ratiocinent, mais en réalité, veulent calmer le jeu !
A ces messieurs subtils, dois-je rappeler que la communication ce n'est pas ce que l'émetteur aurait voulu dire mais ce que le récepteur a compris, ce qui est retenu ?
Mais il est vrai que Nietsche est souvent ambigu, alors pourquoi pas ! ...
Pour en revenir à cette déflagration !
La fumée des bûchers s'était dispersée ! ... Au XIXème siècle, proclamer la mort de Dieu ne vous coûtait plus la vie, quant au commun des mortels, sidéré, bousculé, peu coutumier des procédures, il ne songea pas à faire appel ...
Les "croyants", pratiquants ostensibles, n'étaient pas les plus à plaindre, pouvant s'en tirer avec la colère mimétique, l'indignation collective, l'esprit de corps !
Tandis qu'aux plus démunis, aux hésitants, silencieux, attentistes, aux "mendiants en esprit", on enlevait brutalement cet espoir enfoui, aussi mince soit-il, ce "on ne sait jamais" inavouable !
Mais celui qui revendiquait sa noblesse polonaise, n'avait que foutre du vulgaire (à l'image de ceux du Vatican qu'il condamnait !), du lourdingue, de l'allemand alcoolique et jouisseur, de ce dernier des hommes, incapable de comprendre l'appel de Zarathoustra ! ...
Flash back !
Il en était tout autrement dans cette Grèce antique qui n'avait pas attendu l'inquisition romaine et moins encore la "sainte" inquisition espagnole, pour éradiquer le mécréant, l'impie ...
Il se trouve que, quelque part entre Homère et Socrate, un certain nombre de ces anciens grecs, aux prises avec une envahissante et dérangeante intériorisation, établirent ce constat troublant à l'issue duquel les dieux du peuple, de la cité, de l'Olympe, ne pouvaient à l'évidence répondre à cette puissante et nouvelle aspiration à la perfection qui décidément les titillait !
Selon Nietzsche, l'homme pressé, qui "omet" de relater cet épisode fondateur et confidentiel : "Pour accepter cette idée encore très conceptuelle, trop conceptuelle, de la perfection, les hommes l'ont personnalisée et nommée Dieu !"
Il s'agit là d'un de ces "raccourcis serviables" dont il usa et abusa, oubliant le caractère anthropomorphique, "pas fini", du dieu de la bible, comme de celui des prédicateurs romains.
Maïmonide s'en était expliqué, au moins pour celui de Moïse, mais Nietzsche, pas plus que Spinoza, hommes pressés d'en découdre, n'avaient apparemment souhaité le lire ! ...
Ces anciens grecs dont nous parlions il y a un instant, rejoignirent discrètement les centres des mystères, afin, s'ils en étaient jugés dignes, et après une interminable et dangereuse série d'épreuves, d'ascèse, de purifications, de faire naître le dieu enseveli au plus profond d'eux-mêmes !
A propos de cette époque trop souvent occultée, à nos distingués philologues, j'adresse cette supplique : A l'aide de la sémantique quantitative, cet outil impartial et bavard qui ne devrait pas vous rebuter, pouvez-vous nous dire ce qui ce cache derrière cette notion "récurrente", insistante, négligée, de "purification", qui irrigue toute la littérature antique ?
Penser avec son corps! ... Les présocratiques ...
Pour Nietzsche, c'est une obsession, le monde, "son monde", s'est arrêté avec l'apparition de Socrate !
Lorsqu'il se décrit comme "pensant avec son corps", de souffrance en l'occurrence, il réactualise (sans le savoir ?) cette phase de l'évolution psychique au cours de laquelle les présocratiques, physiciens en herbe, se mirent en quête du responsable primordial, pour le dire autrement, à la manière des orphiques, de l'Un derrière le multiple, chacun au gré de son tempérament !
Le tempérament colérique désignera le feu, quand le mélancolique, prédisposé à une certaine sagesse, focalisera sur l'eau, etc.
Toute ressemblance avec, etc.
L'illusion du "moi" ... Dionysos ... Apollon ...
Pourquoi ce rapprochement ?
Parcequ'il est évident que Nietzsche a totalement zappé la fantastique évolution psychique qui nous annonce et se donne à voir en Grèce, quelque part entre Homère et Aristote !
D'une conscience de rêve, diffuse, passive, collective, tribale, émerge un mutant nommé individu, animé d'un étrange et nouveau sentiment, empêtré dans ce "moi" balbutiant dont il se fait l'interprète auprès de celui qui, simultanément, est devenu "l'autre", faisant précéder son propos de son ambassade, de ce "je" interface entre le dedans et le dehors !
En philologue distingué, notre deux fois orphelin, instaure une dialectique tendue entre Dionysos et Apollon, pourquoi pas ?
Mais en anthropologue qu'il n'est pas, il escamote complètement la continuité de ces deux là !
Premier pas vers la liberté : Apollon tue le serpent Python, le serpent de la connaissance, de la clairvoyance pour le dire autrement, concédant au nouvel homme un viatique, l'institution de la Pythie, lieu de ses oracles, devenus nécessairement obliques ...
Dionysos Zagreus, qui n'est manifestement pas celui de Nietzsche, personnification de cet ancien état psychique, étranger à toute intériorisation, est mis en pièces par les titans, nos cinq sens !
Celui dont parle Nietzsche est le deuxième Dionysos, né des oeuvres conjointes de Sémélé, simple mortelle, et de Zeus, par l'entremise d'Athéna, Déesse de la raison, qui avait su récupérer quelques "cellules souche" du "mis en pièces" !
Enfant du cosmos et de Gaïa, il est donc le différent, l'autre, le tout autre, l'individu porteur d'un "moi" en héritage de sa mère ! ...
L'éternel retour ... Amor fati ...
Le "retour", le "destin", tout cela semble aller dans le sens de la présente hypothèse ! N'est-il pas ?
Eh bien non, comme nous allons le découvrir ! ...
"L'idée" de l'éternel retour lui était venue soudain, au détour d'un chemin ... Cependant, la nuance n'est pas sans importance, ce mot, trop abstrait, est impropre à décrire ce que Nietzsche a vécu à ce moment où tout bascula, il s'agissait plutôt d'une vision, d'un sentiment étrange, envahissant, d'une impression de vécu, de déjà vu, on pourrait presque parler, à l'entendre, d'un cauchemar éveillé ...
Cet instant, il eut la conviction, non seulement de l'avoir déjà vécu, mais qu'il se représenterait, encore et encore, éternellement, identique à lui-même, à l'exemple de sa vie, avec ses joies et ses peines, insistantes ces dernières, en ce corps de souffrance ...
C'est alors que le philosophe se raidit, va-t-il geindre, pester contre cette injustice, non, s'il voue un culte à la volonté de puissance, il sait que celle-ci ne peut rien contre ce qui appartient au passé, alors, c'est la révolte, d'esclave du destin, il se déguise en maître, décidant que c'est lui, et lui seul, qui voulut son destin ! ...
Bravo l'artiste ! ... Musicien, philologue, poète, philosophe, vous auriez pu être habile politicien : "La situation nous échappe, feignons de l'avoir organisée!" ...
En homme de son siècle et qui nous annonce, il va essayer de valider scientifiquement cette hypothèse, en vain !
En farouche combattant de l'Eglise, il accepte néanmoins de se battre sur le terrain qu'elle délimita soigneusement dans les représentations, afin d'y mieux exercer son pouvoir : cette vie unique entre naissance et mort, à laquelle, bon élève d'une certaine manière, il se contenta d'ajouter un autre néant terminal à la place de cet espoir fallacieux !..
Si, "mouton mutant", sorti du rang, il avait refusé le pré carré délimité par l'adversaire, en lieu et place de cette indigne pirouette, il aurait pu imaginer ce qui est devenu inimaginable : "oui, je l'ai voulu, mais avant que de naître ! "
En homme pressé, oppressé, à l'orient contemporain d'Héraclite et d'Empédocle, à cet arrêt sur image, il avait emprunté la négation du "moi", négligeant d'examiner la question du libre-arbitre à la lumière de cette hypothèse libératrice et cérébralisante ...
La négation du "moi" ... La démence ...
A Turin, oubliant qui il était, où il était, ce qu'il avait fait, il commença à haranguer les foules ! ...
Avant cet épisode, prémonitoires, ses derniers écrits attestent de la dissolution, de l'éradication de ce "moi" qui, depuis trop longtemps, l'empêchait d'être Dionysos, parasite qu'il désigne comme son "égoisme" !
Ayant ainsi fait place nette, il n'est plus ce professeur de philosophie de Bâle, cet imposteur qui dit "je" à tout bout de champ, il est Dionysos qui se promène le long du Pô ! ...
La clé du basculement : "Ca pense!"
Beaucoup de choses ont été dites à bas-bruit, à propos de cette formule disruptive dans cette Europe pourtant largement acquise au cogito cartésien, sauf l'essentiel, quitte à paraître prétentieux !
Le "cogito ergo sum" cartésien, normalement abscons, sauf à le survoler en langue vernaculaire, fut accepté illico presto par le plus grand nombre comme une évidence, en ceci qu'il entérinait, après un long chemin empêché, oublié, l'insolente et désormais toute puissance du "moi"!
Cependant, ce consensus resté sans analyse, gros par conséquent de notre anachronisme, jeta un voile opaque sur un passé lointain, où cette rodomontade eut valu la mort sociale à son auteur, a minima ...
A l'époque des présocratiques, si chère à notre philosophe, obsessionnelle pourrait-on dire, jamais en effet la pensée n'aurait été considérée comme une production humaine, comme une émanation de ce "je" encore balbutiant, alors qu'il s'agissait d'une perception !
En homme de son époque qui cherche la vérité, il ne vint pas à l'idée de notre philologue qu'il ne s'agirait peut-être pas là seulement d'une production de sa vive intelligence, de son accès aux textes anciens, mais d'une réminiscence, les deux n'étant pas contradictoires, du moins si l'on considère que l'important c'est l'attention que l'on porte à telle ou telle information plutôt qu'à la plupart ...
Bon, il est vrai que la "réminiscence" est un concept platonicien, le philosophe qui, selon sa vision assombrie, prompte aux amalgames, annonce les hommes qui "tendent l'autre joue" !
Alors, s'étant fermé cette porte temporelle, il va trouver dans la déconstruction, aux relents étrangement nominalistes, la raison de ce cogito déraisonnable : il s'agit, voyez-vous, d'une "routine grammaticale" !
La démonstration est implacable, jugez-en plutôt !
"Penser" est une action, un verbe, et un verbe ne saurait se promener sans son maître dans la nature des choses !... métonymie obséquieuse, il suppose et annonce un sujet, c'est ainsi que serait né le "Je"qui ne doit rien à l'évolution du psychisme, mais tout à la grammaire ! ...
Au delà du bien et du mal !
Comment s'empêcher de rapprocher cette condamnation implicite de la morale commune, de celle désormais oubliée de la Perse zorostrienne, globale, évolutionniste avant la lettre, qui observe que "le seul mal provient de ce qui s'attarde, ou vient trop tôt !"
Et pour faire bon poids, il y a cet improbable choix de notre ventriloque bavard, cachant son murmure insidieux derrière une épaisse moustache, cette convocation fallacieuse, honteusement détournée de la pensée prophétique de Zarathoustra ...
Mais ses pas de coté (nécessaires, là n'est pas la question !) vont le porter bientôt vers l'enseignement du Bouddha qui nous laissa les fruits de son éveil à l'époque bénie d'Héraclite ...
Comme ce fut la mode chez nombre d'intellectuels allemands au XIXème siècle, me diront très justement ses biographes, à moins que ce ne soit pour découvrir le "marché" où Schopenhaueur trouva son "bonheur" !...
Tout ceci n'est pas faux, mais démontre à quel point nous raisonnons dans le couloir étroit qui nous fut assigné par les éleveurs des générations qui nous précèdent ...
Le message du Bouddha, juste en son temps, attire l'attention des hommes sur ce "moi" envahissant, exclusif, qui escamote le monde spirituel, opposant, en prince de la rhétorique, la paix qui y règne aux affres de ce monde de douleur et d'ignorance !
Platon, un peu plus tard, ne fera pas autrement, mais à celui-ci, notre idéologue ne pardonnera pas son aversion pour ce monde, juste en ce temps de profonde mutation psychique, injuste lors de son exploitation ultérieure par une église avide de pouvoir ...
Reste la mise en cause du "moi" ce trublion, cet "agrégat", qu'il s'agit d'éradiquer si l'on veut retrouver la paix intérieure ...
Flash back !
Les quelques anciens grecs pour qui, tout bien réfléchi, les dieux de la cité ou de l'Olympe étaient "morts", voulurent retrouver le divin en eux lors de difficiles initiations, précédées d'une longue période de purifications et au prix, à l'époque, de la dissolution du "moi", ce sentiment encore fragile d'une inaltérable altérité !
Nietsche a rappelé à l'Europe cartésienne que les anciens grecs percevaient les idées, mais pour percevoir encore faut-il être un "moi", afin de ne point s'y perdre !
Le détesté Socrate, cette personnalité hors norme, écoutait cependant son daemon, au point, sur son conseil, de ne point s'accrocher à la vie, pour autant, il s'en distinguait, ayant vécu pleinement la difficulté de se connaître soi-même !
Désormais, Friedrich Nietsche à l'état civil, n'est plus ce professeur de philosophie de Bâle, affublé d'un égo, il est Dionysos qui se promène le long du Pô !
Epilogue !
Comme on dit familièrement, il s'est pris pour Dionysos !
Cela pose question, en effet, mais comme une question peut en cacher une autre, n'aurait-il pas, par le plus grand des hasards, pris Dionysos pour ce qu'il n'était pas ?
La tragédie est un résultat et non un point de départ, ce qu'elle signale progressivement, d'Eschyle à Euripide, c'est la naissance de l'Homme intérieur, l'édification de cette prison libératrice !
Que nous dit le mythe à ce sujet ?
Anthropologue avant la lettre, il nous parle tout d'abord d'un certain Dionysos Zagreus, "incarnation" de la conscience collective, tribale, non consciente d'elle même, "non propriétaire" dirions-nous désormais, mis en pièces par les titans, nos cinq sens, sur ordre d'Héra, la jalousie, celle qui divise, et dont un fragment, sur l'ordre avisé d'Athéna, la raison, sera "porté" par Sémélé, une simple mortelle, qui donnera naissance au nouveau Dionysos, notre ancêtre en altérité !
Celui-là, effectivement, gesticule beaucoup, ne se plie pas aux règles du groupe, en un mot : "n'en fait qu'à sa tête", expression populaire qui en dit long sur cette migration oubliée de la conscience, sur cette fragmentation, pour peu que l'on s'y attarde !
En homme de notre époque, Nietzsche lit le mythe au premier degré, retient le chaos, oublie qu'il annonce l'individu, l'autre, le différent, vous, moi, et pour résumer l'Homme en marche vers sa liberté !
Prompt à l'amalgame, il confond manifestement les deux Dionysos, pour exemple quand il compare la terrible fin de Zagreus à celle du crucifié ! ...
Le mystère, nous dirons "l'esprit de l'époque", c'est le succès d'une pensée aussi peu étayée, c'est ce qu'en disaient déjà ses collègues universitaires, dans une époque qui n'accepte que ce qui est étiquetté "scientifique" !
Reste une approche négative, une prophétie de la pénurie, une apologie de l'autarcie : "Dieu est mort!", il nous faudra donc faire avec ce que l'on a ! ...
Avant même de s'identifier à Dionysos, Nietzsche s'est-il pris pour Hercule ?
Nous savons, sur La Porte des Lions, que le mythe en sait plus qu'il n'en dit, certains d'entre eux contant à leur manière, imagée et non conceptuelle, les difficiles initiations antiques !
C'est tout particulièrement le cas de celui, resté célèbre, des douze travaux d'Hercule !
La réussite à la deuxième de ces douze épreuves ne lui fut pas créditée, car il avait fait appel à une aide extérieure !
L'hydre que combattra toute sa vie notre moderne héros, c'est la souffrance, son insistante renaissance, ses multiples apparitions, physiques, mais plus encore psychiques ...
Tout bien considéré, ce qui caractérise ce combat titanesque de notre matamore, c'est le refus de la fuite en avant, d'un ailleurs meilleur, ce "fonds de commerce" des religions, c'est également le refus du refus de l'obstacle que prône le boudhisme!
En ce sens, notre moderne héros n'est-il pas décidément admirable ?