Lorsque le ciel s'est vidé de ses dieux, l'Homme prit conscience de son âme ! ...
C'est pour le moins paradoxal, me direz-vous !
Oui, selon toute apparence, je vous l'accorde, qui plus est, un paradoxe peut en cacher un autre, car cela s'est passé en Grèce, quelque part entre ce moment dont nous avons décrété l'archaïsme et cet autre, dit antique !
Ce qui, par le choix de ces mots, ne dit pas grand chose de l'évolution psychique, mais a au moins l'avantage de nous mettre en valeur ! ...
Cela ressemble à un scoop mais il se trouve que ce phénomène étrange est, à cet endroit, particulièrement bien documenté !
En effet, l'image "d'Epinal" veut que les anciens Grecs aient peuplé le ciel de dieux nombreux qui certes, leur ressemblaient un peu trop pour être honnêtes, mais dont ils s'accommodaient si bien, que rompre l'allégeance de rigueur, pouvait vous coûter la vie ! ...
Socrate est l'arbre qui cache la forêt de ceux qui brûlaient déjà de trouver un sens tout autre au mystère de notre présence fugitive ici-bas ! ...
Si, dans les milieux bien informés, on sait que les philosophes commencèrent à prendre leur distance avec cette assemblée brouillonne des olympiens, qui vidait ses querelles internes par hommes interposés, la "naissance"concomitante de l'âme dans la conscience des hommes, entité devenue non locale, distincte de ce corps éphémère, n'a pas fait depuis lors, l'objet d'une communication forcenée ...
Si nous accordions quelque crédit à Homère, tout simplement d'avoir vécu, pour commencer, nous aurions entendu son cri d'alerte rétrospectif sur la mutation psychique des Grecs de retour de la Guerre de Troie, en ceci qu'ils s'attribuent la victoire, grande première chez ces hommes archaïques, transparents pour la plupart, parmi lesquels s'agitent encore quelques héros, pas de ceux que l'on récompense avec des médailles, mais avec cette gloire éternelle qui les distingue des simples mortels, jusque dans l'Hadès...
Ce qui est en bas est comme ce qui est en haut !
Selon le modèle cosmologique actuellement en vigueur, le Big Bang fut bientôt suivi d'un épisode fulgurant, appelé judicieusement "découplage", au cours duquel la lumière s'est échappée de la matière, permettant la création d'un monde nouveau !
Au train où va James Webb, cela sera peut-être remis en cause un jour ou l'autre, mais peut nous servir d'allégorie pour comprendre ce qu'il s'est passé dans la tête de ces anciens Grecs, tant pour ce qui concerne la relation étroite qui unissait jusqu'alors les dieux et la nature, que pour l'âme et le corps jusqu'alors indistincts ...
Les premiers physiciens, qui ne s'appelaient pas encore philosophes, ont tenté de penser les phénomènes cosmiques et naturels en se passant de l'intervention de tous ces imposteurs, de tous ces agents, fussent-ils revêtus de la dignité des dieux !
Chassez le surnaturel, il revient au galop !
A partir de ce magistral reset, copernicien avant l'heure, ce qui fait tourner le monde, car il faut bien qu'il tourne, à tout le moins qu'il ait été mis en route ! ... n'est donc plus immanent mais transcendant !
Notre nouveau monde, issu de ce découplage, est l'ombre projetée du monde "intelligible" chez Platon, et, plus prosaïquement mis en branle par un "premier moteur" chez Aristote, qui enseignait sa philosophie dans un garage, selon la rumeur ! ...
Avec des conséquences diamétralement opposées, qui s'estompent depuis peu dans l'indifférence générale : dévalorisation de ce monde d'ombres chez le premier, fascination, parfois enfantine, pour les engrenages ainsi mis en route chez celui qui se serait bien vu premier ! ...
Au grand découplage correspond alors le petit découplage !
Récemment, le mot "microcosme", détourné de sa signification première, désignait ce petit monde à part de l'entre-soi, des intelligents auto-proclamés, des hors-sol, inconscients de la réalité !
Néanmoins, cela pourrait nous servir d'allégorie pour ce qu'il est advenu de L'Homme, véritable microcosme à l'échelle de l'univers, en rupture d'origine, et qui n'a d'yeux désormais que pour ce monde familier, celui qu'il perçoit à l'aide de ses cinq sens, et ainsi tenu en laisse, prend pour la seule réalité !
Le rapport de l'âme et du corps, ce couple mortel "homérique", intriqué, fidèle jusqu'à la mort, condamné à n'être plus qu'une ombre fugitive dans l'Hadès, se disloque à son tour ...
S'ensuit la mise à part, conscientisée, intériorisée, de ce qui en nous ne saurait mourir, et de ce corps qui se délite ...
Née chez les sages de Grande Grèce tels que Phérécyde, Pythagore, Empédocle, gardée secrète par le cercle des initiés, on la retrouve un peu plus tard conceptualisée chez Socrate, expliquant à ses disciples les raisons de son acceptation de la mort, relativisant son emprise !
Cette représentation, qui semble désormais s'estomper chez les nouveaux dévôts du corps, va devenir progressivement familière, avec son corollaire : la quête fiévreuse du salut individuel !
Ceci vaut pour l'Occident, car ces soubresauts n'ont apparemment pas affectés l'Orient, resté continûment en liaison intime avec l'au-delà, avec moins d'exigence, il est vrai ! ...
Tout bien considéré, ne fallait-il pas cette coupure radicale pour que naisse, par réaction, cette quête inédite du salut individuel ?
Et partant, la question qui se pose (ou devrait se poser !...) est : qu'advient-il de la conscience après la mort ?
A bientôt !