Seul Einstein aurait pu comprendre Jacob Boehme !
Lorsqu'à l'orée de ce XVIIème siècle "géométrique" qui nous annonce, Jacob Boehme affirma avoir assisté à des faits remontant aux premiers pas de l'Homme terrestre, on lui objecta plus ou moins malicieusement : "vous y étiez?", ce à quoi il répondit sans sourciller : "oui, j'y étais !".
Au XXème siècle, Jean-Pierre Vernant, peu suspect d'accointance avec un quelconque ésotérisme, a cette belle et intrigante description à propos d'Homère lorsque celui-ci, avant toute chose, avant toute déclamation, requiert l'assistance des muses, ces filles de Mémoire : "Il se rendait ainsi présent au passé!" ...
Quelles que soient nos croyances, ces deux exemples pour le moins intrigants, contre-intuitifs, réclament une réflexion approfondie sur notre actuelle relation à ce que nous appelons "le temps" !
Le temps vectoriel et le temps cyclique !
On peut dire que le temps vectoriel est la marque de fabrique de l'Occident, son invention, que l'employé de l'Office des Brevets de Berne, un dénommé Albert Einstein, se refusera de breveter, un fois passé à la notoriété générale !
Mais avant de venir à la conception du temps qu'en physicien il proposait, il paraît important d'examiner les raisons pour lesquelles Jacob Boehme passa auprès de nombre de ses contemporains pour un doux illuminé, et n'intéresse toujours qu'une toute partie de la population qui ne se satisfait pas de la dictature rationaliste !
Avec le temps vectoriel, l'Occident, cet enfant prodigue de l'Orient, prit la tangente du temps cyclique, convoquant ainsi d'incalculables conséquences pour sa relation au monde physique, et plus encore pour son psychisme !
Cette mutation décisive pour l'aventure qui commence il y a un peu moins de trois mille ans, est bien documentée en Grèce, quelque part entre Homère et Socrate !
A la manière d'un inventaire à la Prévert, on peut citer pêle-mêle : l'invention de l'histoire, cette enquête incertaine sur le passé qui tente de pallier la fermeture d'un accès ancestral; le progrès, et ses corollaires : la prévision et la volonté; la non réversibilité de ce que nous appelons le réel, et, sur le plan psychique, le miracle fugitif de ce présent, situé entre deux néants, entre un passé qui n'existe plus et un futur qui n'existe pas encore!
Ainsi, désormais "libérés" des discours de ceux qui prétendaient penser pour nous, nous nous représentons notre vie, sans toujours le verbaliser, comme un segment orienté entre naissance et mort !
Avant : rien; après : on ne sait pas ! ...
Albert, à juste titre, cantonna cette représentation du temps à la psychologie ...
A juste titre, car il aurait pu admettre que sans cette représentation vectorielle d'un temps qui s'enfuit et qu'il s'agit par conséquent de dompter, l'Occident n'existerait pas !
Qu'est-ce que l'univers-bloc ? 1
Il s'agit donc d'une autre géographie, non physique, et qui pourtant fut proposée par ce physicien que l'on qualifia à tort de père de la bombe atomique, alors que, à l'image de Socrate, nous devrions l'honorer comme l'accoucheur d'une toute nouvelle et prolifique vision du monde !
"Toute nouvelle", pas vraiment, car Jean-Pierre Vernant avait pointé cette géographie du surnaturel où se déplaçaient en esprit les aèdes et les devins !
Plus concrètement, il observa que pour Homère, le passé existait toujours, mais se situait dans un autre endroit, hors de notre monde sensible ...
C'est par l'appel aux muses, ces filles de Mémoire, qui précède rituellemnt la transe rythmique au cours de laquelle les évènements passés s'objectivent, que le poète "aveugle" commence à voir en esprit les évènements du passé héroique !
Pour en revenir à Einstein, tout est déjà là, passé, présent, futur, c'est nous qui nous déplaçons et avons l'illusion de cette fuite du temps comme lorsque nous regardons le paysage défiler à travers la fenêtre du train !
Il avait d'autres chats à fouetter, à commencer par celui de Schrödinger, mais notre déplacement dans ce continum d'espace-temps aurait pu le décider pour un Homme qui ne joue pas aux dés, mais choisit, d'une incarnation l'autre, un nouveau contexte pour cette expérience initiatique que nous nommons la vie !