Les Grecs, des dieux de l'Olympe au Dieu ineffable !

De l'omniprésence de ces dieux qui interviennent à tout propos dans la vie des hommes, engrossent leurs femmes, se font la guerre au prix de notre vie, au dieu unique dont on ne peut rien dire, désormais sceptiques, avares de commentaires, on peut déduire que nous avions changé d'avis !

Est-ce pour cette raison ou pour une raison que la raison ignore, toujours est-il que pour certains d'entre nous, le scepticisme n'est plus de mise, trève d'atermoiements, le débat est tranché : Dieu n'existe pas !

Le paradoxe de cette affirmation c'est qu'elle parle, sans le savoir, du Dieu ineffable, car celui-ci, tout à la fois existe et n'existe pas !

"Il respire sans souffle" dit le Rig-Veda qui se moque par avance de notre incapacité à nous mouvoir au- delà de la raison, l'ayant confiée à ce que lui disent nos sens, dont on sait depuis peu la très grande indigence !

Pour nous occidentaux qui ignorons que Parménide coule dans nos veines ou, pour le dire autrement, que notre cerveau a été coulé dans le moule de sa logique, cette autre affirmation est difficile à comprendre ...

Dans les milieux autorisés on parle d'aporie, comme ça, on ne comprend plus rien, ce qui nous permet de tourner les talons, de vaquer à nos occupations, jusqu'à ce que la mort vienne nous enlever cette drogue encouragée par nos nouveaux cornacs !

Tel n'était pas le cas de Démocrite, le soi-disant père du matérialisme 1, qui avait dit à qui ne pouvait déjà plus l'entendre : "Le non être n'existe pas moins que l'être !" ...

Tel ne serait pas non plus le cas d'un occidental égaré dans le Rig Veda où l'on découvre cette autre étrangeté : "Au commencement il n'était ni être ni non être, l'Un respirait sans souffle ..."

Le dieu des religions monothéistes, avant qu'enfants du soleil couchant, nous nous en désintéressions,  semble indécis, superposé, tantôt jaloux, vengeur, rétributeur, tantôt prônant l'amour inconditionnel par l'entremise de son fils, dont nous doutâmes sur le tard qu'il ait pu exister, cette indétermination ayant pu jouer, au moins inconsciemment, dans la décision de voter avec les pieds que prirent beaucoup d'entre nous ...

Au risque de sa vie, Spinoza s'est attaqué à cette représentation d'un dieu jaloux, vengeur, rétributeur, comme aux clones des pharisiens qui sévissaient à son époque avec pour seule ambition de faire croitre leur cheptel craintif, en lieu et place de la nécessaire désoccultation de la parole divine ...

Mais, dans un premier temps, retournons à ces dieux de l'Olympe, somme toute rassurants, et qui pourtant nous chassèrent sans ménagement de leur banquet où nous avions tendance à nous endormir, il faut bien le dire ...

Ce détail pour le moins exotique que nous nous empressâmes d'oublier, ne fait-il pas pourtant singulièrement écho à l'expulsion d'Adam du paradis ?

Cette dernière, plus familière, qui nous tint sous le joug de la culpabilité pendant près de deux millénaires, a subi récemment le même sort, à cette différence près que nous ne le qualifions pas d'exotique mais de ridicule, méprisant au passage les représentations et convictions de certains de nos aïeux ...

Entre les dieux mythiques et le Dieu ineffable, deux évènements majeurs intervinrent dans notre évolution, le premier, passé sous silence, le second en voie de l'être ! ... 

Tout d'abord, ne semble-t-il pas curieux que, sauf erreur de ma part, aucune étude jamais, ne se soit attachée à découvrir la raison pour laquelle les grecs firent, en l'espace d'un millénaire, ce grand écart entre leur primitive représentation de ces dieux pour le moins envahissants, et ce dieu que l'on ne peut nommer, dont on ne peut rien dire, sauf à dire, en désespoir de cause, que notre langage ne saurait y suffire ?

Pour le dire autrement, entre une mythologie vivante, foisonnante, bourgeonnante, diaprée, populaire, et une approche froide, élitiste, conceptuelle, confidentielle, moins que minimaliste, accablée, impuissante, qui reste à la porte d'un mystère qui tout à la fois la mobilise et la dépasse ...

Alors, d'un exotisme l'autre, dans l'entre-soi qui pète dans la soie, on emploie ces mots qui tiennent le vulgaire à distance : théologie négative, apophatisme, addition soustractive ! ...

Tout d'abord, une évolution majeure dont nous n'avons pas conscience, et, paraxodalement, c'est  de la conscience qu'il s'agit !

A ce jour, qui peut définir ce qu'est la conscience, qui peut l'objectiver ?

Mais plus encore, qui sait qu'elle est d'apparition récente ?

Alors, en son absence désormais oubliée, qu'en était-il de notre psychisme, de nos représentations ?

Les aborigènes d'Australie, ces grands anthropologues, cette mémoire orale, vivante, exacte, qui traversa les millénaires, évoquent à juste titre "Le temps du rêve" !

Que s'est-il donc passé ?

Si l'on sait que son avènement est somme toute récent à l'échelle de l'évolution, n'est-il pas significatif de passer sous silence cette mutation radicale qui nous fit Homme, au moins tels que nous sommes désormais, pour lui préférer, qui la chute antédiluvienne, datée, indigeste, indéchiffrable car trop imagée, qui le redressement improbable d'un simien qui ne se savait pas promis à un tel destin ?

La conscience !

Sensation nouvelle sur laquelle longtemps nous ne sûmes pas mettre de mots !

Mais un jour ce mystère voulu exister au grand jour, être doté d'un mot qui le décrit ...

Ce fut chose faite aux alentours du IVème siècle avant J.C. ...

Ce mot qui signale un saut qualitatif de très grande ampleur, renvoie, non pas à un objet ou à un sentiment, mais à un concept aussi difficile à définir qu'il s'accompagne d'une certitude confuse ...

On peut l'observer pour la première fois, dans la seule Grèce, chez Euripide, le dernier des grands tragiques, pour fleurir bientôt dans la pensée stoïcienne, grecque et romaine !

Reculer pour mieux sauter !

C'est à l'aune de cette loi observée dans le monde biologique que nous pouvons tenter de reconstituer les conditions préalables à certains sauts psychiques passés inaperçus ...

L'on pourrait également invoquer cette autre loi : "Rien ne se crée, rien ne se perd, tout se transforme!"  découvrant émerveillés cette perpétuelle métamorphose que nous appelons L'Homme !

Pour que la conscience s'intériorise, il fallut en effet que l'évolution fasse tout d'abord place nette, nous libère de l'emprise de ces dieux qui, au sens propre comme au sens figuré, nous possédaient ...

Du passé aussi, de cet ancien cloud qu'Hésiode et Homère savaient aux mains des muses ...

De cet oubli, de cet accès fermé, témoigne l'Histoire, cette nouvelle nécessité née avec l'inspecteur Hérodote !

Mais au temps d'Homère, on savait encore "se rendre présent au passé", et c'est ainsi qu'il vit les grecs et les troyens se libérer de l'emprise psychologique des dieux, pour des raisons diamétralement opposées certes, au sortir de la Guerre de Troie, les premiers pour s'attribuer la victoire, les seconds pour en vouloir à ces dieux qui les ont abandonnés !

Ne sourions pas, plus de trois millénaires ont passé, et nos réflexes restent inchangés !...

Et puis après, bien après Homère, ils avaient appris à lire dans l'Iliade et l'Odyssée, et se proclamèrent "sages", le mot "philosophe" n'étant pas né ...

"Sages", c'est-à-dire qui s'approprient la sagesse jusqu'alors domaine réservé des dieux !

Enfin, last but not least, voilà Euripide qui débarasse le psychisme de ses héros, coupables d'une faute, des Furies et autres Eryniès vengeresses pour saluer l'ouverture du débat à huis-clos, cette activité de la conscience morale devenue propriétaire ...


La suite dans les tout prochains jours !


1 Honteusement falsifié par Aristote qui a pour seule excuse de n'avoir pu lire Gaston Bachelard nous demandant "d'apprendre à penser contre notre cerveau"! Voir les travaux de Heinz Wismann pour envisager ébahis ce que Démocrite entendait réellement par "atome" !

2 Expression imagée pour caractériser ceux qui s'enfuyaient en catimini de l'Union Soviétique ...




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