Avons-nous déjà vécu dans un monde superposé ?
En dehors de la communauté des physiciens, augmentée de ceux et celles qui s’intéressent à leurs travaux, "un monde superposé", ça ne veut pas dire grand-chose !
Pas de complexes, Amigos, car pour Einstein, au soir de sa
vie, tout bien réfléchi, cela ne voulait rien dire non plus !
D’où partir ?
Eh bien, si vous en êtes d’accord, de la dernière conférence
qu’il donna à Princeton en 1954, au cours de laquelle, lui qui fut un pionnier
de la physique quantique, décida que si ce que l’on en savait faisait vraiment loi,
nous ne verrions qu’un monde flou, imprécis, mouvant, nébuleux !
Confronté à ce genre de défi, lorsqu’une contradiction
oppose les équations et l’expérimentation, l’esprit scientifique décide,
Etienne Klein y insiste souvent, d’exhumer le vice caché, soit dans la théorie,
soit dans l’observation …
Attaché à son bon sens, jusqu’à décider que Dieu ne saurait
jouer aux dés, Einstein en tenait pour l’irréprochabilité de notre observation,
décidant qu’il devait manquer une variable aux équations …
Un jeune homme qui, pour être admirateur de cette star des
années 50 que ne pouvait revendiquer Hollywood, ne s’en laissât pas conter,
releva le défi, déplaçant en deux temps trois mouvements, le mystère de la
superposition de l’objet, à celle plus mystérieuse encore du sujet ! 1
En clair, selon Hugh Everett, le monde en son entier est
quantique, tout est superposé, tout vibre, rien n’est précis, mais notre vue s’avère
insuffisante dès lors qu’il s’agit de percevoir l’entièreté du spectacle !
Pour n’en pas perdre une seule miette, il faut donc un
nombre infini d’observateurs et, pas plus que nous percevons les
différents états de l’objet, nous ne sommes conscients du nombre des sujets, de
nos doubles évoluant dans des mondes parallèles !
Tollé général d’une partie de la communauté, plus conservatrice
qu’il n’y paraît, oubliant sa description, non pas sur le coin du feu, mais au
placard des équations stériles !
Si, à vous aussi, cette vision paraît échevelée, alors, que
direz-vous de la nôtre ? …
*
A cette différence près que nos moyens d’investigation ne
sont pas les équations, la spéculation, mais les récents travaux de philologie et
d’anthropologie, confrontés - c’est là tout notre apport ! - aux précieux
enseignements de la mythologie, comme à l’insistant murmure des grandes
spiritualités, tous ces laissés pour compte de notre autosuffisance, de notre anachronisme
! 2
Mais avant de découvrir la concordance entre les derniers
résultats de cette recherche et ce dont nous ne voulions rien savoir depuis
plus de deux millénaires, quitte à rompre avec les habitudes, commençons par la
conclusion :
Si nous ne voyons pas le monde flou, nébuleux, instable, ce
n’est pas qu’il manque quelque chose aux équations de la physique quantique, ni
que notre actuelle observation soit fallacieuse, mais que notre vision s’est
déplacée, métamorphosée, au cours du temps long de l’évolution …
Il fut en effet une époque, antédiluvienne, dont les
derniers feux se sont éteints, ici et là, il y a environ 3 000 ans, au cours de
laquelle le monde physique nous apparaissait flou, incertain, mystérieux,
quand, par le moyen d’un autre organe, le monde spirituel n’avait pas de
secrets pour nous …
Bien entendu, l’Ecole s’est bien gardée de nous parler de
tout cela, mais, à sa décharge, encore eut-il fallu qu’elle en eut
connaissance, car, enfant cachée de l’Eglise et suivant l’adage que le pouvoir
change de mains mais pas d’habitudes, elle s’était défiée a priori de tous ces précieux
enseignements sur notre passé …
Ceux-ci, figurez-vous, n’avaient-ils pas la folle prétention
de se passer du scalpel ou de la truelle pour se faire une idée du temps long
de l’évolution, voire, scandale des scandales, de précéder, parfois de
plusieurs millénaires, l’enquête d’Hérodote, ce pionnier de la nouvelle mémoire, partielle, obséqieuse, oublieuse de notre origine, ce héros de
la lutte inégale contre cet oubli devenu maître des hommes, ce premier
historien qui avait réussi, tenez-vous bien, l’exploit de collecter des
renseignements sur ce qu’il s’était passé en Grèce et aux alentours, près de
trente ans avant qu’il naisse ! …
Alors, pour tenter de nous faire une idée de cette époque antédiluvienne où nous voyions clair dans le monde spirituel et trouble dans le monde physique, nous ne ferons pas de grande
démonstration, regroupant juste quelques éléments épars qui jonchent le sol
encombré de nos oublis, dont la juxtaposition, telle une mosaïque patiemment
reconstituée, redonnera vie à l’évolution oubliée de notre psychisme !
Comment ne pas commencer par cette insistance de la
spiritualité hindoue sur cette maya, ce voile jeté sur la réalité, qui ne
semble pas trop troubler l’Occident, oublieux de l’avertissement de Platon qui n’avait
pour ce faire pas lésiné sur les moyens, réinventé le mythe, loué une caverne,
allumé un feu ! …
Repus de notre toute nouvelle intelligence, nous avions
laissé tout cela aux philosophes, et plus récemment à quelques opportunistes du
développement personnel …
Alors, tout à notre digestion, nous n’avons pas aperçu les
récents travaux des philologues et autres anthropologues, quand, parmi ceux-ci qui
ne dorment que d’un œil, personne ne songea jamais, cloisonnement oblige, à mettre
en évidence ce nouvel éclairage porté sur ce que nous tenons encore pour des
élucubrations …
De quoi s’agit-il ?
La mythologie nous l’avait révélé, mais il est vrai qu’il y
a belle lurette que nous ne croyons plus aux révélations, ayant décidé une fois
pour toutes qu’un mythe, c’est ce qui n’existe pas !
Les guerres se gagnent plus facilement au niveau des mots
que sur le terrain !
Ce que nous avait révélé cet antique savoir, à condition de
savoir le lire, et pour cela de le considérer, de ne point mépriser ceux qui nous
léguèrent ce témoignage inestimable, quelques chercheurs en sciences humaines,
ayant, pour la crédibilité de notre thèse, fort opportunément pignon sur rue, l’ont
exhumé avec les moyens qui sont désormais les nôtres ! 2
Au but, cher Monsieur, au but ! …
Eh bien, ce qu’ils ont découvert, c’est ni plus ni moins qu’une
étrange métamorphose du psychisme humain, il n’y a pas si longtemps, quelque
part entre le huitième et le cinquième siècle avant J.C., entre Homère et
Platon si vous préférez !…
Pourquoi en Grèce, me direz-vous !
C’est plus simple que ne pourraient le suspecter les
suspicieux : leurs études portèrent sur cet ici et maintenant de l’antiquité, car
l’érosion du temps, ajoutée à la folie des iconoclastes avaient fort
opportunément oublié un certain nombre d’écrits qui peuvent en attester … 3
Parmi les rescapés de l’écrit, sachant que longtemps, tout,
loin de là, ne lui fut pas confié : la toute nouvelle poésie lyrique, la
tragédie, se faisant toujours plus tragique, l’interrogation philosophique sur
la nature du temps, la soudaine évolution des mythes de mémoire conduisant au transfert
de l’Oubli, des portes de l’Hadès au seuil de la vie … 2
En résumé, l’expression multiple d’une évolution radicale
qui amène les hommes à s’interroger, chose nouvelle, sur eux-mêmes, sur leur
destin, sur leur salut, autant de signes de cette insatiable quête de sens d’un
mutant nouvellement entré en scène : l’individu !
En deux mots, ce qui actuellement fait l’Homme : sa
différence, sa conscience, son doute, son insatisfaction, ses pensées, ses
actes, la liste n’est pas exhaustive, tout cela lui venait du dehors !
Pour ne prendre qu’un ou deux exemples : sur l’agora, n’en
déplaise à Descartes, aucun quidam n’aurait osé dire "je pense", cela n'avait alors pas de sens; et, pour le
mal qu’il venait de faire, il n’avait aucun remords, aucune introspection, les
Erinyes se chargeraient bien de le lui rappeler !
Ça, c’était avant !
Avant cette grande métamorphose que nos chercheurs viennent de
mettre au jour sans trouver beaucoup d'acheteurs, agglutinés devant d'autres étals, obnubilés par d'autres denrées plus comestibles …
L’intériorisation, l’arrivée tonitruante du "Moi Je", redondant,
vite imbu de lui-même, oublieux de ses racines, comme hier le bourgeois
parvenu, l’appropriation des pensées et de la conscience, lorsque désœuvrée, elle
se prend comme objet, tout cela est en cours mais n’a toujours pas eu
cours !
*
Sur le plan matériel, qui semble se lasser de notre dépendance,
nous n’avons cessé de gaspiller l’énergie, au moins nous permet-elle d’avancer,
mais, trêve d’atermoiements, l’heure est désormais au recyclage !
Sur le plan spirituel, la panne, c’est une évidence,
menace nos représentations !
Aussi, le temps semble venu de recycler ce que, lors de
notre exode plus de deux fois millénaire, nous avions abandonné tout au long du
chemin !
Tout n'a pas disparu, et depuis le XIXème siècle notamment, nous sont parvenues quelques antiques manifestations de l’esprit, révélations,
mythes et légendes, autant de trésors ignorés, trop lourds à
porter sans doute pour nous qui voulions nous libérer ! …
Cependant, entre-temps, notre relation au mystère du monde a évolué, du tout au tout, il nous faut désormais traduire ces riches images en concepts abstraits, plus digestes pour notre cerveau devenu délicat !
Tenace, autosuffisant, notre anachronisme va résister, comme il en est de notre fameux bon sens devant les révélations de la physique quantique !
Il faudra pourtant nous y habituer, la métamorphose de
notre psychisme vient d’être enfin mise au jour, datée, et qui plus est, à l’aide d'approches scientifiques telles que la philologie, la sémantique quantitative, la
datation, la contextualisation !…
Sur la Porte des Lions, nous pouvons enfin l'affirmer, sans
crainte d’un autodafé, cette rupture entre l’individu et l’âme-groupe de la tribu, le désenclavement plus ou moins brutal de populations consanguines, cette nécessaire fragmentation de la
conscience, cette intériorisation, cette appropriation du suprasensible, les savoirs antiques l’avaient
vécue en temps réel ou annoncée, dès lors qu’il s’agissait de préparer les
hommes à l’inéluctable, de nous accorder à la marche inexorable de notre cosmos
tutélaire ! …
Pour ce qu’il s’est produit
en Grèce, plus particulièrement entre Homère et Platon, pour cet homme qui soudain n’est
plus "éclairé" du dehors, s’intériorise, prend lentement possession de son "Moi",
en d’autres mots se libère de la tutelle du monde suprasensible, le Sâmkhya, cette
vénérable science spirituelle hindoue avait codifié ce passage, de l’état de
sattva à l’état de rajas …
De quoi s’agit-il ?
L’éternel combat entre la lumière et les ténèbres, entre
l’esprit et la matière, entre Purusha et Prâkriti, créateur des formes, de vous
de moi, rien ni personne n’y échappe, reste indécis entre les états de Sattva,
Rajas et Tamas, selon que l’un ou l’autre des deux antagonistes domine ou fait
équilibre à l’autre, comme dans cette époque qui commence en Grèce entre
Homère et Platon!
Deux légendes pour éclairer ce passage !
La vérité s’enseigne différemment selon le public auquel on
s’adresse, et si le Sâmkhia, cette science spirituelle, subtil mélange de clairvoyance
et d’abstraction, s’adressait primitivement à quelques initiés, les légendes pouvaient
atteindre un public plus large.
Souvenez-vous que beaucoup plus tard, alors que le psychisme
avait déjà évolué, Jésus choisissait soigneusement son mode
d’expression et s’adressait encore aux foules au moyen de paraboles …
Au XIIème siècle, Maïmonide avait tenté d’expliquer aux
siens que Moïse n’avait d’autre choix que d’affubler Yahvé de traits
anthropocentriques, pour les emmener progressivement du culte des idoles à la
représentation d’un dieu irreprésentable … 4
En Occident, plutôt que tenter de comprendre le sens profond
des légendes, de contextualiser ce type d’information, nous avons pris le parti
de ricaner, puis d’ignorer !…
Voici donc les légendes d’Apollon et de Krishna, l’une
grecque, l’autre hindoue, comme il se doit, qui, pour peu que l’on veuille bien
les lire avec le respect qui leur est dû, nous donnent un aperçu de cette
époque où le psychisme humain s’est métamorphosé.
Tous deux furent confrontés très jeunes à un serpent envoyé par un membre malveillant de leur entourage, qui avait pressenti la menace
de changement que faisait peser leur arrivée en ce monde …
Tous deux durent affronter et tuer le serpent, Python pour
l’un, et Kâli pour l’autre.
Qu’en est-il de ce serpent que l'on retrouve un peu partout dans les textes et la statuaire sacrés ?
Il ne s’agit pas bien entendu du reptile qui se déplace de
cette façon si étrange sur le sol, mais de celui, immatériel, qui sort de terre et monte le long
de notre colonne vertébrale, objectivé sous cette forme par les derniers clairvoyants
…
La désormais dangereuse Kundalini a le mérite, pour ce qui
nous concerne, d’avoir gardé en mémoire une partie de ce mystère disparu au travers de son
symbole : deux serpents qui s’enroulent autour d’un axe vertical, surmonté de deux ailes ...
Tout est dit, ou presque!
Le serpent que combattirent Apollon et Krishna, comme tous
les boiteux de la mythologie grecque qui lui ont écrasé la tête et en gardent
ce stigmate, c’est donc le serpent de la connaissance !
Connaissance qui n’est pas la nôtre, qui n'est plus la nôtre, devenue savoir, enfant récent et problématique du couple dysfonctionnel formé de notre cerveau et de nos sens 5, objet chez Platon de cet autre symbole du char ailé entrainé par deux chevaux plus ou moins disciplinés …
Il est un autre point commun entre Apollon et Krishna, c'est que pour être venus annoncer la fin du commerce des hommes avec les dieux, ils laissèrent chacun la possibilité de recontacter le monde suprasensible.
Krishna est considéré comme le maître du Yoga, quand Appolon laissa l'institution de la pythie dans son temple à Delphes !
En conclusion :
Depuis que la clairvoyance s'est estompée, et avec elle la vision en esprit, en Occident nous croyons "dur comme fer", aurait dit Hésiode, voir le monde tel qu'il est, tandis que l'orient affirmait que cet aperçu n'est que maya, illusion !
Contrairement à nos prédécesseurs (la Grèce est fille de l'Orient!), nous n'avons pas refusé ce monde, mais essayé de le comprendre, sans toujours y parvenir, malgré les avancées fulgurantes dans nombre de domaines, ignorant souvent que le but occulte de cet effort n'est pas l'atteinte finale de la Vérité (qu'en ferions-nous?), mais la liberté qui en résulte !
Nous savons désormais quelques unes de nos limites : le peu que nous voyons, que nous entendons, que nous "sentons" de ce qui nous traverse en permanence, nos erreurs de jugement, sous la houlette d'un bon sens longtemps privé de GPS ! ...
Pour ne prendre qu'un exemple (récemment officialisé par le Nobel!) qui dérangeait jusqu'au grand Albert, le monde est non local, tandis que la physique quantique, ce fut avoué du bout des lèvres par quelques transfuges incertains, tant l'empreinte est profonde, avait fini par dématérialiser la matière !...
"Le peu" que nous voyons -tout est relatif, bien entendu!- depuis que nous avons confié cette lourde responsabilité à nos seuls sens, est le théatre de notre liberté !
Vénérons ce décor, Amigos! ... certes, il craque aux entournures, mais il nous allait si bien avant que de répudier notre bon sens, pour, enfin libres, nous livrer à des expériences de pensée, écrire des équations qui prédisent, souvent avec succés, des mondes inconnus ! ...
Pour en revenir à notre stade actuel de développement, que ferions-nous d'une vision réelle, totale ?
Notre psychisme si fragile pourrait-il la supporter ? 6
Un mythe grec savait ce mystère, c’est le mythe de Dionysos …
Sémélé, sa mère, simple mortelle, sournoisement incitée par Héra, on pourrait dire Lucifer, parvint à convaincre Zeus, son amant du moment, d'apparaître dans sa dimension cosmique !
Devant cette vision insupportable, elle se consuma dans l'instant !
Les anciens hébreux l'avaient dit "autrement" : Tu ne verras pas ma face, car l’Homme ne peut me voir et vivre ! Exode 33-20.
1 Voir la
conférence de Thibault d’Amour, professeur de
physique théorique à l'Institut des hautes études scientifiques (IHES) de 1989
à 2022, membre de l'Académie des sciences depuis 1999, intitulée « Le
mystère du monde quantique » sur You Tube, le 3 novembre 2016.
2 Voir la conférence de Jacqueline de Romilly intitulée "Les
luttes intérieures de l'âme dans le Phèdre de Platon" (You Tube), s’appuyant
en partie sur les travaux décisifs de Bruno Snell, philologue allemand, cité
également par Jean-Pierre Vernant dans son essai intitulé : « Mythe
et pensée chez les Grecs » aux éditions La Découverte/Poche.
3 Il y a plusieurs manières de faire disparaître ce passé qui
vous dérange, par le feu (Platon) ou, plus sournois, plus indétectable, par la
falsification (Aristote) ! Transposé dans notre époque formidable, cela
donnera l’autodafé et un peu plus tard, les fakes news ! Voir à ce sujet
décidément vieux comme le monde, au moins depuis qu’il est aux mains de
l’Homme, les travaux de Heinz Wismann sur cette tragique et prolifique perfidie
d’Aristote à l’encontre de Démocrite. Eu égard à l’étendue comme aux dégâts de
cette méprise, une question métaphysique s’impose : est-il bien nécessaire que nous perdions tout
ce temps ?
4 Foi et raison, relire Maïmonide, conférence sur You Tube,
2 septembre 2016, avec Nicolas Weil et Pierre Bouretz. Entretien éclairant sur
cette lumière qui manqua si cruellement à l’Occident !
5 "Ce ne sont pas nos sens qui nous trompent, c'est notre jugement !" Goethe.
6 Voir les conférences d'Aurélien Barrau, notamment celle intitulée : "Big Bang, Trous noirs et Univers multiples" donnée le 5/07/2022 à l'Institut Français, sur You Tube.