Héraclite et Einstein, pour une autre anthropologie !

A première vue, il ne viendrait à l’idée de personne de tenter ce rapprochement pour le moins insolite ! …

Alors que l’on pourrait tenter ce genre d’exercice avec profit, s’il s’agissait d’exhumer l'influence du premier sur les philosophes qui nous ont faits, dans nos différences il est vrai, comme Nietzsche ou Hegel …

Pourquoi en effet ne pas s’amuser à voir en quoi ce curieux mélange d’interprétation des oracles héraclitéens, et de falsifications effrénées des observations de Darwin, a pu accoucher de la morale de l’esclave chez Nietzsche ?

Pour s’en rendre compte, faut-il passer le peu qu’il vous reste à vivre derrière les barbelés ?

On pourrait également apprécier cette mystérieuse procession de l’Un au travers de ses multiples contradictoires, observée en esprit par Hegel qui eut le plus grand mal à se faire comprendre par ce XIXème siècle qui s'attarde, adonné aux addictives apparences !

Une évolution en spirale !

Tout cela est très certainement passionnant, et fera peut-être un jour l’objet d’une étude, ô combien féconde, du cheminement des idées, comme l’on traça autrefois la carte souterraine de ces cours d’eau qui aboutissent aux résurgences !

Mais notre propos aujourd’hui est tout autre, il est d’examiner, non pas l’éternel retour, ainsi qualifié à l’issue d’une observation approximative, réductrice, influencée, mais ce qui revient régulièrement, tout en se produisant à un autre niveau !

En proposant ce rapprochement entre Héraclite et Einstein, nous n’avons pas l’idée d’un cercle qui tourne en rond, d’un serpent qui se mord la queue, mais d’une spirale où certes, en apparence, l’on revient tôt ou tard à son point de départ, mais où les choses se passent différemment, le temps ayant joué son rôle !

Jusqu’à Homère, la représentation du temps et de la vie humaine est cyclique : « Telles les générations des feuilles, telles celles des hommes. Les feuilles, il en est que le vent répand à terre, mais la sylve luxuriante en pousse d’autres, et survient la saison du printemps ; de même les générations des hommes : l’une pousse l’autre s’achève …

Iliade, VI.

Il en est de même pour la Genèse, et c’est la raison pour laquelle nous ne la comprenons plus !

La représentation d’un temps vectoriel, qui est toujours nôtre (alors qu’Einstein dit, à qui ne veut pas l'entendre, que ce temps psychologique n’existe pas !) vient un peu plus tard qui précède et accompagne le "miracle" grec, conséquence d’une prise de conscience de l’existence de l'âme qui, jusqu’alors, avait su se faire discrète, de la nécessité de l’arracher au temps qui passe et à la mort !

La spirale, bien observée, combine un mélange de cyclique et de vectoriel …

Elle est, nous allons tenter de le démontrer, le symbole de l’évolution psychique de l’Homme.

Elle a pour moteur notre liberté !


Dieu ne joue pas aux dés !

Einstein.

Était-il alors affirmatif ou dubitatif ? …

Toujours est-il que Niels Bohr, très tolérant lorsqu’il s’agissait du comportement apparemment aberrant, à tout le moins libre de notre regard, de l’infiniment petit, notamment de cette étrange superposition, ne prit point trop de gants pour s’adresser au grand de l’époque :

Qui es-tu pour dire à Dieu ce qu’il doit faire ? …

C’est à ce moment-là de la conversation que nous pourrions avoir un aperçu de l’intrigante décohérence ! …

Pour revenir à notre petit monde, cette réplique du danois, pour être habile, est significative de la rupture entre deux représentations du monde, dans ce climat de dialectique serrée qui parcourt et stimule cet impressionnant regroupement spatio-temporel de génies à l’aube du XXème siècle !

Entre le chaos apparent dont hérite la physique quantique 1, et les brodequins de torture de la géométrie devenue analytique, infligée à un ciel majestueux que l’on pensait alors unique et statique !…

Héraclite, qui se moquait bien, et du temps propre, ou sale, de nos opinions successives, avait dit, à l’attention des théologiens renfrognés à venir : Dieu est un enfant qui joue !

La contradiction avec Einstein n’est qu’apparente, car Héraclite entendait par-là que l’enfant joue avec l’éphémère, avec ce multiple, qu’une fois adultes nous prenons au sérieux, dont nous affirmons qu’il existe !

Ainsi, le petit Albert devenu grand, n’oublia jamais les questions qu’il se posait enfant, indiquant par-là-même la voie royale d’un développement personnel non égoïste, mais ô combien fécond, que si peu empruntent : Avec quelle question êtes-vous venu dans ce monde ?

 

Le chemin courbe et le chemin droit ne sont qu’un !

Héraclite - Fragments.

Héraclite n’avait, selon toute probabilité, jamais entendu parler de cinématique, de géodésie, de géométrie riemannienne, de courbure de l’espace, de sa relation fusionnelle avec le temps, pourtant, mutatis mutandis, son paradoxe ne convient-il pas parfaitement à la trajectoire de la lune en orbite autour de la Terre, comme de tout objet soumis à la mystérieuse gravitation ? …

Alors, on peut s’en tirer avec cette idée qu’il eut l’idée, aux fins de se faire remarquer en cette période d’effervescence feutrée autour de la divulgation des mystères, de prendre un élément quelconque, et de l’associer à son contraire …

Puis de systématiser jusqu’à ce que mort s’en suive de nos représentations, inopérantes, il le savait, en dehors du monde sensible !

Pourquoi pas ?

Cela aurait l’avantage de nous épargner l’effort de l’étude, de la laborieuse mise en perspective de son apparition à la surface de Gaïa, mais ne saurait résoudre l’énigme Héraclite, dit "l’obscur" !

Comme souvent, portant sur ces hommes qui nous précédèrent, les actuelles conférences concernant leur pensée sont "attendrissantes" ! …

Pour les doctes ignorants qui s’y essayent encore, en résumé, il y est comme un canevas sur lequel ces petites mains de la Culture brodent leurs propres pensées, sans craindre jamais l’accusation d’anachronisme car, vous diront-ils : qui voudrait l’établir, n’aurait pas les moyens d’étayer sa thèse !…

Ce qu’il en fut exactement du psychisme des présocratiques, est enfoui sous les décombres entassés : des caricatures d’Aristote 1, des imprécations des gardiens de la nouvelle foi romaine, sur fond d’empire renaissant et de table rase, et, pour finir de dérouter les chiens spécialisés dans la recherche de traces de vie 2 , du temps qui fait son œuvre, ou plus exactement, inexorablement la défait ! …

Ces hommes, différents de nous, certes, mais que nous saluons d’autant plus volontiers qu’ils eurent, les premiers, le bon goût de se passer des dieux pour expliquer la nature, n’ont pour autant pas, c’est peu de le dire, inventé l’eau chaude, même si Thalès la voyait à l’origine de tout sans toutefois préciser sa température ! …

En effet, naïfs indécrottables, respectueux par avance de notre avance certaine, n’avaient-ils pas été les initiateurs de la démarche scientifique, sans toutefois en connaître ne serait-ce que le b.a. -ba ? …

Mais, contre toute attente, dans cette autosatisfaction d’un XIXème siècle repu de lui-même, un trublion s’annonça qui entendait bien restituer leur légitimité, cet état psychique où l’on ne réfléchit pas avec sa tête, mais, comme un adolescent en bouton, avec son corps …  

Ces hommes donc, s’ils plurent à Nietzsche, c’est qu’ils pensaient encore avec leurs tripes, plus ou moins bien assaisonnées, plus ou moins aigres, comme ce fut le cas de Schopenhauer, son seul et provisoire maitre, comme lui, tôt bousculé par la vie, celle-la même qui, comme l'a chantée le grand Jacques, rattrapé par sa perfidie : " La vie ne fait pas de cadeaux, et que c'est triste Orly le dimanche, avec ou sans Bécaud ! "

Pour cette même raison, le commandeur des incroyants prit Socrate en grippe, qui avait, le con, inauguré notre ère de loosers, abaissé nos défenses, ainsi abandonnés à la peste chrétienne, voulant nous faire faire la très illusoire part des choses entre ce qui en nous est immortel, et ce véhicule instable, imprévisible, soumis à la loi du devenir et de la mort, en un mot comme encens : notre corps !…

Ce tête-à-queue dans l’évolution, Nietzche avait bien le droit, en virtuose qu’il était, de le tenter à titre expérimental, si ce n’est, qu’échappé du laboratoire contenu à grand peine, les dégâts et les sorties de route furent nombreux et indescriptibles !…

Le parti nazi ne s’y était pas trompé qui préféra toujours le chantre de la volonté de puissance aux ratiocinations empressées de Heidegger, moins aptes, il est vrai, à justifier auprès du commun des mortels la nécessité de préferer une esthétique accessible aux circonvolutions d'une morale éthérée !

Pour revenir à Héraclite : une fois de plus, le daemon de Nietzsche, en cette incarnation que nous lui connaissons, s’était trompé d’époque !

S’agissait-il d’une réminiscence, de cette folle folie de remonter le cours de l’évolution, de faire comme avant ? … toujours est-il que sur ce point, il avait vu juste : les présocratiques pensaient encore avec leur corps, selon leur tempérament, dirions-nous désormais en première approximation …

Première approximation, car ce que nous appelons le tempérament est un intermédiaire entre nous, pauvres esseulés, dénaturés par nécessité, et ces hommes non duels, ressentant avec la même intensité, l’action de l’eau dans leur corps et dans la nature.

Ceux-là, pour faire court, n’étaient pas très loin, en termes d’évolution, de leurs très lointains prédécesseurs pour qui manger était un acte spirituel !

Un homme en colère comme Héraclite désigna le feu comme élément primordial, quand Thalès, le placide, désigna l’eau !

Vu d’en haut, à la verticale, au soleil de midi, quand le gnomon reste stérile, Héraclite et Einstein se situent à ce même endroit où le serpent de l’évolution se mord la queue !

Mais pour peu que l’on accepte de déplacer son regard, les mêmes mots recouvrent des réalités bien différentes : ce que l’un a vu en esprit lors de son initiation, saisi par l’impérieuse fulgurance d’une seule image, l’autre dut aller le chercher au fond de ses réminiscences, en accoucher aux forceps de son intellect, conceptualiser ses rêves qu’il piégeait à l’aide de ce tabouret complice de ses siestes ! …   

Ni cercle, ni vecteur : la spirale, voilà la géométrie qui nous attend !

 

 

1  Voir à titre d’exemple les travaux exemplaires d’Heinz Wismann, sur la falsification aristotélicienne des écrits de Démocrite.  Combien en a-t-il enterré vivants, ce fossoyeur impénitent, ce philistin adonné à ses seules observations ? Et, pour ce qui nous intéresse ce jour, ses attaques contre Héraclite, manière subliminale de déboulonner la statue du commandeur, du maître, de ce Platon qui, décidément, faisait obstacle à l'aventure occidentale qui s'achève sous nos yeux ! 

2 Tel votre serviteur !

 


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