Roscelin, Descartes, Spinoza ! ... Etes-vous bien sûrs de voir les choses différemment de ces trois-là ? ...

Pour nous faire une idée de notre origine, nous avions la chute telle que retransmise par la Genèse : mise en scène dans un décor insolite, puisqu’il ne s’agissait pas d’une falaise, d’un canyon, d’une montagne, mais d’un vulgaire pommier sous lequel se prélassaient, jusqu’à ce dénouement tragique, trois personnages rarement vus ensemble, un homme et une femme, rien d’anormal, apparemment au moins, si ce n’était la présence du troisième, un serpent, doué, qui plus est, de parole ! …

Allant, ce contorsionniste perfide, jusqu’à se faire séducteur, alors qu’habituellement, nous éprouvons une répulsion à sa simple vue … 2

En dehors du coté surréaliste du récit, personne ne songea à remettre en perspective cette genèse qui ne peut prétendre être première puisque l’Homme y est déjà en charmante compagnie !

Si Origène, encarté à l’époque où il vécut, n’avait par la suite été écarté par l’Eglise qui préfigurait alors les procès de Moscou, nous aurions pu, le moment venu, passer à un autre niveau de lecture, plus en conformité avec notre stade d’évolution psychique ! …

Le Judaïsme avait eu Maimonide, l’Eglise avait écarté l’un de ses meilleurs visionnaires !…

Les Grecs avaient, semble-t-il, une vue plus exhaustive que celle elliptique de la bible, qui ne firent intervenir Pandora que beaucoup plus tard, après que les hommes aient été chassés du banquet où, peu pressés d’évoluer, s’endormant à table, ils se complaisaient en compagnie des dieux !…

Peu importe la chronologie, le résultat dans les représentations n’est pas très positif, et les féministes ont, de ce point de vue oublié, mais toujours à l’œuvre dans l'anonymat du souterrain, du pain sur la planche : Eve la gourdasse, responsable de notre chute pour avoir commandé le plat du jour à un serpent; quant à Pandora, cette "chienne à la croupe attifée", ne fut-elle pas concoctée par tous les talents de l’Olympe pour une fois unanimes,  sous la houlette de Zeus, comme punition pour les hommes qui commençaient à thésauriser tous les bienfaits du feu indûment acquis, du barbecue à celui de l’Esprit ? …

Ajoutez à cela une création en six jours, nous qui comptons désormais en milliards d’années, et vous aurez, non pas la chute de l’Homme, mais celle vertigineuse de ce récit dans notre estime !

Alors, quitte à descendre de notre piédestal, autant le choisir moins haut !

Le singe fera l’affaire qui eut cette intelligence de nous mettre en valeur, tant il est patent que la nôtre surpasse de beaucoup la sienne !…

L’avantage en cette hypothèse - deux en un ! -, c’est que non seulement on ne tombe pas, mais que l’on peut se hisser !

D’autres genèses parsèment les représentations humaines, dont nous ne tenons pas compte, en ce qu’elles non plus, ne peuvent franchir l’épreuve de notre analyse rationnelle …

Contrairement à ce que pensent les descendants des anciens colonisés de l’Europe, ils n’ont pas l’exclusivité de notre condescendance, nous nous étions entraînés pendant des siècles à nos propres dépens en méprisant puis en ignorant le message de la mythologie grecque …

C’est, qu’anachroniques et superficiels, nous n’avons plus souvenir de l’effacement progressif d’une intense et très ancienne relation au mystère du monde par l’image, devant l’irruption déstabilisante de notre nouveau dieu par substitution, j'ai nommé notre froide et ingrate abstraction !

L’univers en expansion se refroidit, dit-on ! … ce qui est sûr c’est que notre relation à celui qui nous donna la vie, s’est singulièrement rafraîchie !

Pour exemple de cette métamorphose de nos représentations, quand nous parlons de ces forces que nous ne voyons pas, nucléaire faible, nucléaire forte etc. … les anciens Grecs voyaient eux en esprit, comme dans un rêve éveillé, les forces à l’œuvre en eux, comme dans le macrocosme, sous forme de personnages …

Empressons-nous, ignares que nous sommes, de ne pas sourire, laissons nos épaules serviles en dehors du débat ; tous les mystiques de toutes les époques, savent que le monde suprasensible ne se donne à voir qu’en fonction de l’état d’avancement spirituel et psychique de celui qui y est admis, et, a fortiori, puisque nous aimons tant extrapoler, en fonction du degré d’évolution de ceux de son temps !…

Il serait temps de le reconnaître : nous sommes des usurpateurs !

En effet, si la modernité consiste, non pas à s’encombrer d’un nouvel appareil électroménager comme dans les années 50 du siècle dernier 3 mais à se débarrasser le moment venu des idées et valeurs qui encombrent nos représentations, il se trouve que ce moment est venu plus souvent qu’à son tour depuis des millénaires !

Pour ce qui nous concerne, si le siècle des bougies, dit "des lumières", s’est acharné à mettre sous l’étouffoir sa véritable origine, une analyse décontaminée de toute idéologie, exhume une rupture plus ancienne, plus fondamentale, avec les représentations de nos anciens, et dont ce siècle de bruit et de fureur, ce "m'as-tu vu" impénitent, n’est qu’un épiphénomène ! …

Cette rupture fondatrice fut promptement ensevelie par l’histoire officielle, superficielle, glorifiante et obséquieuse, sous l’épitaphe absconse : nominalisme !

Et si, pour faire bon poids, l’on sait que cette nouvelle représentation du monde se fit jour en plein moyen âge, au tournant des XIème et XIIème siècles pour être précis, alors bouchons-nous le nez et passons notre chemin ! …

Le trublion, oublié de l’entre-soi des usurpateurs autoproclamés modernes, s’appelle Roscelin !

Il n’était apparemment pas destiné à faire long feu, non qu’il fut brûlé en place publique, mais enterré vivant sous l’accusation d’hérésie …

Quand la saison nominaliste fut venue, commença la chasse aux croyances !

Le paradoxe, c’est que ce mot ne nous dit pas grand-chose alors qu’il avait lui-même décidé de la mort de certains mots en ce qu’ils ne seraient que des mots, ou, pour le dire autrement, ne disaient rien de la réalité !

L’autre paradoxe tient à notre oubli de cette période vertigineuse, véritable révolution conceptuelle, départ de la modernité, à tout le moins la dernière en date, la nôtre, qui s’empressa de ne jamais rendre hommage à ses véritables racines !

Il est vrai que Roscelin de Compiègne était un moine théologien, et qu’il aurait éventuellement pu faire l’affaire, si toutefois il s’était défroqué, ou avait fini au barbecue !  

Nous avons depuis lors, quelque peu évolué, puisque nous avons fini par admettre l’abbé Georges Lemaître au panthéon des inventeurs du Big bang, mais qui s’en souvient ? … Vous savez, c'était il y a si longtemps ! …

Que le vertige nominaliste, épargné à nos représentations en raison vraisemblablement de cette faiblesse soudaine, soit responsable en grande partie de la pensée philosophique occidentale des huit siècles qui suivirent, jusqu’à Kant, son rejeton prestigieux qui, lui, sut prendre la lumière en même temps que les idées des autres, voilà qui n’est pas parvenu jusqu'à nos esgourdes, sachant que le son, pour se déplacer a besoin de l’air … du temps, en l’occurrence ! …

Pour le dire autrement, on ignore souvent que la majeure partie des icebergs qui dérivent en notre direction, annonçant par-là de grandes mutations, se trouve sous la surface, pour accorder notre regard à la seule partie émergée !

Nous ne savons rien de cette lente dérive de la pensée qui s’était alors détachée de son socle !

Non, la seule chose dont nous nous aperçûmes, c’est ce qui dépassait, incarné par deux silhouettes qui se découpaient sur l'horizon, Descartes et Spinoza !

Celui qui proclama la réalité de l'existence du "Je", si besoin était !..., et celui qui décrèta la mort de dieu, à tout le moins celui des religions monothéistes, pour, fossoyeur impénitent, honorer le sien ! …

Pour en revenir à la partie immergée de l’iceberg, ce nominalisme était né d’un vertige soudain, d’un doute envahissant, d’une remise en question radicale de la réalité des universaux, ce mot devenu depuis lors si singulier ( Le lion, l'arbre, l'Homme etc.), à commencer par les mots qui les désignent ...

Tout bien considéré, ne seraient-ils pas que des commodités de langage, des compendium, des abrégés, pour faire plus court, en attendant Twiter  ?…

Cette montée en puissance du sentiment du "Moi", accompagné de ses impatiences, qu’Augustin, l'ancien manichéen, resté à l'Homme universel, avait eu le plus grand mal à contenir face aux arguments du moine Pélage, figure de proue de cette mutation, ne peut plus faire de doute, encore qu’elle inaugure un doute radical, un vertige qui s’empare de l’individu lorsqu’il commence à considérer que tout ce qu’il pensait être réel, n’est précisément qu’une production de ce "Moi" !

Six siècles donc, avant le hold up sur la pensée, revendiqué, urbi et orbi, par Descartes, l’Homme n’hésite plus à s’approprier ce qui jusqu’alors n’était qu’une perception, au prix toutefois vertigineux du doute !

La mise en question de ces quelques mots jusqu'alors fondus dans le décor, ouvre, sans trop le savoir, la boîte de Pandore, l’interminable procès en légitimité de la connaissance !

Ainsi, nous l'avons esquissé plus haut, pour un nominaliste, si l’on y regarde de plus près, et pour ne prendre qu’un exemple, "le loup" n’existe pas ! J’en vois bien un là-bas, vous dira-t-il, mais il ne ressemble pas exactement à cet autre qui le suit !

Et de fil en aiguille, l’on va détricoter ce qui s’était "indûment" installé dans notre langage, dans nos représentations, et donc dans nos croyances …

Seul le singulier existe, c’est évident, le reste, ce ne sont que des mots, des noms, des raccourcis, et pour tout dire des commodités de langage !

Par extension, seul le singulier est universel !

Un peu plus tard, le léger vertige qui concernait le ciel, le monde intelligible de Platon, quelques lettrés en somme, se poursuit par une plongée en Terre inconnue : les lois ont l'air de fonctionner au sein de notre conscience, mais ont-elles un quelconque rapport avec la réalité, et quand bien même cela serait avéré, depuis quand et jusqu’à quand ?

Pour en revenir à nos moutons qui ne se laissent plus tondre comme jadis, ce n'est plus du seul renversement de Platon dont il s'agit, mais d'une révolution psychique !

Au diable vauvert le monde intelligible, le monde des idées, des archétypes, des universaux, au pilori cette transcendance qui trouva, c'est un comble, à exister incognito sous le couvert de mots inventés !…

La disparition de nos mémoires de ce Roscelin de Compiègne est-elle due à l’omerta de l’Eglise romaine qui craignait que cette analyse n’aille jusqu’à remettre en cause le dogme de la Trinité ?

Ou sommes-nous ainsi faits que nous nous empressons d'oublier ceux qui nous firent ?

Voilà pour la surface des choses !

Toujours est-il que le ver était dans le fruit et que chacun des penseurs à venir, en proie au doute, dut prendre position, en faveur de la table rase, vraiment rase, comme Spinoza, ou pour un mix des deux comme Descartes ou Kant !

En conclusion, avec le nominalisme l'Homme est devenu étranger aux Cieux, mais le doute, sournoise rançon à payer au "Moi", voudra toujours plus, jusqu'à ce qu'il devienne étranger à la Terre, sentiment qui culmine avec Kant qui signe l'arrêt de mort de la connaissance objective et partant, la débâcle de l'individu qui tente de s'acheminer vers l'Esprit par ses propres moyens ! 

Descartes, opportuniste ?

Descartes et Spinoza ont fait couler beaucoup d’encre, liquéfié beaucoup de croyances, aussi, il nous semble inutile d’ajouter un ultime et provisoire point de vue à l’apparente cacophonie !

Pour l’un comme pour l’autre, nous nous contenterons donc de communiquer des informations inédites, bien que disponibles ! …

Sans doute ne correspondaient-elles pas à l’idée que, ni leur époque ni la nôtre ne s'en font !? …

La Porte des Lions a déjà signalé, pour Descartes comme pour Newton, ces aspects tenus secrets qui viendraient ébranler l’idée que l’on s’en fait, et partant, si nous avons un peu de suite dans les idées, l’estime en laquelle nous tenons nos représentations ! …

Descartes tout d’abord :

Sa signature, provisoirement éternelle, le cogito ergo sum 4 , si elle eut l’heur de plaire aux habitants du XVIIème siècle, avait en fait été élaborée au Vème siècle par un homme déchiré entre son "Moi" vibrionnant, et sa difficulté doctrinale à accorder cette singularité à ses contemporains !…

Ce mutant précoce se nommait Augustin d’Hippone, qui, comme Descartes, son lecteur obligé, mais bien avant lui, s’était mis à douter de tout, sauf précisément de ce doute qui lui conférait, pensa-t-il,  quelque assise pour cet étrange sentiment d’exister ! 5

Trop tard pour réclamer des droits d’auteur, mais, à la lumière de ce retard à l’allumage, il est grand temps en revanche de comprendre que c’est le siècle, donc l’inconscient collectif, qui décide de l’importance d’une idée !

Et partant, que l’inconscient collectif, observé il y a peu par l’indispensable Carl Yung, est évolutif, en fonction notamment des pérégrinations silencieuses de la psyché …

Était-il plus prudent que Spinoza qui, lui, n'avait plus rien à perdre, toujours est-il que l’adepte de la table rase y avait laissé, à tout hasard, quelques bibelots de famille, parmi lesquels figurait la Révélation ?

Spinoza vs religion : échec et mat !

Dans une partie d’échec, celui qui est "échec et mat" est acculé, comme empêché, ne peut plus répondre !

Ce fut en quelque sorte le sort réservé à la Religion après la diatribe de Spinoza, superbement menée à son encontre et que personne, à part quelques grenouilles privées de bénitier, ne songea, ni ne songerait à remettre en question, tant elle était juste ! …

Mais à l’examen, il s’agit d’une victoire en demi-teinte, car l’Eglise avait décidé depuis belle lurette, et du champ et des règles de la bataille ! …

Bien entendu, personne n’en parle, cela ne fut pas exhumé, à commencer par Spinoza lui-même qui dénonça avec le talent qu’on lui sait les manipulations de la religion, mais s’acharna à réfuter le seul dieu qu’elle avait sculpté au fil des siècles, en fonction de ses spéculations et de son appétit de pouvoir …

Qu’est-à-dire ?

Au XVIIème siècle le monothéisme dit chrétien - devenu religion d’Etat depuis que l’Etat romain contraint, à défaut d’être contrit, s’en était fait une religion !- avait fini par élaguer tout ce qui viendrait contredire l’idée d’un dieu unique et transcendant !

On peut même dire, car le diable est dans les détails, que le nominalisme, s’il n’a pas réussi à remettre en cause le dogme de la trinité comme cela était craint en haut lieu, a contribué, complice objectif, à vider le ciel des hiérarchies célestes …

Dans ce pays qui fut baptisé "fille ainée de l’Eglise", funeste présage, les hièrarchies célestes qui validaient jusqu'alors leur réplique fractale dans celle du clergé, n'échappent, pas plus que les universaux, au doute qui ronge le passé !

Pour définir son dieu de manière rigoureuse, privilégiant, en homme de son siècle, la froide rigueur des mathématiques aux passions, qu’elles soient tristes ou joyeuses, Spinoza plongea tête baissée dans l’aversion commune, anachronique et prétentieuse, de l’anthropomorphisme, pour, en toute logique, définir ce que son dieu avait de radicalement différent de l’Homme !

En rupture de ban, il n’avait apparemment pas lu ou retenu Maïmonide qui, en anthropologue subtil, attentif à l’évolution du psychisme, avait très bien compris que le dieu de Moïse, ce dieu aux passions tristes, était alors ainsi présenté aux hébreux afin qu’ils puissent se l’approprier …

Il fallait alors faire le saut inimaginable des idoles minérales au dieu invisible, sans que pour autant celui-ci soit inaccessible !

Un jour viendra où Yahvé pourra dire à son peuple, arraché aux images, plongé dans l'introspection par d'incessants commandements :  Je suis le Je suis !

Echec et mat, certes ! …mais pour autant le roi n’est jamais capturé !

Sur la question essentielle de la résurrection, quant à la singularité et à la grandeur du christianisme, Spinoza, très curieusement, s’est laissé complètement abuser par la présentation indigente, fallacieuse, et à terme contreproductive, qu’en faisait l’Eglise de son temps, orpheline d'un ciel qu'elle avait escamoté pour se présenter seule sur scène !

Se pensant à l’abri de l’Inquisition dans le refuge des correspondances privées, il écrit à Oldenburg 6 qu’il ne croit pas à la résurrection de Jésus en chair et en os, si l’on peut dire, mais prend en considération ce passage relaté par les évangiles, sur un plan allégorique !

Or, si l’Eglise de l’époque avait opéré une réelle exégèse des passages qui relatent ce phénomène étrange, elle se serait aperçue qu’il ne s’agit pas de résurrection dans la chair, mais d’apparitions dans un intermonde entre notre monde sensible et le monde intelligible, monde imaginal qui n’a rien d’imaginaire, qu’Henri Corbin nous ramena de la Perse islamique, celle-ci ayant eu le génie de conserver et d’expérimenter tout ce que l’Occident avait jeté ! …

La Porte des Lions a souvent salué le travail émancipateur de cet homme utile à son époque que fut Henri Corbin !

Hébétée, l'Eglise romaine, désormais moribonde, mettra-t-elle moins de temps à reconnaître cet apport magistral qu'elle n'en mit pour réhabiliter Origène ?

Un ami d'enfance, conceptualisant inconsciemment le mythe de Sysiphe ou celui, voisin, du tonneau des Danaïdes, me disait souvent : Pierrot, on va y arriver, il sera trop tard, mais on va y arriver ! ...

Quelques exemples sur ce qui fait le sel du christianisme, avant votre propre lecture : C'est tout d'abord les apparitions "fantasmagoriques" du jeune homme en robe blanche : lors de l'arrestation de Jésus, il s'enfuit nu, laissant sa seule robe au sbire qui voulait lui mettre la main dessus; c'est la déstabilisation de Marie-Madeleine qui croit voir le jardinier tout en ayant un peu plus tard la certitude, à entendre le son de sa voix, qu’il s’agit de son maître; c'est l'apparition aux disciples d'Emmaüs, à dix kilomètres du Golgotha, qui ne le reconnaissent qu'un peu plus tard à certains gestes, et disparaît quand ils veulent le retenir; c'est ses apparitions aux apôtres dans la chambre haute, alors que la porte d'entrée, le texte y insiste, est vérouillée ! …

Une lecture littérale aurait donc suffi, si toutefois l'Eglise n'avait pas "vidé" le monde suprasensible de sa complexité au nom d'un monothéisme doctrinal de plus en plus frileux ... 


Ce que, ni son époque ni nous-mêmes, ne voulons savoir de Spinoza !

Il n’est, bien entendu, pas le seul des philosophes adulés par une opinion qui en avait déjà inconsciemment décidé !

L’histoire de la philosophie aime les disputes, comme son ainée, hier encore friande de batailles, de mariages arrangés, de ce qu'ils décidèrent in fine qui n'avait point été décidé, bref, de l'écume des choses ! ...

Elle se prélasse à la surface des choses, ignorant, comme la géographie de nos ainés, le souterrain, la tectonique des plaques, l’inéluctable mouvement qui décide de nos positions, si lentement à l’échelle d’une vie humaine, que nous pensons savoir ce qu’il en est des choses, comme de ce qu’il en fut et n’est pas encore ! 

Cependant, de ceux qui émergèrent lors des trois siècles écoulés, Spinoza est celui dont on se réclame, sans le nommer toujours, dissimulant à peu de frais, une certaine forme d’indigence, d’inertie, de relativisme, cette autre face présentable de la fainéantise intellectuelle ! 

Tentons alors d’avancer vers cet OPNI 7, sans préjugés, s’interdisant de juger d’emblée, sans volonté de récupération, avec l’abnégation dont il fit preuve, s’agissant du regard des autres !

Lui qui avait dit tant de choses sur tant d’autres choses, se montrant novateur, prolixe, talentueux, voire doctrinal, se révéla quasi mutique dans sa vie privée, lorsqu’il fut confronté aux trois grandes questions que ses admirateurs empressés étaient pressés de lui poser : sur la morale, l’idée de Dieu, la liberté …

C’est donc dans ses correspondances, là où cet électron libre se sent le moins prisonnier du regard des autres, de son époque oppressante, voire de sa propre doctrine, qu’il refuse manifestement, quitte à décevoir ses proches et ses admirateurs, de donner des consignes, de délivrer du prémâché, dans l’un ou l’autre de ces trois domaines, se contentant toutefois d’indiquer une méthode pour ce qui concerne la possibilité d’une libération.

En deux mots, pour ne pas embourber notre propos : "faire selon sa nature !", ce qui suppose qu’on l’ait identifiée au préalable, "nature" qui, dans sa bouche, n’est ni instincts ni passions, tristes ou joyeuses, mais correspond au véritable soi !

"Connais-toi toi-même !", "va vers toi !" …  disait l’antiquité désintéressée, avant la supercherie mercantile du développement personnel !

Si l’on en revient à ce qui se joue dans le souterrain de l’infra-conscient, dans cette montée en puissance du sentiment du "Moi", on peut affirmer sans crainte que Spinoza, le tout premier, porta ce sentiment à son point d’incandescence, qui refusa tout ce qui pouvait ressembler à une révélation, intermédiée tout au moins, à une tradition, à une manipulation, comme toute légitimité au message des sens, bref, tout ce qui venait de l’extérieur tenter de séduire ou de tromper la vigilance du "Moi" !

D’où la confiance aveugle qu’il fit à ce qui ne pouvait émaner que de son propre entendement, se développer avec la certitude désintéressée des mathématiques !

Ce régime sévère qu’il infligea à la pensée n’avait d’autre but, il s’en était ouvert - mais nous restons fermés à cet aspect mystique de sa personnalité ! - que de dépasser enfin celle qui, de récente extraction,  nous avait permis de nous distancier des phénomènes, de nous dénaturer, tout en reconstruisant un monde enfui, pour s’avancer vers l’Esprit, la vérité, qu’il objectiva sous forme d’"intuition", cette dernière, par définition, ne nécessitant aucun raisonnement ! …

Vraisemblablement porté, sans s’en réclamer, par le courant né avec Roscelin, devenu furieux, dévastateur, sous la houlette d’Occam, certain que l’Homme tel que le voyait encore Augustin, l’ancien manichéen, n’existe pas, ou, plus exactement, n’existe plus, que chacun est absolument singulier, se dépatouille comme il peut, il refusa à ses amis le moindre conseil moral, la moindre indication, le moindre contenu de l’idée qu’il se faisait lui-même du divin, surplombant ainsi sa propre doctrine en cours d’élaboration, consentant à indiquer une voie possible de libération aux esclaves de l’illusion du libre-arbitre !

Dans le même temps - et je souhaite bonne chance à ceux qui pensent pouvoir sortir indemne du labyrinthe de sa pensée ! - il ne peut s’assurer de la réalité de son Moi, conforme en ceci à sa doctrine, qu’en tant qu’émanation de la "substance", modalité unique et provisoire destinée à disparaitre dans l’ultime fusion …

Tout bien pesé, il ne fit confiance qu’à son "Moi" pour tenter de s’assurer du mystère de l’univers, mais qui, une fois cette prouesse accomplie, ne lui laissât aucun espoir de survivre à son inéluctable dilution …

Les anciens Perses, s’ils étaient encore audibles, malgré le vacarme mental de notre exil, lui auraient peut-être suggéré que rien n’est stable ni définitif dans ce bas monde, pas plus que dans le monde suprasensible !

Peut-être auraient-ils ajouté, mais le temps n’était pas venu, ou dépassé, que la confidence d’Achille à Ulysse, de passage aux enfers, disant avec amertume qu’"il préférerait désormais être mendiant sur Terre que Roi au royaume des ombres", ne serait plus de mise, que désormais la mort physique ne signifie plus la dissolution du Moi !

Pour tenter de mettre de l’ordre dans nos idées face à une pensée si complexe, revenons à une loi de l’évolution psychique des hommes dont, il faut le souligner, nulle anthropologie d’école ne fait mention !

Tout s’y rejoue, mais à des niveaux différents !

Alors s’impose la figure de Plotin, revenue en grâce auprès de nos intellectuels, mais qui donnait des boutons, pour le moins qu’on puisse dire, à ceux qui les précédèrent aux commandes des représentations …

Pourquoi Plotin ?

Parce que comme Spinoza, il ne considéra pas la pensée comme un absolu mais comme une étape qui permettrait éventuellement de l’atteindre !

Avant de prétendre à quelque transformation spirituelle que ce soit, la nécessité des purifications, de l’ascèse, dont bruit toute l’antiquité, dans les temples comme dans la littérature, se traduit chez Spinoza par ce stage spartiate qu’il impose à sa pensée, coupée de toute aide extérieure, obligée d’aller chercher la vérité au tréfond de son âme, dans cette partie cachée qui, ce que savait encore Plotin, reste en contact crypté avec sa source …

"Souvent, quand je m’éveille à moi-même" 8 … remarquons qu'il ne dit pas "dans le temple", non, c’est pour lui naturel, "souvent", c’est trois fois dans toute sa vie, mais pour autant, c’est exorbitant à ce stade de l’évolution;  Plotin est un attardé de l’évolution psychique, un exempté provisoire du rapt de Perséphone ! …

Spinoza ne fera pas ce type d’expérience, tout cela s’est déporté vers le plan intellectuel, mais après avoir martyrisé son raisonnement, laissant celui des autres sur le flanc, il aperçoit celle qui s’en passe depuis l’éternité : Isis, la strip-teaseuse, ou, pour le dire autrement, la Vérité qui se dévoile à celui qui en a payé le prix, sous forme d’intuition ! …

C’est vraisemblablement cette dernière qui lui fait dire que la "substance" s’est manifestée lors de  l’incarnation du Christ !

Enfin, non pas pour en finir avec Spinoza, mais bien au contraire, pour commencer avec lui, quelques réflexions !

Nous avons vu qu’il avait choisi, à "l’insu de son plein gré" 9, de combattre sur un champ délimité par l’Eglise !

Pour autant, il s’y est montré vaillant et décisif : sur les manigances de cette machine à asservir le peuple, "le vulgaire", ainsi disait-elle,  après l’avoir culpabilisé, maintenu dans l’ignorance, se présentant comme seul intermédiaire du monde spirituel, progressivement dépouillé de sa complexité, de son évolution, interdit de présence dans le ciel étoilé, dans la nature …

Sans l’affirmer, sans le savoir peut-être, il renoue avec la parole du Christ qui fustigea les pharisiens, ces ancêtres des prélats qui s’interposent entre Dieu et chacun d’entre nous, s'ouvrit à la Samaritaine d'une prédiction qui commence seulement à se réaliser, où l'on voit la relation avec le monde spirituel ne plus se faire, ni sur la montagne sacrée, ni à Jérusalem, lorsque le temple y trônait encore, mais "en esprit et en vérité ! "…

Sur la question de Dieu qu’il rebaptise "substance" pour l'exonérer de tout ce que ce mot charrie,  en rupture totale avec toutes les religions monothéistes, il affirme que celui-ci ne fait plus mystère, que l’on peut s’en assurer à l’aide d’un raisonnement bien mené…

Ainsi pour exister en tant que Dieu et non comme un simple mortel, il faut qu’il soit, lui, et lui seul, cause de lui-même, seul au monde en ce privilège, le mot ne convenant qu’à moitié car personne d’autre que lui n’aurait pu le lui conférer !

Qui pourrait contester cette version ô combien plus intelligente, moins imagée, plus abstraite, que celle d’Aristote, initiateur de la philosophie de garage, inventeur du premier moteur immobile ?…

Enfin, comme son leitmotiv était de ne rien accepter qu’il ne puisse comprendre, remontons à la racine de l’Occident qui tient en quelques mots que les nominalistes, curieusement n’ont pas songé à inquiéter : "ce qui est, est, ce qui n’est pas n’est pas !"

Cette tautologie, ainsi nommée tant elle nous parait désormais évidente, fut l’œuvre du démiurge de la pensée occidentale nommé Parménide !

De ce point de vue, Spinoza, apatride malmené par l’histoire et l’imbécilité, à moins que ce ne soit l’inverse, fut avant tout un citoyen de l’Occident !

En effet, qu’aurait-il bien pu faire, avec son raisonnement en bandoulière, de l’Un des néoplatoniciens, de cet "au-delà de l’être", de cet ineffable, ou de ce que l'on en suggère dans le Rig-Véda des anciens hindous :  Au début, il n’était ni être ni non être, l’Un respirait sans souffle ! …

Quel raisonnement, quelle géométrie, permettraient de s’assurer de cet au-delà de la transcendance ?

Apparemment Spinoza n’avait pas lu Maimonide, ni même Origène, mais il est vrai qu’il ne voulait rien devoir à personne !

S’il avait pris en considération le recul de ces deux-là, il aurait peut-être décelé dans la parole du Christ qui parle de son "Père" par la bouche de Jésus, une concession faite au niveau d’évolution de ses auditeurs, présents et à venir, auxquels il eut été vain de parler de l’Un et du multiple, de l’extrême complexité et de la perpétuelle évolution du monde spirituel, où, pour ne prendre qu’un exemple, un dieu peut être issu de la pensée d’un autre dieu !…

L’apport décisif de Spinoza à l’évolution de l’humanité !

Il a cru pouvoir démontrer ce qu’il en était du divin, et surtout ce qu'il n'était pas! 

Son époque, ainsi libérée de l’obscurantisme et du terrible jugement dernier, toute éberluée que cela fut au fond "si simple", avait applaudi des deux mains ! ...

Toutefois, lorsque l’on s’extirpe, et de la pensée occidentale, et de l’ignorance savamment entretenue par les princes de l’Eglise, on aperçoit tout à la fois, la prétention et la limite du raisonnement, en face du mystère dans lequel nous barbotons !

Ce qui importe, c’est qu’après son intervention, cette déflagration dans le monde assoupi des usurpateurs et des immatures, comme Kant nommait ces derniers, nul ne peut plus confisquer le divin par un quelconque discours !

Pour être herculéenne, la tentative de compréhension personnelle du monde spirituel peut alors prendre appui pour un premier élan !

Quand bien même il y aura des rechutes, des consciences fracassées, c’est le sens de l’évolution qui nous construit en tant qu’entité autonome, avec "toujours plus de liberté" pour seul impératif catégorique !

La relation avec le divin, mutatis mutandis, ne se fera plus sur le mont sacré, ni à Jérusalem, où trônait alors le temple, mais "en esprit et en vérité !"

Cette prédiction faite, il y a deux mille ans à la samaritaine, est, à l'évidence, en passe de se réaliser, d'autant qu'avec la relativité restreinte, nous pouvons désormais comprendre que le temps pour un esprit, fut-il provisoirement incarné, n'est pas le nôtre, que la nécessité cosmique n'a que faire de notre pauvre jugement !

Naturellement l’on m’objectera, qu’alors, le risque d’égarements divers et variés, devient énorme !

A ces retardataires, je répondrai : qu’en fut-il,  et qu’en est-il encore des religions qui, pour l’opinion désormais informée, furent source de nombre de persécutions et de guerres atroces, opinion qui désormais, vote avec les pieds, massivement, comme l’on disait à l'époque de la guerre froide, de ceux qui s’enfuyaient du pays où fut instituée une religion sans dieux ?

 

  

1 Moine théologien du XIème siècle, en proie au vertige du Moi qui, tout à la fois s'impose, mais ne se fait pas confiance pour décider des mystères du monde !

Ce vertige existentiel entraîna ceux qui en furent les victimes à sauter dans le vide, j'entends par-là, dans un monde réduit à un décor que nul n'aurait dessiné, que rien ni personne n'aurait mis en place, pour une pièce tragique dont les acteurs en sont réduits à improviser, jusqu'à ce que mort s'ensuive ! ... 

Cette crise dont nous ne sommes toujours pas guéris, c'est le nominalisme, théorie qui enflamma l’Occident, réduisit en cendres ce en quoi il avait cru jusque-là, prélude à l’occident nouveau qui ne se souvient même plus être le résultat de cet incendie !

Cette série d’oublis est caractéristique de notre époque dont la mémoire est encombrée d’inutile, alors qu’elle résulte en grande partie de cette crise nominaliste, étape fondamentale de notre évolution psychique, vue et mise en scène il y a plus de deux mille ans, à Eleusis par les anciens Grecs, sous l’annonce mystérieuse du Rapt de Perséphone …

Nous devrons y revenir sur La Porte des Lions !

2 Concernant la signification oubliée du serpent, La Porte des Lions a souvent tenté d’en restituer le sens premier, qui va bien plus loin que celui d’un simple symbole, mais convoque une anthropologie qui ne serait pas amputée de cette dimension essentielle qu’est l’évolution de notre psychisme, qui ne se pincerait pas le nez devant la mythologie qui en sait beaucoup plus sur nous que nous n’en savons sur elle !…

3 Après le traumatisme de la guerre, des privations, du marché noir dont la plupart ne voyait pas la couleur, suivi de celle des tickets de rationnement, vint la catharsis de la profusion, de l’inutile désormais : "Mon oncle", film de Jacques Tati sorti en 1958.

4 Je pense donc je suis ! en français dans le texte accessible au vulgaire … L’emploi du latin indique-t-il une certaine filiation, une certaine déférence à l’égard de cette Eglise qui voulait surtout ne pas se faire comprendre de ce vulgaire dont elle parle à mots feutrés ?

5 La cité de Dieu Livre XI.

6 De la Royal Society de Londres, qui joua en Europe, dans la seconde moitié du XVIIème siècle, un rôle quelque peu analogue à celui de Solvay dans la première moitié du XXème siècle, auprès des physiciens à cette époque. Les passages relatifs au Christ sont extraits en partie de cette correspondance entre chercheurs de vérité, notamment la lettre 78.

7 Objet pensant non identifié !

8 Souvent (en fait, à trois reprises !), je m’éveille à moi-même ! … Le compte rendu de son voyage initiatique, extatique, légué à la postérité perplexe par son élève Porphyre …

9 Totalement décalé, redondant, je vous l’accorde, mais décrivant si bien, selon moi, le fourvoiement nécessaire de cet esprit subtil ! … mais plus encore, je voulais rendre hommage à Bruno Gaccio, âme des guignols sur Canal+, à partir de 1992, dans ces années où la France savait encore faire preuve de légèreté, de cette dérision aux dépens des puissants, des hommes en vue, qui au total nous attendrit souvent, pour, désormais, percluse de lourdeurs, de revanches fantasmées, de rumeurs assassines, se diluer dans la haine et la vulgarité !…

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