L’Homme superposé !
De quoi s’agit-il ?
D’un héros de science-fiction ou de la créature d’une
imagination déréglée ?
Car enfin, si la superposition de différents états existe
bel et bien dans le monde microscopique, dit quantique, chacun sait que dès que
l’on aborde le monde macroscopique dans lequel vous et moi déambulons, cette
bizarrerie disparaît soudainement. 1
Donc, notre cohérence, cochon qui s’en dédit ! établit que lorsque
nous sommes éveillés, nous ne dormons pas, et que lorsque nous sommes morts,
nous ne sommes pas vivants !
Mais, car il y a un "mais", à l'image du temps des
physiciens, cela dépend de notre référentiel culturel, et surtout psychique en
l’occurrence, car nous n’avons pas toujours vu les choses ainsi ! …
Prenons quelques exemples que nous nous empressâmes
d’oublier, avec ceux qui furent témoins de cette superposition chez certains de leurs contemporains, voire l’ont expérimentée !
"L’âme, notre double, dort quand nos membres agissent, mais quand ils dorment, elle nous fait voir l’avenir !"
Pindare 2 , poète lyrique du Vème siècle avant J.C .
"Dans le sommeil, l’âme est tout éclairée d’yeux, à qui le
don de voir est refusé quand vient le jour !"
Eschyle, contemporain de Pindare, premier des trois grands
tragiques grecs.
"Souvent, lorsque je m’éveille à moi-même, en sortant de mon
corps … !"
Plotin, philosophe néoplatonicien du IIIème siècle
après J.C.
Ainsi que, plus récemment, Einstein, que l’on n’a pas encore
eu le temps d’oublier, sans pour autant accorder la moindre attention à cette
manière si singulière qu’il avait d’aller chercher ses idées !…
Pour la petite histoire, mais pour celle ô combien plus
importante de nos savoirs oubliés, il faisait, selon ses propres dires, sa sieste
sur un tabouret, pour, qu’au moment de sombrer dans le "sommeil muet", sa perte
d’équilibre lui permette de retenir in extremis ce qu’il avait vu en rêves …
"Je dors peu, mais je dors vite !", disait-il aussi !
Était-ce seulement une boutade, ou savait-il ce mystère du
différentiel de temps que vit notre conscience, suivant qu’elle est prisonnière
de notre corps lors de cette phase que nous nommons éveil, ou, une fois libre
de cette contrainte spatio-temporelle, ou adonnée à cette intense activité occulte que nous
nommons sommeil ?
A tout le moins il en avait forgé les clés d’accès, en dépouillant
le temps de son caractère absolu, installant ce concept tout à la fois novateur
et opportunément déconstructeur de nos représentations : "il y a autant de
temps qu’il existe de référentiels !"
Beaucoup trop peu saluent cette avancée qui permet, notamment, de rendre le GPS pertinent ! ...
Moins nombreux encore, seront heureux d’apprendre
que le temps où évolue notre conscience s’accélère prodigieusement, dès lors
qu’elle n’est plus soumise aux contraintes de notre corps physique, et partant,
de ces espace et mémoire terrestres qui nous encombrent ! …
Cette phase qui occupe en général le tiers de notre vie, les initiés de l’antiquité la nommaient : "la petite mort ! "
*
* *
Pour en revenir à Pindare et Eschyle !
Homère, le poète aveugle, avait vu loin !
Plus loin sans doute que là où nous en sommes au XXIème
siècle !
"Se rendant présent au passé" - comme sut si bien le dire
Jean-Pierre Vernant d'un phénomène pour le moins intriguant ! -, il avait tenté de signaler à notre attention distraite, le
saut psychique qui nous annonce et devait infuser progressivement dans les consciences …
De quoi s’agit-il ?
Tout simplement de la folle et annonciatrice prétention des
Grecs, retour du massacre final perpétré à Troie, de leur désir inédit, disruptif, de s’accaparer la responsabilité de la victoire, faisant désormais fi des dieux et
de leurs manigances ! …
Ainsi commença notre dramatique et actuelle odyssée,
recherche obsessionnelle de notre âme, mise en scène par les tribulations d’Ulysse
avant de pouvoir retrouver Pénélope, incarnation de la sienne dans le récit !
Quant à nous qui ne sommes plus en mesure de mettre, ni en
scène ni en perspective, notre propre destin, Ithaque ne semble pas en vue; notre
exil se fait toujours plus prégnant, nous sommes, plus que jamais, au moins pour
ceux qui n’ont pas abandonné, à la recherche de la réalité de notre âme, de notre "moi" par conséquent, et, si cela
n’est pas trop demander, de sa pérennité !
Flash-back !
Un ou deux siècles n’auront donc pas suffi à la vision d’Homère pour qu’elle devienne réalité !
Pindare et Eschyle, accordent encore,
c’est évident, une place prépondérante à l’intervention divine dans la vie des
hommes …
Eschyle, pour souligner la responsabilité des dieux dans
notre tragédie ; Pindare, pour les célébrer de manière dithyrambique,
torrentielle, oraculaire, au travers de l’exploit du héros vainqueur des jeux !…
Pour autant, ce tournant annoncé par le poète aveugle, était
de loin beaucoup plus important - cela n’est toujours pas entrevu ! - que
celui ultérieur de la naissance de la philosophie !
Car, si vous m’avez bien compris, les premiers philosophes
sont les descendants des vainqueurs de Troie : plus rien ne sera comme
avant, on va se passer des dieux pour expliquer ce que nous vivons, mais aussi la nature, ce cadre hier encore habité, dans lequel nous déambulons, et jusqu’au cosmos, cette organisation
devenue à son tour autonome, libre des dieux, sans être pour autant hors la
loi ! ...
La science a horreur du vide, aurions-nous pu dire, le jour de son baptème ! ...
"Pindare, le boursoufflé !"
Pour exemple de notre anachronisme, de notre superbe, ce crétinisme autosatisfait, il suffit de citer le petit prince du raisonnement, le persifleur de cour, le snipeur qui vit aux frais de ses victimes, Voltaire, ce "parangon d'humilité" qui se fend d’un : "Pindare, le boursoufflé !"
Confondant ainsi l’orgueil, le superfétatoire, avec "l’enthousiasme", cet état second dont Platon savait encore le sens, et que n’aurait pu, ne
serait-ce que pressentir, le désenchanté de Lisbonne qui confondait la provisoire imposture
catholique avec Celui qui s’était apparenté à la mort pour tenter de sauver la
Vérité !
Souvent, lorsque je m’éveille à moi-même, en sortant de mon
corps … 3
"Souvent", nous dit Plotin; en réalité, ce fut trois fois dans
toute sa vie, mais c’est déjà beaucoup à ce moment de l’évolution psychique !
En cette singularité, nous pouvons dire de Plotin qu’il est
une résurgence de l’ancien psychisme, au sens non péjoratif, car il ne s’agit ici
ni d’intelligence ni de culture, il en était doté plus qu’aucun autre, mais
d’un état qu’aucune pensée ne peut atteindre, un moment très "oriental" d’extase,
de fusion avec l’Un ! …
Longtemps, la seule évocation de son nom donna des boutons à ces adolescents autoproclamés théologiens, incapables de le comprendre et de voir qu’ainsi, ils déroulaient le tapis rouge au
positivisme qui piaffait à l'horizon de l'histoire, et n’aurait plus qu’à l’enrouler sur eux pour les mettre à la
benne !
Les expériences mystiques de Plotin, pour être "naturelles" - il ne parle en effet nulle part d’initiation, à une époque où il aurait été permis d’en parler
sans risquer sa vie - sont "contre nature" au moment où elles se produisirent, en raison de l'évolution, à
tout le moins exceptionnelles !
Depuis des siècles, des expériences de mort et résurrection, non naturelles, organisées, couronnaient quelques initiations menées difficilement à terme dans le secret des temples ...
"Stupeur et tremblements", avaient laissé filtrer quelques mystes, retour de l'Hadès! ...
Mais le temps était venu, et cela se produisit au vu et au su de tous, lors de cet instant unique, tout à la fois cosmique et terrestre, que nous appelons le mystère du Golgotha, afin que
chacun, s’il le décide, et seulement s'il le décide, bénéficie de cet espoir d'une vie après la mort qui était réservé jusqu’alors à une
très petite élite !
En dehors du fait qu'un seul l'a subie pour la multitude, la mort physique d'un galiléen nommé Jésus fut alors bien réelle, et l'entité solaire qui l'avait un temps habité, se manifesta d'abord à quelques unes - le divin est aussi est dans les détails ! -, puis à quelques uns, dans le monde éthérique ou "monde imaginal" qui n'a rien d'imaginaire, tel que décrit par Henri Corbin, retour de cette Perse qui avait su garder et expérimenter le mystère de ce monde intermédiaire entre notre monde sensible et le monde divin, intelligible, tôt rejeté par les théologiens romains résolus à accompagner l'Occident sur la route de l'exil !...
Pour tenter de décrire ce monde avec les mots de Descartes, nous dirons que la pensée s'y donne à voir dans l'étendue, mais dans une étendue immatérielle, qui dépend dans ses formes, du psychisme de celui qui y est invité ! 4
D'où les incessantes confusions paradoxalement doublées de certitude, de celles et ceux qui furent dignes de ce spectacle !
1 Ce phénomène est nommé décohérence dans
les milieux bien informés, alors que pour le pékin moyen, c’est plutôt le
comportement du monde quantique qui semble incohérent, quand un objet peut être
ici et là en même temps, communiquer à distance plus vite que la lumière,
passer simultanément par deux endroits sans se désunir …
2 Pour les deux premiers, Pindare et
Eschyle, il s’agit d’initiés de l’antiquité grecque ; à tout le moins
Eschyle fut fortement soupçonné de l’avoir été et accusé d’avoir trahi les
secrets dans ses tragédies, ce qui vous valait à l’époque, la peine de mort.
A nos représentations ainsi bousculées, il convient de
préciser qu’il s’agit de visions clairvoyantes issues des expériences de mort
initiatique pratiquées dans les écoles de mystère.
3 « Souvent, lorsque je m’éveille à moi-même en sortant de mon corps, et qu’à l’écart des autres choses je rentre à l’intérieur de moi, je vois une beauté d’une force admirable. Après ce repos dans le divin, quand je suis redescendu de l’Intellect vers le raisonnement, je suis embarassé pour savoir comment cette descente a lieu, aussi bien à ce moment-là qu’à présent, et comment mon âme a jamais pu se trouver à l’intérieur de mon corps, si elle est bien en elle-même telle qu’elle a pu se manifester, quoiqu’elle soit dans un corps. » (Traité 6; Ennéade IV, 8).
4 Le temps est peut-être venu de comprendre cette bizarrerie, si l'on accepte que le monde quantique se fige en fonction de notre regard, cette mesure arbitraire !...
Pour le dire autrement, il se met à notre mesure !