Proclus ou la guérison de la blessure platonicienne !
Dans notre mémoire encombrée d’inutile, Proclus n’a, semble-t-il, plus droit de cité ! 1
La Porte des Lions entend contribuer à le rétablir à sa
juste place parmi les plus grands, tant il fit pour apprivoiser le mystère du monde, comme pour intégrer la pensée de
Platon à son évolution !
Pour Proclus, le couple microcosme-macrocosme n’est pas un
vain mot, une manière de se pousser du col lors de quelque conversation
insipide; non, il le voit à l’œuvre partout où son œil le porte, partout où son
esprit le transporte !
Il ne savait rien de l’ADN ni de l’embryogénèse, pourtant sa
description des pérégrinations de l’âme en ce bas monde fait irrésistiblement
penser au mystère de la partie et du tout qui se joue lors de notre début de vie in utero …
Il ne savait rien de la déflagration psychique entrainée par la physique quantique, de ce monde qui se moque de nos sens, malmène notre bon sens, de cet inframonde fait de superposition, d’indétermination, de trajectoires incertaines, d’intrication, de non-localité, de correspondances instantanées disqualifiant la vitesse de la lumière ...
Pourtant, il désirât en finir
avec la dualité platonicienne entre transcendance et immanence …
Pourquoi avons-nous ignoré, et ignorons toujours, cette envergure soudaine de la pensée ?
Il faut croire que la sagesse primordiale veille au grain, que notre évolution psychique doive prendre son temps, stagner souvent, puis s'élancer ! ...
Pour le karma, cependant, on peut imaginer que, par
l’intermédiaire de son maître lointain, l’orphisme avait augmenté son regard
intérieur qui le portait au-delà des étroites limites de la vie telle qu’elle
se donne à voir entre naissance et mort …
De même pour sa contemplation révérencieuse, attentive, de la procession
qui mène de l’Un au multiple; ne présente-t-elle pas d’étranges
similitudes avec le Rig-Véda ?
Celles-ci ne supposant toutefois pas un contact physique
avec les lointains successeurs des anciens hindous, comme l’impose notre
conception étroite et matérialiste …
Pour prendre un exemple à notre actuelle portée, nous
admettrons aisément que deux personnes qui fréquentent la même bibliothèque
puissent avoir des représentations similaires sans jamais s’être
rencontrées !
Dans le cas qui nous occupe, il suffit, pour comprendre ces coïncidences spatio-temporelles quelque peu distordues, de dématérialiser la bibliothèque ...
Ce qui hier encore passait pour une élucubration, nous l'avons réussi, au moins très partiellement, de manière certes plus "terre-à-terre", tant l’utilité gouverne nos vies ! ...
Aux sceptiques par défense, je demande : qu’est-ce donc alors que le Cloud ?
Yo soy yo y mis circunstancias !
Savait-il, José, qu’il exprimait-là une vérité mystérique
qui dépassait vraisemblablement les raisons qui le poussèrent à prononcer ces
quelques mots en forme de plaidoyer ?
C’est exactement, si elle pouvait parler, ce que pourrait
dire une âme telle qu’observée en ses pérégrinations par le Samkhia, cette très
ancienne science spirituelle hindoue : confrontée à son destin ici-bas,
c’est-à-dire au type de relation qu’elle entretient avec ses enveloppes
immatérielles et matérielles …
C’est aussi, comme en écho, ce que pourrait dire, si on lui
tendait un micro "vraiment micro", une cellule "échouée" quelque part dans notre corps,
au terme du processus mystérieux de l’embryogénèse, consciente en cette affirmation de
tout ce potentiel qu’elle doit taire au nom de l’harmonie du vivant … 2
Donc, pour le rapport de Proclus avec cette très ancienne
science spirituelle, on ne sait pas, mais il est évident que les similitudes interrogent,
si ce n’est qu’à son tour, il avait trouvé l’accès à cette bibliothèque suprasensible,
fermée à la plupart, mais ouverte à tous les vents du passé, du présent et du
futur ! …
L’embryogénèse obéit à un ordre dont on ne sait toujours pas
qui le donne et qui l’ordonne !
Chaque cellule de notre corps contient l’intégralité de
l’ADN, mais dans ce flux qui l’emporte dans cet univers microcosmique en
expansion qu’est l'ébauche de notre corps, elle "décide" de bloquer la quasi-intégralité de
son potentiel pour jouer son rôle exact, que ce soit au bout de notre ongle ou dans notre cerveau
…
Proclus dit que l’âme sait tout de ce monde sensible, mais vient
actualiser une partie de ce savoir en fonction des circonstances …
Du karma qu’elle s’est fixée, de cette nouvelle expérience, pourrions-nous ajouter, sans
craindre l’obscurantisme qui s’est subrepticement déplacé d’une église à
l’autre …
Chez Proclus, le dualisme entre le monde intelligible et le
monde sensible, entre transcendance et immanence, tel que théorisé à juste
titre en son époque par Platon, n’a plus lieu d’être !
C'est-là tout son génie, tout ce que, enfant de son époque de nouveau ascendante, malgré les apparences, malgré les retardataires de tout poil, il apporte au platonisme !
De même, la dévalorisation de la chair et du monde sensible en général, sentiment général apparu chez les Grecs quelque part entre la fin du temps des héros et les premiers philosophes, n'a pour pour Proclus plus lieu d'être !
C’est paradoxalement ce virage que l’Eglise romaine n’a pas su ou pas voulu prendre !
Nouvellement installée dans les ors de l'empire, avait-elle oublié le message du Christ, était-elle déjà insensible à son impulsion, à moins que
la sordide culpabilisation du haut de la chaire n’ait pas peu contribué à son pouvoir sur des âmes
qui n’avaient pas encore suffisamment confiance en elles-mêmes ? …
Des spécialistes récents de Proclus ont très justement remarqué ce "tête-à-queue" de ce plus grand des néo-platoniciens, parlant à ce sujet d’un "renversement" de Platon, comme s'il s'agissait d'une lutte de pouvoir, d’un simple débat intellectuel, ou bien encore d'un conflit père-fils, restant ainsi en surplomb, confortablement installés à la surface des choses !…
Les anciens perses, soucieux de la véritable évolution, disaient que le mal est un bien qui
s’attarde ou vient trop tôt !
A l’époque de Platon, où la pensée venait de mettre en relief la singularité de l'âme, l'universalité de sa source, et partant, de cette vie qui marque ici-bas, provisoirement, le terme de sa procession, le rejet du corps et de la matière, coule de source,
si l’on avait pu dire à cette époque où tout venait de s'inverser dans la psyché des hommes, où la "source de l’oubli" n’étanche plus la soif félonne de ceux
qui quittent cette vie, mais de ceux qui y entrent !
L’enfer alors, ce n’est pas les autres, n’en déplaise à
Jean-Paul, c’est l’exil du "soi" dans la matière !
Le destin de l’Occident n’aurait su s’arrêter à cette vérité
provisoire, qui restera paradoxalement d’actualité dans la Perse de Sohrawardi, chez les "platoniciens de Perse", comme les nommait l'indispensable Henri Corbin, avec ce sentiment douloureux de "ne pas être chez soi !" …
Donc, le retournement de Proclus sur ce point essentiel du
platonisme qui fit tant de mal en s’attardant dans le discours millénaire des
prédicateurs de l’enfer, contempteurs de la corruption de ce monde, du "péché de chair", est bien
plus qu’un débat dialectique, il est le résultat de l’impulsion christique qui
se fit jour entre ces deux maîtres, et continue à se développer, malgré les apparences !…
J’invite ceux que cette suggestion fait sourire, à relire
les paroles du Christ adressées à la samaritaine par la bouche du galiléen
!
Précurseur d’une anthropologie débarrassée par avance de notre matérialisme, embrassant le passé, le présent et l’avenir, il lui affirme que la relation à Dieu ne se fera plus sur la montagne de Samarie, mais plus encore, n’aura plus lieu d’être à Jérusalem, c’est-à-dire dans le temple qui fut construit sur un autre mont sacré, mais "en esprit et en vérité", c’est-à-dire hors de tout lieu physique, hors de tout intermédiaire humain, dans cette relation intime, dans ce face-à-face mystérieux, résumée un peu plus tard par ces quelques mots intriguants : Le regard dont je le connais, et dont il me connaît !
Ce non-dualisme entre transcendance et immanence, ce
renouveau de l’émerveillement devant la nature, intériorisé certes, conscient, à ce
stade de l’évolution psychique, ce refus de la vision matérialiste de
l’apocalypse chez les chrétiens de son époque, c’est chez Proclus le
néoplatonicien qu’il se produit, et non dans l’Eglise romaine ! …
Le Christ a ses raisons que la raison ignore, mais le temps semble venu d’en savoir la raison !
1 Proclus, philosophe néoplatonicien du
Vème siècle, quasi contemporain de saint-Augustin !…
2 On pourrait, sur un autre plan, y
ajouter l’épitre de Paul aux Corinthiens, encourageant chacun à jouer son
rôle !