C'est "prouvé scientifiquement !" ... la nouvelle religion du peuple !

Tout d’abord une énigme : apparemment, les Grecs au temps d’Homère ne connaissent pas le bleu !

Ce n’est pas une vue de l’esprit, cette expression familière témoignant par ailleurs du peu de considération que nous avons pour ce dernier ! …

Non, rassurez-vous c’est scientifique !

La sémantique quantitative, cette discipline relativement récente, a mis au jour cet étrange problème.

Il faut se rendre à l’évidence, le ciel et la mer, à cette époque où tous les regards se portent sur les exploits d’Achille et d’Ulysse, ne sont pas bleus !

La guerre de Troie a-t-elle eu lieu ?

Voilà une question qui nous intéresse, nous qui remettons en question tout ce qui dépasse du passé, et, de manière subliminale, son immense prétention de ne point taire ce qui fit sa grandeur : Abraham, Moïse, Homère, Jésus, Shakespeare, j’en passe et des moins bons !

Cependant, le ciel et la mer sont toujours là, c’est indubitable !

Ne seraient-ils alors que les tracés d’un gigantesque album de coloriage ?

Ces hommes des derniers feux de la période dite archaïque, soit un peu moins de mille ans avant J.C., se seraient-ils trompés à ce point, ou bien encore, n’avaient-ils pas les bons crayons de couleurs ?

A leur manière ils nous renvoient, si besoin était, aux récurrentes incertitudes de notre théorie de la connaissance, ce serpent de mer lové depuis des siècles dans les disputes de ceux qui s’autoproclamèrent "modernes" ...

Encore qu’il ne s’agisse pas ici de la "chose en soi", celle que nos yeux de chair sont impuissants à déceler, et dont on peut toujours se demander ce qu’elle est vraiment, si elle existe vraiment !

Comment ce qui est "en soi", peut-être pour moi, résumait Hegel !

Non, il s’agit des apparences sur lesquelles tout le monde, au moins, pourrait s’accorder !

*

*        *

En Occident, la perception des couleurs avait fait l’objet d’un débat à distance spatio-temporelle entre Goethe et Newton…

En effet, l’allemand était né vingt-deux ans après la mort de l’anglais !

Mort, façon de parler, car, tel un Achille moderne, sa renommée demeurait intacte, ôtant toute existence possible à ceux qui s’écartaient de sa manière de voir ...

Nouvel Adam de l’époque scientifique à qui la pomme, décidément bavarde, avait révélé toute la gravité de la situation ! …

C’est ainsi que dans l’entre-soi de l’Ecole, et si l’on s’en tient au strict plan physique, une définition de la lumière plus subtile que la sienne, moins exclusivement atomiste, dût attendre près de deux siècles, le génie de Max Planck tout d’abord, délicat, en proie au doute, suivi dans la foulée d’Einstein, plus téméraire, se foutant pas mal du qu’en dira-t-on, tirant la langue plutôt que de la donner au chat, prêt à en découdre avec l’espace-temps  

Fort heureusement pour les obscurs que nous sommes, dans l’intervalle, la lumière avait réussi à se propager, sur une jambe, puis sur l'autre, mais il semblerait que décidément rien ne puisse l’arrêter, à part, peut-être, l’obscurité !

Quant à l’apport contradictoire de Goethe sur l’origine des couleurs, il y a belle lurette qu’il croupit dans les oubliettes, sur décision des "infaillibles", ces nouveaux inquisiteurs qui décidèrent une fois pour toute que la science est chasse gardée des scientifiques, et qu’un vulgaire poète ne saurait y trainer ses guêtres …

Pour résumer ce débat tenu à huis-clos : les couleurs, selon Newton, étaient constitutives de la lumière blanche qui, éblouie par son génie, lui révéla son intimité, moins immaculée qu’annoncée, à l'aide d'un simple prisme qui valait bien tous les divans …

*

*        *

Ainsi, désormais, les couleurs, "c'est prouvé scientifiquement !", n’émanent pas de l’objet, mais se manifestent et se mélangent, non pas dans la cabane au fond du jardin chantée par Francis, le poète du Lot-et-Garonne, mais dans le sujet, et par conséquent au gré de son psychisme !

Mis à part les enseignements confidentiels, abandonnés à l’oubli général, de Platon, Héraclite,  Plutarque ..., les nouveaux arrivages sélectifs en provenance de l’Inde ancienne, Goethe, l'électron libre, n’évoluait pas dans une ambiance intellectuelle très "open", que viendra, en temps voulu, bouleverser la très contre-intuitive mécanique quantique …

Toujours est-il qu’il objecta à l’expérience de Newton, basée sur la seule observation sensible, comme cela devenait mode, une occultation négligente du caractère turbide du prisme, c’est-à-dire trouble, sauvagement agité, quelles que soient les apparences !

Qui avait raison ?

Goethe, mais qui le sait encore ?

C’est prouvé scientifiquement ! … La nouvelle religion du pauvre !

Quand Cambridge apprit sur le tard, documents à l’appui, que Newton avait passé le plus clair de son temps dans l’obscurité de l’alcôve alchimique, elle s’empressa, retour à l’envoyeur, de se débarrasser de ces documents embarrassants !

Elaguer ce qui pourrait mettre en cause la légitimité de sa doctrine, voilà comment la pensée scientifique se maintient encore de nos jours, à l’exemple des jésuites et autres inquisiteurs pourtant honnis de ses fondateurs !

Quelles ne furent pas ses contorsions pour dissimuler cet aspect si peu cartésien de Descartes, lorsqu’il décrit avec ses propres termes, les "esprits animaux", ce qu’en occultisme on appelle l’éthérisation du sang qui, à partir du cœur, remonte vers le cerveau et produit la pensée ! …

Bref, les couleurs sont désormais passées, "juridiquement" si l’on peut dire, de l’objet au sujet, sans tambours ni trompettes toutefois, tandis que l’on passait à la trappe le traité des couleurs de Goethe… 1

La couleur est donc non objective, tout au plus est-elle une sensation résultant du couple imaginatif de l’œil et du cerveau…

Step by step, il faut pour l'heure s’en contenter ! … Ce n’est en effet déjà pas si mal de la part de ceux qui déduisent de l’activité du cerveau lors de l’acte de penser ou de voir, la paternité de sa production …

"Bon chien chasse de race !", le Descartes cartésien n’avait-il pas déduit "urbi et orbi" que l’appropriation de cette activité prouvait l’existence de son Je ?

Lorsqu’indisciplinées, les disciplines abattront les cloisons, elles pourront utilement interroger le langage qui a beaucoup de choses à dire, pour peu que l’on veuille bien l’interroger avec tout le respect dû à son grand âge !

Ainsi, lorsque, moi, occidental, je veux caractériser mon acte de pensée, sans penser toutefois à la sagesse du mot que j’emploie, ne dis-je pas "je réfléchis" !?

La polysémie, relative à l’espace et au temps, voilà une mine à ciel ouvert, pour peu que l’on ne considère plus ceux qui nous précédèrent à la surface de Gaïa, comme des singes qui, pour être sympathiques, étaient un peu moins évolués que nous !

Attention, un oubli peut en cacher un autre !

Outre le manque de reconnaissance dû à l’apport de cet homme courageux qui ne craignit pas d’empiéter sur la chasse gardée des "Amis de Newton", il y a cet oubli majeur de la prémisse de sa théorie des couleurs !

Les couleurs naissent d’un rapport entre l’ombre et la lumière, et, dans l’esprit de Goethe, non encore gangréné par le matérialisme en herbe, entre l’esprit et la matière !

Cette application partielle d’une très ancienne science spirituelle hindoue, n’a donc pu être identifiée et exploitée lors du nécessaire désenclavement des représentations des mystères du cosmos, dont le nouveau Christophe Colomb se nomme Anquetil-Dupeyron.

Le Samkhia, tradition orale, mise tardivement par écrit, avant qu’elle ne se perde, comme il en fut souvent des révélations, fut établi à la charnière de deux époques psychiques : l’ancienne clairvoyance atavique et la naissance de l’esprit scientifique.

On peut dire qu’il s’agit-là d’une phénoménologie globale, stabilisée des milliers d’années avant que l’occident ne s’en accapare la paternité.

En deux mots, avant d’en arriver à son application aux couleurs : tout phénomène, visible ou invisible, est le résultat provisoire, instable, d’un rapport entre la lumière et la matière, encore que cette dernière ne se résume pas à celle qui nous obnubile, fut-elle noire ! …

Dans cette dialectique cosmique, on peut distinguer trois guna, trois rapports :

L’état de sattva : la lumière domine son enveloppe,

L’état de rajas, les deux s’équilibrent,

L’état de tamas : la matière, l’obscurité, domine !

Tout peut être analysé de la sorte, de l’individu, en passant par l’époque et jusqu’aux couleurs …

Ainsi le jaune est une couleur sattva, tandis qu’à l’opposé, le bleu est une couleur tamas …

Appliqué à un individu, le Samkya aurait dit de Socrate qu’il était un homme sattva, dans la mesure où son daemon occupait tout l’espace de sa personnalité terrestre, jusqu’à lui dicter le choix d’une mort qu’il aurait pu éviter, mais dont on parle encore ! ...

Et qui préfigure cet autre sacrifice, plus célèbre encore, au service de la Vérité!

Bien entendu, comme il était nécessaire qu’il fasse son petit bonhomme de chemin, qu’il ne se laisse pas éblouir par l’ineffable beauté des phénomènes, par leurs raisons que notre raison ignore, et comme il devait accoucher d’un individu libre, ne doutant plus de la réalité, de la singularité de son Moi, l’Occident a été tenu loin, pendant toute son adolescence, de ce sublime enseignement, paradoxalement liberticide …

Occident qui ne sait plus rien du langage spirituel des couleurs, se les approprie à des fins esthétiques pour le vulgum pecus, ou techniques pour les chercheurs, comme dans ces images somptueuses rapportées, brut de décoffrage, par James Web, avant qu’une armée de coloristes ne leur donne la vie, au moins telle que nous la connaissons !… 1

Occident qui ne sait plus lire les auras des icônes, prêtres romains endimanchés qui ne savent plus la signification des couleurs de leurs vêtements liturgiques …

Intellectuels occidentaux, érudits infatués, qui voient dans la couleur bleue des représentations de l’incarnation de Krishna, une simple convention esthétique !… Les mêmes, cela dit en passant -voire fatigué de laisser passer ! - doctes ignorants, qui prétendent que l’appel aux muses d’Homère, est une simple convention littéraire !

Chez les platoniciens de Perse, chers à Henri Corbin, le bleu est signe du moi inférieur ! 2

Pour des générations de soufis, les couleurs perçues en esprit indiquent la maîtrise d’un certain niveau de lecture du Coran, ou, de manière plus incertaine, plus personnelle, un degré atteint par chaque mystique lors de sa lente progression dans le monde suprasensible.

Pas de bleu au catalogue chez Homère !

Les catalogues du poète sont réputés précis, lancinants, voire fouineurs, mais en l’occurrence, il faudra vous contenter du blanc et du noir et de quelques intermédiaires comme le rouge, le pourpre …3

Alors, je vous fais grâce de toutes les interprétations accumulées depuis cette découverte de Ewart Gladstone au XIXème siècle, toutes basées sur la croyance que les couleurs ont une réalité physique, entassées dans la queue de la comète Newton.

La couleur est une sensation qui diffère légèrement d’un individu à l’autre et radicalement d’une espèce à l’autre.

Elle est donc une information sur le psychisme de celui qui la décrit, comme désormais elle sert arbitrairement à la NASA à coder artificiellement tel ou tel phénomène cosmique.

Voilà plus de deux mille ans que l’on nous a appris à nous moquer de nos prédécesseurs à la surface de Gaïa qui voyaient des esprits partout à l’œuvre, aussi bien dans le ciel que dans la mer inquiétante …

Peut-être le moment est-il venu de reconsidérer cet aspect fondamental, pour une anthropologie véritable !

Quelques matérialistes attardés m’objecteront que les Égyptiens connaissaient eux, le bleu, oubliant l’aspect déjà profondément et paradoxalement matérialiste de cette civilisation polythéiste qui momifiait les corps ! …

Ne remarquant pas non plus notre fascination pour cette civilisation, plus forte que pour toutes celles qui la précédèrent …

 

1 Pour découvrir les récents résultats de l’interminable enquête à rebondissements sur l’énigme des couleurs, voir les travaux de Bernard Valeur, chercheur et professeur en physicochimie internationalement reconnu, distingué par l’Ecole, mais pour autant d’humeur pluridisciplinaire, dans la limite des convenances, certes, la neurobiologie faisant partie d'un exotisme acceptable ! …

Plusieurs moyens pour ce faire : ses conférences en podcast sur Google et Radio France, ses nombreux essais, sa passionnante rubrique intitulée "Questions de couleurs" sur le blog intitulé scilogs.fr.

Egalement, le talentueux et "utile à son époque" David Louapre sur sa chaîne Youtube - Science étonnante.

2 Couleur et mystique dans l’œuvre d’Henri Corbin chez Persée, par Philippe Fagot.

3 C’est en tout cas, ayant tout oublié, de cette manière que nous pouvons les caractériser, car il s’agissait alors, en réalité, de mémoire rythmique, favorisant la transe, avec pour objectif de se rendre "présent au passé", selon cette merveilleuse formule de Jean-Pierre Vernant !

 

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