Des réponses restées sans questions ! …

Qu’est-ce à dire ?

Il ne suffit donc pas que certaines de nos questions restent à ce jour sans réponse, des réponses seraient-là, quelque part, en jachère, qui les attendent !

Dans quel monde vivons-nous ? 

*

*        *

Pour en revenir à celles qui nous taraudent depuis peu, est-ce la dictature médiatique qui nous les impose, ou bien alors, notre conscience se fait-elle toujours plus exigeante à mesure que le bruit informationnel se bouscule à nos oreilles ?

Ou, selon ce que nous ne saurions plus envisager : l’évolution de nos représentations est-elle un symptôme de ce qu’il se passe au-dessus de nos têtes ?

Toujours est-il que certaines questions se font plus insistantes que jamais !

Emblématique, s’impose la petite nouvelle, devenue ritournelle : "Sommes-nous seuls dans l’univers ?"

Aura-t-elle, cette question peu soucieuse des formes, plus de succès que celle, élégante, rythmique, que prononça Lamartine à l’attention de ce XIXème siècle qui n’y vit qu’une phrase bien tournée, avant, en cette négligence, de mourir de sa belle mort, pensant avoir tout compris ! …

"Objets inanimés, avez-vous donc une âme ?"

Nul n’est prophète en son époque, et le physicien poète était né au ciel depuis belle lurette lorsque la mécanique quantique apporta un début de réponse que lui seul aurait su interpréter !

Sommes-nous seuls dans l’univers ?

Comme tout un chacun, la réponse à cette question nous intéresse, mais en attendant qu’elle se précise, il semblerait fécond de savoir la raison pour laquelle nous nous la posons désormais avec autant d’insistance ! 1

D’aucuns, avec raison, nous feront remarquer que l’expansion fulgurante de l’univers n’a heureusement pas attendu la disponibilité de notre cerveau pour se produire, mais, comme aurait pu dire Protagoras, à quoi bon se soucier de ce qu’elle fut avant que nous en ayons pris conscience ?

Et pour tout dire, nous avons beau jeu de nous interroger de la sorte, de nous grandir par ce rapetissement, si l’on sait qu’Einstein lui-même ignora longtemps la très grande relativité de notre strapontin dans le concert jusqu’alors inaudible des galaxies !

C’est en effet en 1924 que l’Homme comprit que, les nébuleuses ayant précisé leurs ambitions, la voie lactée avait de la compagnie ; entourée d’innombrables légions de galaxies serait plus exact !

Alors, le temps de digérer ce secret de famille tenu longtemps secret, un physicien dénommé Fermi, délaissa momentanément le projet de bombe atomique sur lequel il travaillait, pour lâcher une autre bombe, à fragmentation celle-ci ! 

Selon toute logique, s’inquiéta-t-il, notre système solaire étant relativement récent, ce que nous nommons la vie a dû se développer ici et là, bien avant qu’Adam ne se découvre un goût immodéré pour les pommes, laissant à d’autres civilisations extraterrestres le temps de cultiver leur jardin et de venir voir subrepticement où en était le nôtre !

Bombe à fragmentation, disais-je, car parmi les hypothèses nombreuses qui s’éparpillèrent dans la forêt de nos fantasmes, l’une d’elles revêtit un éclat tout particulier : selon toute probabilité, les extra-terrestres existent, ils sont là, parmi nous, mais nous ne pouvons percevoir leur présence !

Pour ceux qui n’étaient plus disposés à croire aux dieux des religions, mais "open" à la transcendance des probabilités, cette non-visibilité n’était-elle pas un gage de leur présence ?

Ainsi pouvait-on réconcilier démarche scientifique et grand frisson !

Chassez le surnaturel, il revient au galop !

Alors, juste retour des choses, indéfinissable nostalgie, actualisation hasardeuse d’un souvenir enfoui au plus profond de notre subconscient ?

Que dire de cette irruption de l’irrationnel chez les descendants de ceux qui pensaient l’avoir expulsé ?

Toujours est-il que ceux qui s’adonnent à cette nouvelle croyance ont désormais voix au chapitre, fermé depuis belle lurette à nos prédécesseurs qui voyaient, " les cons ! ", des esprits partout à l’œuvre, dans la nature comme dans le cosmos …

Comment en sommes-nous arrivés à discréditer les premiers, sans nous émouvoir pour autant du retour de l’irrationnel chez ceux de nos contemporains qui osent ainsi s’aventurer ?

Serions-nous devenus plus tolérants, ou secrètement d’accord ; s’agit-il d’un phénomène résiduel de notre étrange psychisme, sujet à métamorphoses, impossible à éradiquer, ou l’intérêt pour les extraterrestres signe-t-il la fin du positivisme ?

Cette question qui bouscule et interroge notre bon sens, renvoie curieusement à la genèse de l’occident !

L’Occident se cherche des racines, d’autant plus volontiers qu’il est né de l’oubli !

Le rythme des épopées homériques n’est plus qu’un lointain souvenir, celui du progrès sera-t-il oublié plus vite encore ?

Que va-t-il sortir de cette mise sur pause, de ce temps du doute, qu’adviendra-t-il des réponses précipitées de la décroissance, d’une écologie squattée par des ambitions éphémères, de la volonté d’interdire, les passions, le passé, le saillant, et jusqu’au résultat de l’évolution ?

Le "reset" sera-t-il bientôt érigé au rang d’idéologie ?

Il est vrai que notre passé n’en fut pas exempt : des marteleurs de bas-relief, en passant par l’inquisition religieuse, et celle laïque de la table rase, pour s’achever en apothéose dans le Cambodge des khmers rouges …

En cette attente, les nostalgiques lui cherchent un totem autour duquel il se serait organisé, mais les candidats sont si nombreux que la tentative ne semble pas près d’aboutir !

A qui, à quoi se référer ?

Aux Grecs, aux païens, au judéo-christianisme, à l’Europe des cathédrales, à celle des Lumières, au progrès technique, au libéralisme ?

Du mystère de la "chose en soi", à la conscience de soi !

Sur le tard certes, quoique très partiellement, mais, à tout seigneur tout honneur, le mystère de la "chose en soi", Kant l’a formulé !

Et cela fit causer, non dans les chaumières, mais dans les salons où se nouaient les amours et les détestations de ceux qui pensent le monde !

Manifestement, son souci n’était pas de mettre en perspective l’aventure occidentale, ce qu’elle a de spécifique, de provisoirement décisif, mais, "petit bras", englué dans son époque, et pour autant bon montagnard de la pensée, de déterminer une limite de partage entre la raison et la foi !

Il est vrai que cette dernière menaçait déjà de fondre, en raison d’un climat intellectuel hors de contrôle depuis la révolution copernicienne, et ce, malgré les interdits de Rome, toujours en vigueur, bien après qu’il fut né ! …

Corsetés par le diktat aristotélicien de l’observation, fascinés par celles de Darwin qui, pour être justes, ne sont que très partielles, enrégimentés par la frileuse et méprisante Ecole, nos anthropologues sont passés, œillères bien ajustées et tête haute, à côté du premier moteur de l’évolution humaine : notre psychisme en ses tribulations !

C’est pourquoi nous ferons appel, non à leurs grattages frénétiques, à leurs spéculations, mais à ces mines à ciel ouvert qu’ils négligèrent : la fabuleuse mythologie grecque, et le Samkhia, cette très ancienne science spirituelle hindoue.

En réalité, nous sommes nés sous X !

Ne serait-il pas temps d’en finir avec les images d’Epinal comme avec les clichés résultant d’une mauvaise interprétation des observations de Darwin ?

Non, tels que nous sommes, nous ne descendons pas en droite ligne d’Adam et Eve, encore moins du singe, mais d’un couple dont nous semblons ignorer qu’il apparut et se forma récemment à la surface de Gaïa, pour un moment décisif de l’évolution !

Ce couple prolifique, dialectique, mystérieux, c’est celui que formèrent la "chose en soi" et la "conscience de soi !"

Avant que nous ne soyons expulsés de la nature et du cosmos, ou, en d’autres termes, que le monde spirituel, soucieux de notre liberté, se retire de notre conscience ("notre" n’étant alors pas le mot qui convient ! ), la "chose en soi" ne faisait pas mystère, pour la bonne raison qu’elle n’existait pas, à tout le moins ne se dérobait pas à notre regard clairvoyant …

Cet état de conscience qui n’est pas encore individuelle et dont Averroès, en retard d’un métro, affirmera qu’il est toujours nôtre, prit fin, avec ici et là, plus ou moins de retard, il y a quelque trois mille ans. 

Le mythe grec qui nous en parle le mieux est celui qui met en scène, pour les humains de cette époque, la mise en pièces de Dionysos Zagreus, drame suprasensible revêtu d’images empruntées à notre monde sensible, processus évolutif que nous pourrions caractériser désormais, à l’aide de nos concepts et expressions techniques : fragmentation, individualisation d’une conscience qui n’était jusqu’alors pas propriétaire … 2

L’Homme alors, découvre un monde inconnu, un monde en miettes, sur lesquelles se pose incrédule son regard interloqué, charnel, le seul qui lui soit désormais autorisé !

Ce défi reste le nôtre, mais à l’époque, il cherche, à l’aide de son cerveau encore labile, réquisitionné pour la circonstance, à remettre du sens dans tout cela, à tenter de retrouver l’Un, enfui derrière le multiple !

Un autre mythe grec illustre merveilleusement cette phase qui nous annonce, une "épopée" serait plus exact !

Dans l’Odyssée d’Homère, ce voyage en clairvoyance, Pénélope, la femme d’Ulysse, son âme - à un autre niveau de lecture ! - défait chaque nuit son ouvrage, aux fins de tenir à distance ses prétendants - les cinq sens ! -  dans l’attente du retour de son héros qui aura surmonté bien des épreuves !   2

Nous ne sommes pas au bout des nôtres !

Ce tissage patient qui tente de reconstituer un monde en miettes dont nous fûmes expulsés psychiquement, aboutit au constat d’échec tel que le formula Kant, enfermé dans sa problématique désormais très datée, de répartition entre la raison et la foi, ignorant que l’échec est ce qui nous construit ! …

Ignorant, ou voulant ignorer, que la foi n’est en aucune manière une bonne raison de s’arrêter en si bon chemin ! 

Les équations ont-elles remplacé la clairvoyance disparue ?

Dès lors qu’il s’agit de déchiffrer les mystères de l’univers, leur générosité, leur volubilité, leur valeur prédictive ne cessent d’étonner !

Les exemples sont nombreux, de celle d’Einstein en 1915 qui, accessoirement, subrepticement, répond à des questions qu’il ne s’était pas posé, et pour cause ! ... (les trous noirs, les ondes gravitationnelles, l’expansion de l’univers), en passant par celle de Dirac qui révèle sans avoir été sollicitée pour cela, le drame initial de l’univers, la rencontre de la matière et de l’antimatière, ce désastre mystérieusement fécond !…

Tout cela, est actuellement "lu et approuvé" par l’observation et/ou l’expérimentation !

Enfin, il y a la petite dernière, prometteuse, théoricienne de la gravité quantique, toujours en compétition, mais en bonne voie de validation par ce que notre univers murmure de sa génèse au moyen du rayonnement fossile…

A suivre ! ...

Dans l’Inde ancienne, à la charnière de deux époques oubliées, entre une clairvoyance qui s’estompait et un esprit scientifique qui s’amorçait, s’ébaucha une science spirituelle qui a pour nom Samkhia !

Oui, quand bien même cela ne se sait pas, la nature n'a pas l'exclusivité de nos observations et raisonnements ! ...

Rappelons-en ici les principaux résultats, opérationnels, dès lors qu’il s’agit de notre relation au mystère du cosmos, de la nature, et jusqu’à celui de notre vie …

Deux principes sont en relation permanente et mouvante : la lumière et les ténèbres, ou, pour le dire autrement, l’esprit et la matière.

Etant entendu que la matière (prakriti) ne se réduit pas à ce que nous nous représentons, mais englobe toutes les formes, matérielles et immatérielles.

En tout phénomène, en toute vie, cette relation s’établit selon trois proportions plus ou moins stables :

Etat de sattva : l’esprit domine totalement la matière!

Etat de rajas : les deux s’équilibrent!

Etat de tamas : la matière, l’obscurité, l’emportent à l’évidence!

Comme on peut appliquer cette subtile lecture sur tout ce que nous voyons ou ne voyons pas, "ne voyons plus", serait plus exact, on peut s’en servir utilement pour ce qui concerne l’évolution du psychisme humain …

L’homme qui précéda l’émergence de la "chose en soi" 3, est un homme sattva 4, sa conscience dont il n’a pas conscience, ne se heurte pas aux objets, ne se prend pas pour objet, elle flue dans les êtres et les phénomènes dans un rêve dont il ne s’éveille pas, et qui, pour cela, n’a rien d’étrange.

Puis vient l’expulsion de ce monde ouaté dont le temps, la douleur et la mort sont absents, très exactement évoqué par le mythe du Banquet, chanté par Hèsiode, dont nous avons déjà parlé, il y a peu ! ...

L’intelligence cosmique alors se retire dans l’ombre, derrière les apparences, Isis se voile !

C’est l’état de rajas : la lumière de l’intelligence s’intensifie à mesure que l’ombre s’étend sur l’intimité de l’univers …

Dans l’état de tamas qui va suivre inexorablement, l’intelligence va atteindre des sommets, tandis que l’homme, désormais totalement intriqué dans les formes, à commencer par son corps, va progressivement oublier cet endroit d’où il vient !

Et, aveuglé par cette nouvelle sattva, oublier la lumière primordiale !

Une image pour comprendre ce paradoxe : la lumière du matin, éteint celle des étoiles !

Ce fut le drame intime de Plotin, cet attardé de l’évolution psychique qui ne sut se contenter du magnifique éclairage de la philosophie et de son rejeton, la pensée ! …

Un mythe grec exprime ce processus, toujours en cours : c'est "Le rapt de Perséphone", ce paradoxe de notre emprisonnement dans la matière, dont il ne sait pas encore qu’il est garant de notre liberté !

"La lumière est venue dans les ténèbres, mais les ténèbres ne l’ont pas reçue !"

L’évangile de Jean, celui qui s’attache plus particulièrement à la dimension cosmique de Christos, le Logos, le Verbe, sait que son court séjour à la surface de Gaïa, fut effectué préventivement, alors que cette partie de l’humanité qui ne refusa pas le défi de la "chose en soi", j'ai nommé l’Occident, allait s’enfoncer toujours plus loin dans cet état de tamas …

Dans l’exil, disait Sohrawardi ! 5

 

 

 

1 Interroger nos questions peut paraître paradoxal à première vue, cependant l’exercice est sain, tant il a de choses à dire sur nous-mêmes, beaucoup plus importantes souvent que la réponse que nous attendions !

2 Pour une nouvelle lecture, non condescendante, non anachronique, anthropologique, des mythes grecs : "L’Exil oublié !" de Pierre-Marie Baslé, paru en 2017 sur Amazon Livres.

3 Concernant l’étrange nécessité de l’opacité de la "chose en soi" pour notre construction psychique, écouter la conférence de Michel Bitbol sur Google en 2017 : Philosophie de la physique quantique.

4 Pour approfondir cette très ancienne science spirituelle hindoue, née quelque part entre la fin de la clairvoyance et l’émergence d’un esprit scientifique : conférence de Rudolph Steiner le 29 décembre 1912 à Cologne, regroupée avec quatre autres, sous le titre "La Bhagavad-Gita et les épitres de Saint Paul", par les éditions Anthroposophiques Romandes, rue Verdaine 11, 1204 Genève-Suisse, en 2006.

5 Pour l’immense apport à notre spiritualité de ceux que Henri Corbin nommait "Les platoniciens de Perse", délectez-vous des conférences de cet indispensable passeur, de cet homme utile à son temps, sur Google !

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