Aristote, "le maître de ceux qui savent"! ...ou de ceux qui ont tout oublié ? …

Aristote, comme tous les petits grecs bien nés, a dû apprendre à lire à l’aide du récit des exploits du très colérique Achille, ou bien encore, d’Ulysse, le rusé, moderne prométhée qui nous annonce ! …

Que restait-il alors de ces chants inspirés, rythmiques, de cette transe du temps d’Homère ou d’Hésiode, désormais corsetés par l’écrit ?

A cette époque tardive de la Grèce antique, tout s’était déjà refroidi, figé, confié à la mémoire morte du parchemin !

Cet abandon de la richesse foisonnante des révélations, accordées à un code rigide servant jusque-là aux échanges de marchandises, cet antique "arrêt sur image", ne fut pas sans susciter de vives controverses, non seulement en Grèce, mais en Inde notamment …

Le Maître d’Aristote, Platon, avait encore des réticences vis-à-vis de l’écrit qui, tout à la fois, figeait et dispersait …

Evolution oblige, Mnémosyne, accompagnée de ses filles les Muses, avait dû céder la place à Athéna, ou, pour le dire autrement : la Mémoire sacrée, cette possibilité psychique de se rendre présent au passé, s’était progressivement estompée devant la Raison naissante ! …

Restait le sens littéral, dont se contentait encore le peuple dont il n’était pas né, et qui devait désormais faire sourire le futur chantre de la logique !

Pour cet exploit digne de l’avenir, à défaut de Prix Nobel, le label de "Maître de ceux qui savent!", lui fut attribué post mortem, par ce moyen âge qui n’aurait su penser le monde sans l’aide de cet homme si plein de bon sens ! 1

Mais, comme nous aimons bien mettre les uns et les autres dans des cases, il nous a échappé que la première démonstration logique, revint à Socrate, au prix de sa vie toutefois, et non en déambulant négligemment au milieu d’un groupe de fans régulièrement éconduits par ce Grec "bling-bling" qui, décidemment, préférait les femmes …

Socrate, ou la primauté de la logique sur la peur !

Quelles furent les dernières paroles des kamikazes japonais, ou bien encore de ceux qui moururent subitement dans leur lit ?

Nul ne le sait !

D’une manière générale, si l’on interrogeait les hommes encore en vie sur ce qu’ils diraient, s’ils en avaient encore le temps, juste avant de mourir, combien sauraient répondre à cette question pourtant centrale ? …

Alors, nous nous contentons, pour les plus prévoyants d’entre nous, de celles que prononcèrent : Socrate, avant de boire volontairement la cigüe, et Christos, avant de monter, non moins volontairement, sur la croix, au grand dam de Judas qui avait caressé un tout autre projet; source d’une étrange perplexité chez les admirateurs du premier, d’un sentiment inconnu jusqu’alors de "tristesse joyeuse" ! …

Nous nous en contentons, c’est vite dit, car les dernières paroles du trublion d’Athènes, relatées par Platon, sont, comme celles de Christos, inenvisageables depuis le promontoire de notre bon sens !

En deux mots, il explique aux futurs inconsolables qui l’entourent de leur peur rituelle : Philosopher, c’est apprendre à mourir, à se détacher des bonheurs, comme des malheurs de ce monde, en neutralisant, non sans peine, mais avec opiniâtreté, ces bavards qui squattent notre conscience dès notre réveil, ces suborneurs qui finiront par se rassembler sous la revendication souvent trompeuse du "bon sens" ! 2

Il s’agissait pour Socrate, mutatis mutandis, de transposer sur le plan philosophique l’expérience initiatique de mort provisoire des mystes, pratiquée dans le secret des temples, ce qu’en ses mots adressés à la toute nouvelle pensée conceptuelle, il traduit de la sorte : mettre volontairement à part l’âme et le corps, ce que la mort se chargera de faire pour ceux qui jamais n’y songèrent ! …

Les mystes avaient pour objectif d’apprivoiser la mort, de découvrir cette part d’éternité ensorcelée en eux …

La conclusion de l'empêcheur de tourner en rond, tombe comme un couperet sur nos tergiversations : "pourquoi éviterais-je celle que je n’eus de cesse de convoquer ?".

Dit comme cela, c’est logique !                                   

Mais une fois passé l’effet de stupeur, une forme d’admiration mêlée d’inquiétude, cela contredit notre fameux bon sens qu'une fois de plus il malmena, au moins si l’on sait qu’il avait toute possibilité de s’en sortir en choisissant une autre peine ! …

Cette logique qui affronte la nôtre, ne doit rien à la peur, nous l’avons vu, mais tout au chuchotement intime de son daemon, à Diotime, son âme qu’il présente comme une prêtresse, pour mieux se faire comprendre des hommes de son temps, en voie, seulement en voie, d'intériorisation …

Flash back!

Pour en parler à ses contemporains, adorateurs d'idoles, Moïse, inspiré, mais pour autant pédagogue, avait doté Yahvé d’un corps ! …

Un peu plus tard - notre temps n'est pas celui de l'évolution ! - pensant le moment venu, Maïmonide avait expliqué aux siens que le monde spirituel s’était "accommodé" de l’état psychique des hébreux au moment de l’exode !

La critique moderne, à charge, "rationaliste petit-bras", ne s’est pas embarrassée d’aussi subtiles explications, décrétant qu’en ces instants, Socrate était un allumé !…                      

Dieu n’est pas logique !

Dans les deux sens du terme, n’en déplaise à Aristote, comme à son avatar Spinoza !

Tout d’abord, comment pourrait-il se déduire d’un raisonnement logique, alors que cette dernière, tard apparue à la surface de Gaïa, sous quelques premiers crânes prédisposés, ne sait rien d’autre, ne veut rien savoir d’autre du monde que ce que lui disent nos cinq sens ?

Et, si l’on en juge à l’incompréhension persistante du mystère du Golgotha, au cours duquel cet envoyé du monde spirituel décida de s’apparenter à la mort, la logique des dieux, décidément, n’est pas celle des hommes !

C’est au XIXème siècle, ce siècle qui prétendit avoir tout compris, tandis que l’Eglise, sous les coups de boutoir, desserrait ses mâchoires, que ce refus bien logique de cet illogisme se montra au grand jour …

Alors, pour les manipulateurs, et plus encore pour les manipulés, il fallait sauver les meubles, pour les premiers; leur raison de vivre, pour les seconds !

Maintes hypothèses créatives, rocambolesques, qui n’avaient rien à envier aux délires des théologiens, s’entrechoquèrent, et de ce chaos, un seul sortit du lot, mystère qui ne fait plus mystère : l’homme Jésus !

Dieu ne joue pas aux dés !

Le père supposé de la bombe avait, lui aussi, décidé de ce que Dieu pouvait faire ou ne pas faire ! 

L’interdiction de tapis vert promulguée par Einstein aurait par contre fait l’effet d’une réelle déflagration dans le monde antique, si l’on sait que pour Héraclite, "Dieu est un enfant qui joue!", quand, pour les anciens hébreux, "il construit un très grand nombre de mondes et en détruit autant !" …

Le paradoxe des barreaux

Enfermés dans un corps de singe puis, un peu plus tard, dans leurs superstitions, voici, pour faire simple, notre actuelle manière de voir nos prédécesseurs à la surface de Gaïa !

En effet, il y a peu encore, ne voyaient-ils pas partout l’esprit à l’œuvre, dans les étoiles, dans la nature ? 

Bref, notre opinion sur nos anciens oscille entre la condescendance et le mépris ! …

Mais somme toute, cette vision du passé nous arrange car, dans cette rétrospective cuite et recuite, paradoxalement narcissique, ne sommes-nous pas implicitement la cerise sur le gâteau de l’évolution ?…

Pour en revenir à notre paradoxe initial, s’ils pouvaient parler, nos anciens ne seraient-ils pas terriblement inquiets de nous voir ainsi enfermés dans la prison de notre corps ?

Alors, à tout prendre, quel est le bon côté des barreaux ?

Voilà une question bien de notre temps, mais chaque époque a les interrogations qu’elle mérite !

La vérité, c’est que nous sommes bien en prison, que nous n’en savons plus rien depuis longtemps, oubli sanctuarisé par Aristote, ce génial geôlier qui nous donna de quoi nous occuper ! …

Alors, d’ici à imaginer que cet enfermement était le seul moyen de nous libérer de l’asservissement au monde spirituel ! …

Avec toutefois un risque majeur, c’est d’oublier que nous en provenons ! 3

Il ne s’agit donc pas ici d’un procès à charge contre le "maître des nouveaux savoirs", mais de le replacer dans une perspective évolutive dont le dessein, n’en déplaise aux somnambules, est l’édification d’un Homme libre !

Aristote ou l’exil oublié !

Quand bien même c’est de moins en moins vrai, l’Orient, globalement, n’a pas oublié cet exil, alors que quelques refuzniks occidentaux tentent le reset proposé par le bouddhisme, et, quelques autres encore, plus discrets, optent pour l’aventure spirituelle du soufisme !

Avant cette fuite en avant, il serait peut-être intéressant de s’intéresser aux causes de cet exil, et notamment à celui qui, en habits voyants, surfa sur la vague qui emporta tout sur son passage …

Avec d’autres mots, le Dalaï-lama ne disait pas autre chose aux occidentaux qui affluaient en masse, à l’époque où c’était encore "mode", les incitant à revisiter leur culture avant toute chose, pour ne revenir que si le travail, quoique fait sérieusement, était resté pour autant infructueux.

Avant ce qui ressemble plus à une fuite en avant de quelques uns qu'à un retour d'exil, nous nous intéressâmes à beaucoup d’observations d’Aristote, et plus particulièrement à qu’il en avait déduit …

La dispute à ce sujet jusqu’à nous parvenue, jamais ne cessât entre les belligérants, convoqués sur un champ apparemment vaste, mais en réalité étroitement délimité par cet habile prédécesseur de Machiavel …

Loin de ce brouhaha jargonisant, intéressons-nous plutôt à l’une de ses investigations, peu fréquentée il est vrai, qu’il mena à tâtons, ayant remisé son char jusqu’alors conquérant, mais en la circonstance, bringuebalant …

Son nouvel objet laissait en effet peu de prise à l’observation, obligeant le raisonnement à s’approvisionner ailleurs que sur le marché des sens, à éprouver sans filets sa propre logique, ce qu’en d’autres termes l’on nomme spéculation …

Ce nouvel objet, ce phénomène qui nous fait face tel un miroir déformant, c’est l’être humain !

Aristote est arrivé à point nommé !

Ceci n’est pas un jugement de valeur, c’est tout simplement qu’il s’est incarné - quand bien même il aurait renié cette biographie occulte ! - à un moment de l’évolution psychique où un monde s’escamote, tandis qu’apparaît un nouveau, que précisément il est chargé d’organiser !

Pour se faire une petite idée de l’être humain, il avait tout à disposition, les Idées de son maître Platon, les divulgations partielles des philosophes présocratiques, tous initiés aux secrets de l’univers et soucieux de les partager (avec parcimonie, certes !), la prodigieuse mythologie grecque et égyptienne qui en sait beaucoup plus long sur nous que nous n’en savons sur elle …

Que nenni !

A la benne les archétypes, le monde intelligible, les Idées de son maître, le chemin des âmes, d’une vie l’autre, la mise à part de l’âme et du corps par l’initiation tout d’abord, puis par la philosophie de Socrate ! …

Qui a jamais observé ces chimères ?

Il y avait bien ce Démocrite qui avait vu en esprit les coulisses du monde où se déroulait inexorablement la mystérieuse et majestueuse écriture de l’Un, ce plus petit dénominateur commun qui donnait le "la" à la danse des étoiles ; c’était troublant ! …

Alors pour l’artisan de la nouvelle philosophie, devenu industriel de la "table rase", il s’agit de ne surtout pas laisser passer ce passé qui s’attarde, avant que l’affaire ne s’ébruite chez ceux qui ne veulent pas atterrir !…

Comment atomiser Démocrite ?

Fort heureusement, ce visionnaire ne faisait-il pas partie de ces idiots qui venaient d’Abdère, à l’évidence contaminés par le délire orphique ?

Alors, falsifions sans vergogne son propos, inventons, aux fins de le réfuter illico, "l’atomisme", mauvaise traduction, ingénieuse réduction, de ce qui signifiait "idée première" ! … 4

Donc, volontairement amputé de tout cet immense savoir sur l’être humain, privé en grande partie d’observation sur ce phénomène qui soigneusement dissimule, se dissimule à lui-même, et sa singularité et son origine, confronté à cette puissance insaisissable qui ne se donne à voir qu’en actes, il répond par un blanc-seing donné à son raisonnement qui désormais devra fonctionner en boucle, réduit à s’approuver lui-même …

Cela donne des choses étranges !

Ecoutez cette fable qui se situe quelque part entre Alien et les expériences du LHC au CERN !

Un principe psycho-spirituel, indifférencié, émanant de l’âme du monde - notez bien qu’il ne s’agit pas d’une âme individuelle ! - vient neutraliser un principe psychocorporel déjà à l’œuvre in utéro ! 5

De cette collision résulte, non pas dans le LHC, mais sous le crâne d’Aristote : cinq âmes, assignées chacune à une fonction bien précise : l’âme végétative, l’âme sensitive, l’âme désirante, l’âme voulante, l’âme spirituelle …

"L’Homme aux cinq âmes" vous paraît sans doute exotique, peu d’entre nous en effet ont retenu cette hypothèse, mais pour autant, le mal est fait : c’est dans notre corps de chair que se constitue notre âme singulière !

Encore que, si l’on demandait à nos contemporains ce qu’est une âme, il y a fort à parier que d’un flou évasif, bien embarrassé, se distingueraient quelques réponses un peu plus affirmées où elle est se voit réduite à notre faculté de penser !…

La voie était ouverte à notre oubli, comme aux futures prétentions de René, de La Haye-en-Touraine, l'Arsène Lupin de la  philosophie, qui, s’il était parti de "je réfléchis", de sa signification première, plutôt que de "je pense", serait peut-être arrivé à d’autres conclusions ! …

 

 

 

 

1 Mille ans se sont écoulés depuis le mystère du Golgotha, période durant laquelle, après bien des péripéties, le "Moi" finit par s’imposer, s'appropriant "ses" pensées, malgré le combat d’arrière-garde d’Averroès, le rhapsode d’Aristote …

"Bien des péripéties" car Rome la très catholique, fille d’Epiméthée, toujours en retard d’un coup dès lors qu’il s’agit d’évolution humaine, contrairement au Prométhée céleste dont elle se réclamait, n’avait su trancher en faveur de Pélage dans le débat qui l’opposait à Augustin, l’homme du passé, sur ce point au moins !…

Alors, dans cette abyssale solitude, en proie soudain au doute, il s’éprouve lui-même dans ce que l’on appela la crise nominaliste, ce vertige provenant d’une soudaine prise de conscience des artifices supposés du langage !

Pour celui qui se sent désormais responsable de ses représentations, "l’arbre" n’existe pas, aucun arbre ne ressemble totalement à un autre. "L’homme" n’existe pas, il n’y a que des individus !

L’universel n’est pas de ce monde, il n’y a que du singulier !

2 N’est-elle pas implacable cette peur de la mort ? N’est-il pas remarquable que Socrate ait besoin d’expliquer à ses élèves ce qu’il ne cessât de leur professer, encore sont-ils là, attentifs, et font leur miel de cette initiation !

Ce qui n’est pas le cas des apôtres qui se sont endormis au moment fatidique, puis enfuis, et n’auraient rien su du mystère du Golgotha, si un autre mystère, celui de la Pentecôte, ne l’avait éclairé !

3 Ce "nécessaire oubli", dès lors qu’il s’agissait de s’affranchir du monde spirituel, de concrétiser le choix d’Adam, de mourir plutôt que de ne pas exister, comportait le risque d’oublier nos véritables racines, d’oublier que notre liberté, une fois entérinée, valait billet retour ! C’est la raison pour laquelle, au-delà de toute raison, humaine, trop humaine, le Verbe s’est fait chair ! 

4 Voir à ce sujet les travaux de Heinz Wismann, qui n’ont paradoxalement pas le retentissement qu’ils mériteraient; cela en dit long sur nos savoirs falsifiés, stratifiés au cours des âges, sur lesquels s’adosse notre vision du monde. Il ne s’agit cependant pas d’une simple erreur, installée depuis plus de deux mille ans, que cet homme utile à son temps vient de rectifier, au moins si l’on sait que notre vision du monde influence puissamment notre âme en son actuel séjour ! …  

Si l'on veut bien considérer notre histoire comme un symptôme de ce qu'il se passe sur des plans supérieurs, la falsification opérée par Aristote n’est pas moins que le karma de l’Occident !

La question est : cette erreur volontaire qui préside au matérialisme n’était-elle pas nécessaire ?

Lors de la haute antiquité on disait "aveugle"ceux qui voyaient encore en esprit, soit qu’ils soient des attardés de l’évolution psychique comme Dhritarâshtra, le roi aveugle qui intervient au début de la Bhagavad-Gitâ, ou ayant subi le rude entrainement initiatique qui réinstaure la clairvoyance, comme Homère …

5 Cette spéculation d'Aristote, mélange inextricable d'anciennes traditions dévoyées et de pur raisonnement, pourrait cependant, très utilement, servir dans le débat non achevé, malgré les apparences : qu'est-ce que l'être humain ?

 

 

 

 

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