Géographie du surnaturel !

Non, cette expression pour le moins surréaliste n’est pas l’œuvre d’un quelconque publicitaire ou de son clone journaliste, ayant à vendre, qui un produit inutile, qui un article jetable …

Ce mariage impensable à défaut d’être impossible, cette provocation pour nos représentations engourdies, scintille quelque part dans la magistrale étude menée par Jean-Pierre Vernant sur « Le Mythe et la pensée chez les Grecs ».

Celui-ci étant désormais né au ciel, on ne saura donc jamais si c’était pour lui une manière de se moquer des représentations de nos prédécesseurs lors de l’exode qui les mena du mythe à la pensée, ou d’un saut créatif du résistant qu’il fut, en rupture subliminale avec cette insupportable prétention de l’Ecole à occuper les esprits ?

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*        *

Si nous optons pour la première solution, il faut bien dire que cette représentation fantaisiste du temps que l’on se faisait au temps d’Hésiode et d’Homère s’est éclipsée par la petite porte, car, qui s’en souvient désormais ?

Le problème toutefois, c’est qu’elle s’est réinvitée récemment par la grande, puisque l’un des plus intelligents d’entre nous l’a réaffirmée à l’heure habituellement consacrée aux regrets, nous sommes en effet au soir de sa vie ! …

Il est vrai que si elle est désormais acceptée par une partie non négligeable de la communauté des physiciens, son retour se fit sans tambours ni trompettes !

Comme si, soit dit en passant, cette apparente menace pour notre liberté pouvait tacitement réconcilier les hommes, les contraindre au silence !

Mais, foin de teasing, de qui s’agit-il ?

Flash-back :

Nous sommes en 1955, Einstein vient de perdre son coach, son meilleur ami qui, disait-il, le précédait en toutes choses ou, pour le dire autrement, lui permettait de devenir ce qu’il était !

Le "dire autrement" et ce qui suit, correspondant à une libre interprétation de La Porte des Lions …

Celui qui aida Einstein à préciser sa pensée, ses perceptions serait plus exact, à les mettre en musique, s’appelait Michele Besso.

Les amateurs de biographie, renifleurs de destins, verront-là un clin d’œil du karma, quand il se fait collectif ! … 

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La Porte des Lions a plusieurs fois mis au jour les étranges correspondances entre ce qui fut "vu en esprit", ici et là, durant la haute antiquité, et les "expériences de pensée" qui, à partir de Galilée, accouchèrent des différentes révolutions scientifiques …

Soyez-en sûrs, si c’était juste pour dire : rien de nouveau sous le soleil ! nous serions restés dans l’ombre propice à la réflexion !   

Avant toute chose, nous faut-il nous entendre sur la signification exacte de ce que nous appelons une "vision en esprit", d’une part, et une "expérience de pensée", d’autre part !

Pour ceux qui viennent de pousser la porte, voici un résumé de ces rapprochements, augmenté d’un ou deux autres !

Le chemin droit et le chemin courbe sont le même ! 

De qui est ce propos ébouriffant ?

D’Einstein, surpris lors d’un effort de vulgarisation du mystère de la trajectoire inertielle en ligne droite d’une planète, épousant, nonobstant ce diktat, la courbure de l’espace-temps ?

Non : Héraclite, dit "l’obscur", car ce qu’il disait, contrariait déjà le bon sens naissant de ses contemporains !

Le temps s’écoule plus ou moins vite selon notre vitesse propre !

Paul Langevin, prosélyte de la relativité restreinte, qui envoie en théorie dans l’espace, non une chienne comme le feront les soviétiques, mais un humain (l’expérience de pensée n’obéit pas encore au principe de précaution !), un jumeau en la circonstance, constatant que celui qui est resté au sol a vieilli beaucoup plus vite !

Non : Epiménide qui, n’ayant pas de fusée à sa disposition, pas même en perspective, pas le plus petit croquis, se contenta d’une sortie de corps comme tout bon mage de son temps, ou, comme suite à une initiation, si son atavisme ne lui permettait plus cet exploit naturel !

Cette sortie du corps, resté pour l’heure, voire beaucoup plus, dans un état cataleptique, plus périlleuse qu’un voyage en fusée, était une manière de sortir du temps, de ce lieu honni du devenir, de l’ignorance, de la douleur, où tout s’écoule, de rejoindre, au-delà du monde sensible, un autre monde, suprasensible où passé, présent et futur forment un continuum.

C’est ici que l’expression de Jean-Pierre Vernant trouve sa signification, à cet endroit de l’aventure humaine où certains : aèdes, devins, mages et premiers philosophes, tentent de se libérer de l’illusion de ce qu’Einstein appellera le "temps psychologique" ! …

                                                                                 *

*        *

Nombreux sont les physiciens qui envisagent désormais la possibilité d’un multivers, ou bien encore d’univers parallèles, dans l’un desquels, silencieux, inquiétant, figurerait notre double !                                                                                                                             

Comme il s’agit, non pas de spéculations, mais de conséquences de nouvelles hypothèses hautement probables, prenons notre temps, batifolons, avant qu’une éventuelle vérification ne vienne siffler la fin de la récré, nous contraindre à un peu plus de rigueur !…

En effet, pas de panique, le boson né sous Higgs n’a-t-il pas piaffé pendant 48 ans à la porte de la reconnaissance ?

En attendant Godot, peut-être pourrions-nous nous tourner utilement vers Pindare ! …

*

*        *

Passage obligé, hier encore, pour tout homme qui se targuait d’une certaine culture, il fut l’une des dernières victimes de la nouvelle Ecole du non savoir, qui emporta au loin, sans distinction, les "réputés nocifs" et ceux-là mêmes qui ne songeaient qu’à embellir la vie des hommes …

Toutefois, avant d’en arriver à ce qu’il aurait éventuellement à dire aux physiciens du XXIème siècle, ne nous refusons pas une gourmandise spatio-temporelle qui ne manque pas de sel !

Si donc, affranchis des règles du temps, sans pitié aucune pour son psychisme si subtil, moins assombri que le nôtre à tout le moins, nous lui demandions de commenter les prochains jeux olympiques de 2024, que pourrait-il bien dire, à condition bien sûr que, dominant sa stupeur devant cet incompréhensible avatar, il n’ait pas pris la fuite, ait recouvré ses esprits ?

Comment traduire son effroi devant l’absence manifeste des dieux au moment où s’accomplit l’exploit ?

Comment lui serait-il possible d’interpréter cet essaim de journalistes qui se précipitent vers le vainqueur sans avoir préparé le plus petit poème ?

Et, qui plus est, ne lui parlent que de lui qui, plus incroyable encore, semble satisfait de cet oubli majeur ?

Que dire de cet ego surdimensionné de l’athlète qui prend tellement de place que même son propre daemon se tient sagement à ses côtés, se fait oublier, le laisse bavasser ?

Que penser de ces dieux qui, en échange de leur éviction, se sont contentés d’une mention dans les théâtres innombrables aux fauteuils de velours, où se produisaient et se reproduisaient, les "dieux du stade", ces usurpateurs qui couraient après la gloire ?

Mais, lorsqu’il n’est plus l’heure des jeux, lorsqu’il s’agit de l’Homme "d'un rapide destin", Pindare se fait moins lyrique, plus grave, révélant aux somnambules que nous sommes, ce que nous ne savons pas  de nous-mêmes :

"L’image de notre être, notre double, dort quand nos membres agissent, mais quand ils dorment, elle nous fait voir l’avenir !"

Ainsi, nul besoin d’énergie noire, d’inflation cosmique, de big bang à répétition, les univers parallèles cohabiteraient au sein même de l’Homme ! ?

Mais ça, c’était avant, en ce temps où les initiés n’avaient nul besoin des équations dont on ne comprend toujours pas d'où elles sortent, quand il leur "suffisait" de sortir de leur corps pour soulever le voile d’Isis …

Mais, mutatis mutandis, cela devint bientôt impossible !

Nul rapport, nul compte-rendu ne nous fut fait de cette évolution, une fois de plus, seul le mythe en garde le souvenir, pour ceux qui en seront dignes, et il ne semble pas que nous soyons au nombre des élus !

Mais d’autres viendront, moins bégueules, moins sûrs d’eux, fascinés par l’évolution de l’Homme, notamment par cette époque où les forces en présence se donnaient à voir exclusivement par l’image, où l’intrication toujours plus prégnante entre l’âme et le corps donna lieu au spectacle dramatique du rapt de Perséphone ! 

*

*        *

Alors, un peu plus tard (tout est relatif !), vint Einstein, le père de la bombe, non, pas celle à laquelle vous pensez, mais celle qui peut anéantir beaucoup plus qu’une ou deux cités innocentes, réduire à néant tout ce que nous croyons savoir, du cosmos, de nous-mêmes, mais plus grave encore, de notre liberté ! …

Cette bombe qui pourrait pulvériser l’abri pourtant réputé à toute épreuve de notre opinion, ne nous laisserait pas la peau sur les os, ni le bon sens au coin du rictus ;  baptisée sans ambiguïté "univers-bloc", elle est bien la propriété intellectuelle d’Albert Einstein !

En revanche, celle que l’opinion lui attribue à tort et que ses géniteurs osèrent affubler du sobriquet de "Little Boy", a ouvert à l’Humanité la perspective d’une sortie du temps !

De quoi s’agit-il ?

Pour Einstein, le temps dont nous parlons, n’existe que dans nos représentations, il le nomme, était-ce avec une pointe d’ironie ? …"le temps psychologique" ! *

Dans sa vision, il n’y a pas un espace que l’on décide ou non de parcourir et un temps qui n’en fait qu’à sa tête, mais une étroite interdépendance entre les deux qui nous avait semble-t-il longtemps échappé, à une époque où, il est vrai, notre vitesse de déplacement à la surface de Gaïa n’excédait pas les possibilités de la plus belle conquête de l’Homme.

Ainsi il fallait trente-quatre heures en moyenne au chasse-marée pour amener le poisson de la Manche au ventre de Paris …

A cette vitesse l’espace garde son intégrité et le cocher, s’il a vieilli de trois dizaines d’heures n’en voit pas les effets !

Le "temps physique" n’est donc plus cet absolu qui enchaîne les phénomènes jusqu’à ce que mort s’en suive ;  qui plus est, il est privé de succession, car le passé est tout aussi présent que le présent, comme ce "déjà-là" injustement nommé futur ! …

Pour le dire avec nos pauvres mots : ils coexistent !

Nous n’avons ni l’intention ni la capacité d’entrer dans ce monde étrange des équations où le signe égal est signe de métamorphose (E=mc2), cette récente créature de l’Homme se révélant souvent plus savante que son maître (Dirac, Einstein) …

Héraclite s'en passait qui disait : Dionysos et Hadès sont le même !

Non, ce qui nous intéresse, c’est la place et le rôle de ce "temps psychologique", si tant est qu’il soit moins légitime que son dernier avatar : le "temps physique" !

Existe-t-il de toute éternité dans la psyché de l’Homme, ou est-il né quelque part dans l’espace-temps ?

En d’autres termes, et si c’est bien le cas, peut-on dater son apparition, décider de son éventuelle nécessité ?

Ce que nous laissèrent les Grecs, de ce point de vue, est considérable !

Tout s’est passé entre Homère et Socrate, on pourrait presque parler d’une "chaotisation" des esprits dont le tohu-bohu nous parvient sourdement, pour peu que l’on se donne la peine de ramasser l’espace de ces quatre siècles en un temps signifiant, à défaut d’être homogène !

Bye bye les héros, un mutant apparaît, l’individu conscient de lui-même, en images mythologiques que nous ne savons plus interpréter, et en ces mots pour le dire que sont la poésie lyrique, la tragédie, quand elle se détourne des dieux pour se focaliser sur lui, sur ses exigences nouvelles.

Le temps se fait tragique, vectoriel, succession d’évènements, de la naissance à la mort, en remplacement des cycles homériques où "les générations, telles les feuilles, emportées par le vent, jonchaient bientôt le sol tandis que la sylve en poussait de nouvelles "…

Ainsi en était-il jusqu'alors de la routine de notre espèce, "photographiée" par le voyant de l'Odyssée ... 

A la gloire du héros, l’individu préfère son salut !

La psychologie, ce coucou déposé, à l’insu de nos parents d’alors, absents pour motif cosmique, dans la chaude inconscience des origines, débarrasse la psyché du poids de la cosmologie, de l’emprise des dieux, de l'emprise du sang, de la tribu, du sens caché des épopées, réduites à l’apprentissage de la langue, et enfin, de toute préoccupation qui ne serait pas directement utile à l’ego …

Tout semble mener vers nous !

Ce serait ignorer le terrible ressac qui bientôt faillit tout emporter !

L’oubli au seuil de l’Hadès qui transformait les âmes en ombres sans conscience, s’invite au seuil de la vie; l’enfer est désormais ici et maintenant !…

C’est ce temps délétère, créature répudiée de la nouvelle psyché, où tout s’écoule, inexorablement, de la naissance à la mort, moment où le corps lui-même est définitivement emporté par cette déliquescence …

L’Occident ne relève pas le défi, par différentes échappatoires : réminiscence des vies antérieures, volonté farouche de sortir du temps, à commencer par ce corps qui en est tout à la fois la créature et le symbole, objet du plus profond mépris platonicien, ce mépris qui coutera si cher aux générations de croyants sur lesquelles pleuvaient les imprécations hystériques tombées, non pas du ciel, bien innocent en la circonstance, mais de la chaire, juchée sur les abysses de l’âme humaine …

L’Occident, en quête de virginité, de confiance en soi, semble avoir oublié cet immense trouble qui s’empara des âmes toutes fraîches. Il est vrai que cela fait terriblement penser à l’enseignement d’un certain Gautama dit le Bouddha …

Pour quelques initiés, en quelques confréries religieuses ou philosophiques, il faut donc s’affranchir de ce corps, s’extirper de ce temps pendant qu’il en est encore temps, avant que le rapt de Perséphone ne soit consommé, que l’intrication de l’âme et du corps ne l’interdise …

Se remémorer ce "temps sans vieillesse", sans gnomon, hors des jours sinistres et sans lumière dans la prison du corps …

Quand arrive Platon, les jeux sont faits, le ressac n’est qu’un lointain souvenir, Socrate a beau s’échiner à semer le trouble dans les consciences assoupies, l’oubli a gagné la partie, l’individu a oublié qu’il avait oublié, satisfait de son corps, et tant bien que mal de sa vie, il encense ses sens dont il honorera bientôt, se l'attribuant illico, leur terrible bon sens …

Ils ne savent pas ce qu’ils font !

Ils ne savent plus d’où ils sont ! ...

Platon s’est fait cassandre pour une petite élite, recréant de toute pièce, pour mieux se faire comprendre, ces mythes qu’hier encore il décriait : la caverne, Er le pamphylien …

Espérant que par ces images, l’élite de l’élite ne se décide enfin à recontacter le divin caché en elle par l’initiation …

Aux autres, le bourbier de l’Hadès !

Selon cette ligne de partage revendiquée, dont les avatars n’ont pas fini d’exercer leurs ravages …

Mais c'était écrit, l'initiation, au grand dam des successeurs de Platon, serait bientôt promise à tous ! 

Cependant, et de ce point de vue, rien de changé, elle dépend d'une libre décision de chacun ! ...

La quête antique du divin, comme le vrai christianisme, est affaire personnelle, elle ne dépend point de la cité !

Au travers des dernières paroles du crucifié, le constat est le même, ceux qui se pensent vivants sont en réalité morts, c’est une des raisons pour lesquelles, dans un élan incompréhensible pour ceux qui "meurent" en naissant, en se réveillant chaque matin, Celui qui emprunta pour un court instant le corps du supplicié, voulut s’apparenter à la mort !

 

  

* "Subjectivement, il y a un abîme entre nos modes de perception du temps et de l’espace, mais il ne reste pas trace de cette différence qualitative dans l’univers objectif, que la physique cherche à épurer de l’intuition immédiate. Cet univers est un continu à quatre dimensions qui n’est ni “l’espace” ni “le temps” ; c’est la conscience seule qui, se mouvant dans un domaine de cet univers, enregistre la section qui vient à elle et la laisse en arrière, comme “histoire”, c’est-à-dire comme un processus qui se déroule dans l’espace et se développe dans le temps." 

Hermann Weyl, mathématicien et physicien allemand.

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