Et puis vint Galilée ! ...

Il aura donc fallu près de quatre siècles pour que Rome reconnaisse son erreur concernant la justesse des vues de Galilée ! *

Mieux vaut tard que jamais, me direz-vous !

Eh bien non, en l’occurrence ce fut un coup d’épée dans l’eau, et, qui plus est, si l’Eglise a fini par baisser pavillon devant l’inéluctable, combien faudra-t-il de siècles encore pour qu’elle comprenne que "l’infection" aristotélicienne qui présidait à ce procès inique lui fit perdre la bataille du XIXème siècle contre les positivistes, ces enfants spirituels d’Aristote ?

La bataille du XIXème siècle fut celle qui fit rage autour des évangiles en vue de les discréditer, de les déconstruire, pour ensevelir, on ne sait jamais, la figure du Christ sous leurs décombres "fumeux".

Comment l’Eglise aurait-elle pu les défendre de manière adéquate puisque, tout bien considéré, ses représentations étaient les mêmes que celles de leurs détracteurs ?

Face à cette situation ubuesque qui relègue Machiavel au rang des petits joueurs, on peut soupçonner la main d’un acteur dont la ruse évoque celle du diable, débusqué par Baudelaire, et qui consiste à faire croire qu’il n’existe pas !

De quoi s’agit-il ?

La révolution galiléenne ! **

Se sentant menacée par l’effervescence intellectuelle où se conjuguaient nouvelle écriture stellaire sous la plume de Copernic, et appropriation collective des écritures sous l’influence de Luther, L’Eglise ne trouva d’autre parade que de s’arque-bouter sur l’interprétation littérale de la bible.

L’action simultanée du trublion de Saxe et de l’imprimerie avait changé la donne, Rome n’était plus seule à détenir la clé du savoir, ne pouvant plus la confisquer comme jadis, la rendre inaccessible au "commun", au moyen d’un latin devenu inaudible, mais au moins prétendait-elle être la seule à savoir la lire …

Selon son mot à mot pathétique, l’héliocentrisme n’avait pas sa place dans le ciel, encore moins dans les représentations de ceux dont le bon sens observait sans difficulté que le soleil n'avait de cesse de nous faire la cour …

N’était-ce pas aussi certain que ces corps qui chutent d’autant plus vite qu’ils sont plus lourds !

L’exclusivité accordée au bon sens, dès lors qu’il s’agissait de décrypter les mystères de l’univers, annonçait la débâcle de Rome le jour venu de défendre les évangiles !

Ces théologiens de l’inquisition, maitres-chanteurs, habiles tortionnaires, auraient de nos jours fait de piètres DRH …

En effet, n’avaient-ils pas devant eux un nouvel homme, acrobate des expériences de pensée, prophète d’un temps nouveau où le chercheur se débarrasse de tout ce qui peut le séparer du mystère de la nature : du message de ses sens, de leur interprétation, de ce qu’elle veut bien laisser paraître, en un mot, de leur trouble progéniture baptisée observation ! 

Mais c’était-là sortir de la caverne, rompre avec plus de deux mille ans de raisonnement à partir d’un leurre, sans oublier toutefois de remercier Aristote au passage, qui avait fait avec ce qu’il avait, avec les seuls moyens en qui il fit confiance : ses yeux de chair et son raisonnement, qui nous firent perdre un temps considérable, à moins que ce ne soit l’inverse !

Le débat reste ouvert, quand bien même il semble qu’il n’intéressa jusqu’alors aucun philosophe ! …

En 2013, la gent scientifique, par la voix distinguée d’Etienne Klein, rendit hommage à Galilée, à l’occasion de la remise du prix Nobel à ceux qui, près d’un demi-siècle plus tôt, contre toute évidence, soutinrent que les particules n’avaient pas de masse propre***…

Cette confiance accordée à ce qui provient du Moi, contre le diktat de l’observation, n’est-elle pas proprement galiléenne ?

Qui plus est, la masse n’est plus consubstantielle de la matière, mais, comme dans la chute des corps revisitée par Galilée dans son musée intérieur, provient d’une interaction avec ce qui n’existe pas à nos yeux, le vide quantique dans le premier cas et l’air dans le second …

De là à cet à cet instant primordial où tout se joue, il n’y avait qu’un pas !

A la suite d’une brisure de symétrie, disons d’un évènement inhabituel, le vide n’est plus vide et s’oppose à la course folle des particules, imposant à certaines de temporiser, le temps d’un temps propre, d’arrêter de courir après son ombre, de s’organiser, bref, de mettre la première main à ce que nous avons sous les yeux et dont ceux-ci sont faits !

Le livre de la nature est écrit en langage mathématique !

Ainsi, Galilée, dès lors qu’il s’agit de tenter de soulever le voile d’Isis, récuse le langage des hommes, trop fragmenté, trop ambigu, trop mouvant, pour célébrer un langage originel, universel, que chacun peut trouver au fond de lui-même dès qu’il s’agit de s’entretenir sérieusement avec la grande muette bavarde …

Où pourrait-on en effet apercevoir les formes géométriques et plus tard les équations, si ce n’est dans sa propre imagination ?

Galilée avait-il lu Proclus pour qui l’âme, avant que de se revêtir d’un corps, savait tout du mystère mais ne le savait plus une fois la penderie refermée, actualisant tel ou tel aspect selon sa relation avec cette enveloppe temporelle ?

Ce dernier des platoniciens tenait-il ça des Grecs tardifs, quand ceux-ci, lassés de la race des héros et de leur vaine gloire, commencèrent à s’inquiéter de leur salut individuel, dans le même temps que l’oubli, le Léthé, autrefois réservé au peuple fantomatique de l’Hadès, de l'enfer, s’invitait au tout premier instant de la vie ?

Connais-toi toi-même !

Le fronton du temple d’Apollon à Delphes ne laisse d’autre choix au visiteur que d’explorer ce "Je" qu'il exhibe à tout bout de champ mais ne sait rien.

Il est vrai que l'âme est alors chose nouvelle dans les représentations !

Pour tenter de recontacter le divin en soi, ce miroir du cosmos, il fallait s’affranchir du résultat de l’évolution, cette densification du corps, cette intrication toujours plus forte dont parle le rapt de Perséphone, recourir aux purifications, à l'ascèse, et pour finir, à l’initiation, séparation momentanée de l’âme et du corps, quand c'était encore possible...

Par la bouche de Socrate, Platon avait parlé de ces terribles épreuves dans le Phédon. Quant à la mythologie, ce joyau oublié, cette géologie de notre psychisme, n’avait-elle pas décrit en images cette intrication progressive de l’âme et du corps, cet obscurcissement de la conscience, de multiples manières ?

 

Renie ton Dieu et meurs !

Job (2-9)

Le doute s’est installé, l’obscurcissement n’épargne personne ...

Lors de leur traversée du désert, les hébreux discernent encore le divin dans les éléments mais ne le savent plus en eux !

D'où les paroles très dures, étrangement paradoxales de Celui dont ils guettaient pourtant le moindre signe (Nombres 20, 11-12) ****…

Que sait-on d’Adam ?

On n’a pas oublié Adam, certes, mais que sait-on encore de lui qui n’ait disparu le temps d'un sourire narquois ?

A commencer par la signification de son nom…

Si nos noms de famille ne disent plus rien de nous, ou pas grand-chose, en ce temps-là, ils disaient tout de ceux qui les portaient.

Adam veut dire "l’Homme fait de boue", l’Homme terrestre en somme !

Mais ceux qui nous savent cette origine, en ont-ils déduit pour autant qu’il existerait de ce fait un homme à qui fut épargné cette douloureuse expérience du mélange ?

Des traces de ce savoir oublié, de l'Adam primordial, se retrouvent chez Plotin, et dans l’évangile de Luc …

Qu’a-t-on retenu de Galilée ?

Pas beaucoup plus, un procès inique, un procès girouette qui accuse désormais l’Eglise, et, pour les nouveaux physiciens de l’invisible, un surdoué qui, en l’absence de moyens technologiques, découvre certaines lois cachées au terme d’expériences de pensée, dont la vérification s’effectue alors dans le huis-clos de la conscience …

Pour ceux qui observent l’évolution à la lumière de l’impulsion du Christ : un mutant, tant sur le plan philosophique que scientifique, qui n’accepte rien qui pourrait entraver sa relation fusionnelle avec l’univers : ni ses sens, ni les apparences, encore moins l’observation félonne qui ajoute à la confusion, ni même le langage humain, inefficient en l’occurrence …

Pour la petite histoire qui se nourrit des coulisses : aux yeux des sorbonnards dopés au bon sens aristotélicien, il aurait eu le tort de défendre le point de vue de Copernic, ce transfuge évident de l’infection luthérienne …

Ce qui, ultérieurement, fera tout à la fois sa gloire et son linceul !…

Car, s’il est vrai qu’il a défendu la thèse de Copernic, ce qui était signe de bon goût - comme un véritable amateur de vin l’apprécie, sans voir, ni sa couleur, ni le flacon, ni l’étiquette - il est tout aussi vrai qu’un jour ou l’autre, nous aurons digéré cette nouvelle blessure ontologique, d’autant que le temps d’une énième régurgitation, au train où vont les choses, notre système solaire fut récemment relégué dans la banlieue de la galaxie, elle-même chassée loin des autres dont elle venait tout juste de faire la connaissance …

Non, Galilée est beaucoup plus que le défenseur de la thèse d’un autre, beaucoup plus que le pionnier des expériences de pensée, beaucoup plus que celui qui sifflât la fin de la partie aristotélicienne, très provisoirement d’ailleurs, il est l’homme qui rompt avec l’inéluctable obscurcissement de la conscience !

 

D’un procès l’autre !

Au XIXème siècle, lors du procès qui fut intenté aux évangiles, les théologiens se retrouvèrent non pas sur le banc des accusés, chaque chose en son temps, mais dans le rôle des avocats.

Le problème qu’il faudra bien analyser un jour, c’est qu’ils ne connaissaient pas leur dossier …

D’ailleurs, comment auraient-ils pu se dépatouiller de cette situation inextricable, puisque, comme nous l’avons vu plus haut, leur représentation de la vérité était la même que celle des dé-constructeurs qui alors attaquaient en meute ?

L’affaire était donc pliée d’avance et les théologiens durent aller se rhabiller, en civil ! …

Pour ne pas ajouter à leur disgrâce, je vous ferai grâce des contorsions, des explications grotesques auxquelles ils se livrèrent pour justifier les nombreux passages problématiques, sans compter leur déni, lorsque cela dérangeait par trop leur credo …

Les passages qui tuent !

Parmi ceux qui firent beaucoup rire, non pas dans les chaumières où la figure du Christ restait d’autant plus importante que l’opium était inabordable, mais dans l’entre-soi des salons parisiens ou berlinois, où l’on pouvait se le procurer sans culpabiliser, il y a ce passage où Jésus marche sur les eaux !

Et qui préfigure, d’une certaine manière, le point d’orgue de cette tragédie, celui où le temps s'arrête, où, que ce soit sur tapis vert ou à l'orée du désert : " Les jeux sont faits, rien ne va plus !"

Pour ses proches également, la partie est terminée !

Pierre, redevenu Simon, capable du pire et du meilleur, a renié, s’est enfui, et les femmes, douloureuses, s’acheminent vers la tombe pour embaumer le corps, comme il convient pour un simple mortel …

Judas a joué double jeu et finalement perdu !

Autant d'échecs apparents qui, au passage, pourraient nous dédouaner d’un certain scepticisme !

C’est alors, que selon les évangiles, l'entité apparaît, aux femmes tout d’abord, sous l’apparence d’un jeune homme en robe blanche qui les laisse sur leur faim quant à l’objet de leur visite, puis à quelques autres, tous certains que c’est Lui, malgré d’incertaines apparences, tandis que le corps qu’on lui connaissait, par une décision inattendue de Pilate, avait été décroché, exsangue, de l’arbre mort ! ******

Le diable est dans les détails, dit-on !

Serait-il seul en cet endroit ?

Il s’agit, vous l’aurez compris, du mystère de la résurrection, sans lequel le christianisme n’est plus rien, ou si peu !

Pourquoi ces deux passages, quand bien d’autres posent question ?

Parce que sans prévenir, les évangiles passent du monde sensible au monde suprasensible, dont l’occident a fini par se débarrasser sous l’action conjuguée d’Aristote et de ses enfants spirituels que sont l’Eglise romaine et les matérialistes, quand ce ne sont pas les mêmes ! …

Ce qui tue en réalité, c’est la vitesse acquise de nos représentations !

Le double problème qui les affecte, voire les infecte, c’est que nous les pensons nôtres et par conséquent ne savons pas à qui nous les devons !

Mais s'en rendre compte est risqué et supposerait une recherche qui aboutirait bien souvent à la terrible conclusion que, tout à la fois, elles nous squattent et sont complètement dépassées …

Point n’est besoin de les décrire, vous les connaissez mieux que personne !

Voici donc quelques éléments nouveaux dont vous connaissez peut-être tout ou partie, et qu’il s’agit de confronter avec vos certitudes :

De ce monde dit sensible, non qu’il compatisse à nos malheurs, mais se trouve accessible à nos sens, nous savons désormais que nous n'en connaissons qu’une infime partie. Pour exemple, la lumière dite visible représente très peu de choses au regard de ce que nos yeux ne sauraient soupçonner ; nos oreilles ne sont pas beaucoup plus performantes, quant à l’odorat, notre plus fidèle ami eut le flair de nous confier sa vie il y a belle lurette etc.

En recherche scientifique, depuis près d’un siècle, le fameux "bon sens" a quitté le statut de preuve pour celui de notre pire ennemi …

"Il faut apprendre à penser contre son cerveau", disait Gaston Bachelard, qui lui laissait néanmoins cet os à ronger …

L’observation est trompeuse, nous disait Galilée, sans autre preuve que son intuition, singulièrement économe et ne nécessitât ni labos, ni vide inter sidéral, ni expédition sur la lune …

Le monde invisible est "indéterminé" a dit Heisenberg, et nous laisse incertains !... Mais où est donc passé l'électron ? …

Et pour finir - ou recommencer du bon pied, c'est selon ! - le monde intelligible, cet autre monde disparu des radars est de retour :

 

« J'imagine que chaque fois que l'esprit perçoit une idée mathématique, il prend contact avec le monde platonicien des idées […] Quand nous « voyons » une idée mathématique, notre conscience pénètre dans ce monde des idées et prend directement contact avec lui. »

 

Roger Penrose, Prix Nobel de Physique 2020.

 

Remarquons au passage que cet intelligent parmi les hommes ne s’approprie pas l’idée, qui est, les penseurs grecs le savaient, une perception et non une production du cerveau …

 

Reste alors un autre grand disparu, "le monde intermédiaire", entre notre monde sensible et ce monde intelligible, dont le souvenir vivant fut conservé pendant des siècles par les platoniciens de Perse et, à nous ramené, par le valeureux Henri Corbin.

  

Ce monde "imaginal", qui n’a rien d’imaginaire, est le lieu des théophanies, des résurrections, où l’Homme peut rencontrer - s’il le désire ardemment, s'il s'en est rendu digne ! - au moyen de son imagination active, des entités du monde suprasensible, sous des formes qui correspondent cependant à son état d’avancement spirituel.

 

"Seul le semblable peut connaître le semblable !" 


Cet avertissement ne figure pas au fronton du temple de Delphes mais au seuil de cet autre temple où furent admis les témoins de ce qui échappe à notre observation ******* ...

 

 

 

*A l’initiative d’un pape providentiel, dont l’incarnation en Pologne tomba à point nommé, car se profilait alors un défi à la mesure de son daemon : la perspective d’une autodestruction de l’humanité … Son rôle, le simple fait d’être là, à cette occasion manquée pour les forces du mal, a été peu mis en valeur, pas plus que ces quelques mots qu’il prononça et contredisent, pour qui sait les entendre,  des siècles de culpabilisation : n’ayez pas peur !

**Oui, révolution galiléenne et non copernicienne, car si cette dernière, réelle, salutaire, a modifié durablement notre représentation du système solaire, celle de Galilée est d’une toute autre ampleur, initiant une nouvelle relation, directe, entre deux mystères pour l’Homme : celui du cosmos et celui de son Moi !…

*** Voir à ce sujet les travaux d’Etienne Klein, que La Porte des Lions a souvent célébré, en raison notamment de son harassant travail d’essarteur dans l’inextricable forêt de nos préjugés, comme de son humour qui tutoie parfois la canopée ! … A découvrir notamment : la conférence de Parenthèse Culture 3 sur Google du 27/03/2014.

**** voir à ce sujet 5 conférences tenues par Rudolph Steiner à Norrköping en Suède du 12 au 16 juillet 1914, regroupées par les Editions Triades à Paris, sous le titre : Le Christ et l’âme humaine.

Paul, véritable fondateur d’un mouvement qui allait embraser l’occident, avait expliqué aux corinthiens que l’entité que les hébreux discernaient encore dans les éléments mais ne savaient pas présente en eux, pouvait désormais, à chacun d’en décider librement, éclairer le Moi : "Pas moi, mais Christ en moi !"

***** il aurait alors été honnête de citer saint-Augustin, véritable découvreur de cette relation de cause à effet qui a pour effet provisoire de calmer le doute existentiel ! … 

****** Les romains avaient pour habitude de laisser les corps affaissés des crucifiés aux vers, aux corbeaux, et au temps qui passe ... "afin que nul n’en ignore!". Spartacus et des milliers de ses braves avaient ainsi "décoré" la voie Appia entre Rome et Capoue. 

******* Il est de bon ton dans les dîners en ville de citer le colporteur tardif d’Aristote nommé Averroès. Quand pourrons-nous célébrer autour d’un banquet joyeux le retour de Platon, organisé par Henri Corbin qui eut le courage et le talent de ramener à l’Occident un savoir par lui répudié …

 

 

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