La cheminée du paquebot et les moutons de Dirac …

Réputé pour son mutisme, parsemé de réflexions à la limite du saugrenu, Paul Dirac mis au point une équation plus bavarde que lui, puisqu’elle révéla l’existence de l’antimatière !

A ce titre, qui lui valut le prix Nobel, et n’eut d’autre résultat que de le laisser sans voix, il est peut-être le seul au monde à mériter doublement ce qualificatif d’inventeur qui désigne tout à la fois celui qui invente quelque chose qui n’existait pas ou celui qui découvre ce qui existait à notre insu !

Pour ajouter à la centralité du personnage, cette antimatière qu’il aperçut, incrédule tout d'abord, lovée dans son équation, n’existe pas, au moins au sens où nous entendons cette expression …

Et, qui plus est, sans son apparente inexistence, peut-être n’existerions-nous pas non plus ! …

*

*        *

Lors d’un voyage en train, en compagnie de Wolfgang Pauli, l’autre grand physicien de ces années folles, celui-ci, pour tenter de briser la glace, s’adresse à Dirac en ces termes : « Regardez Dirac, on dirait que ces moutons ont été fraîchement tondus ! »

Un regard appuyé par la fenêtre, suivi d’une intense réflexion, accouchent alors d’une vérité oubliée : « Oui, au moins de ce côté-ci ! »

Au regard des différents témoignages dont nous disposons sur ce génie, il ne me semble pas qu’en la circonstance, celui-ci recherchait un quelconque effet comique, non, Dirac avait d’autres chats à fouetter, à commencer par celui de Schrödinger !

Pour être provisoire, sa conclusion nous apparaît farfelue car, à notre différence, Dirac ne se contente pas du savoir tel qu’il nous fut transmis, de ces raccourcis conceptuels qui, s’ils sont consubstantiels à l’élaboration du langage, peuvent nous emmener loin de la réalité.

A l’inverse de ce que pense habituellement le troupeau des hommes, les moutons de Dirac - en l’occurrence des prés salés - ne diraient pas de la cheminée qui, tel Poséidon, apparait à l’horizon, qu’elle annonce un paquebot …

Quand bien même la probabilité, de mémoire d’Homme, qu’aperçue seule à cet endroit, elle puisse chevaucher toute autre monture, pourrait rapidement partir en fumée …

Dirac avait donc une disposition d’esprit qui indisposa sans doute ceux qui ont tant à dire qu’ils n’ont pas le temps d’interroger le langage, cette lente accumulation de savoirs qui se recouvrent au fil du temps, sans jamais se remettre en question.

Cette infinie méfiance quant à notre interprétation du message délivré par nos sens, et partant, cette déconstruction en temps réel de ce que nous croyons savoir, mena Dirac jusqu’au bord de la mer qui porte son nom, hostile aux touristes du savoir, et finalement désertée par les physiciens impatients d’asseoir leurs incertaines avancées sur quelque certitude expérimentale …

Pour ce qui nous intéresse sur La Porte des Lions, cette attitude étrange de ce génie, conforte notre volonté d’analyse de la manière dont notre actuelle relation au monde s’est progressivement constituée !

Et, en toute logique, par la question de savoir si elle fut de tout temps, ou si elle fut précédée d’une autre, comme se pose aux astrophysiciens la question du grand rebond, ou bien encore, du reculer pour mieux sauter en biologie évolutionniste…

Au moyen âge, ceux que l’on appela les nominalistes, qui, comme Dirac, ne se contentaient pas des affirmations péremptoires, entreprirent de questionner les mots, de pointer ce qui pouvait apparaître comme des raccourcis, des simplifications, des catégories qui n'auraient d'autre utilité que de ne point se perdre dans les détails …

Prenons par exemple le lion : à l’évidence, quand bien même ils se ressemblent, il n’y a que des lions !

Et qu’en est-il de l’Homme, quand, à l’évidence, au moins celle de leur temps - mutatis mutandis - il n’y a que des individus, etc.

De l’eau avait en effet coulé sous les ponts depuis que les visions ataviques de saint-Augustin avaient été emportées par la vague grossissante de l’individualisme …

Est-ce l’âpre combat qui en résulta avec des théologiens arcboutés sur leur dogme ainsi fragilisé, sur l’insane menace qui pesait sur la Trinité, qui ne serait qu’un nom, une commodité dès lors qu’il s’agit de penser l’impensable ?

Furent-ils à ce point accaparés ? Toujours est-il qu’ils oublièrent de s’intéresser à l’origine même de notre savoir, si tant est qu’ils en aient eu l’intuition ?

Il est vrai que le regard de l’historien le plus érudit du moment portait alors sur moins de deux millénaires, et qui plus est, grâce, pour bonne partie, à l’apport récent des colporteurs du savoir de cet Islam qui savait que le passé, fusse-t-il le fruit des autres, est notre bien le plus précieux.

Donc, pour revenir à nos moutons, la déconstruction du langage, ce marqueur parfois secret de notre relation au mystère de l’univers, n’amena ni les uns, ni les autres, à envisager qu’elle soit récente, qu’une autre l’ait précédée …

Il est tout aussi vrai, qu’en rupture radicale avec l’impératif apollinien : « connais-toi toi-même ! », nous nous contentons d’une piètre analyse de notre psychisme, mutique pour l'essentiel, pour très vite nous prosterner devant notre corps physique, auquel, c’est établi, nous devons la vie, au moins aussi longtemps qu’il en décide …

Quant à ceux qui nous précédèrent à la surface de Gaïa, ne soyons pas plus royalistes que le Roi, ce qui nous intéresse à leur sujet, c’est quelques os abandonnés par quelque charognard repus, à moins qu'ils ne fussent conservés par des sols prévoyants, ou bien encore retrouvés en position fœtale dans quelque tombe intentionnelle, symbolique antédiluvienne qui témoignerait de la misère psychique de nos ainés, de ce besoin de consolation de l’Homme devant la mort …

Pour ce qui concerne leur comportement, quelques tessons de poterie ou restes carbonisés feront l’affaire !

Quant à leur relation au mystère de l’univers, nous décidâmes de nous en désintéresser, étant soi-disant dépourvus de tout élément qui pourrait en témoigner…  

Il est vrai que Platon avait commencé à dénigrer les mythes, ne se refusant toutefois pas le droit d’en inventer de toutes pièces, suivi en cette exaction, par l’Eglise romaine et la science, sa fille cachée …

Mais si Platon était dans son rôle de passeur, l’Eglise romaine usa et abusa du saut qualitatif dont elle n’était en rien responsable et pour son seul pouvoir …

En bref, dans quel univers mental ont-ils traîné leur carcasse, ces taiseux d’avant, le temps que celle-ci échappe à la poussière des sols ou des musées ?

Peu nous chaut !

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*        *

Dans le registre de ce qui ne nous intéresse guère, "nous passe au-dessus de la tête", dit-on dans une langue beaucoup plus bavarde qu’il n’y paraît, il y a ces coïncidences, diluées la plupart du temps dans notre inattention, jusqu’à ce que l’une d’elle ne finisse par crever les yeux des plus aveugles …

Ainsi, avons-nous fini par observer que Pythagore, Bouddha, Confucius, Lao Tseu, Zoroastre, s’étaient incarnés, pardons signalés, dans un mouchoir de poche temporel, avec pour conséquence un saut qualitatif gigantesque, inédit, vers l’inconnu, ce qu’aujourd’hui nous appelons intériorisation …

Quand bien même l’observation de ce regroupement fut soigneusement gardée sous serre, elle finit par échapper aux milieux dits cultivés, mais tombée en des terres desséchées, elle ne prospéra point ! …

Pour second exemple : aux XVIIIème et XIXème siècles, les Lumières étaient sur le point de faire reculer "l’obscurantisme", cette ombre projetée qui, bien souvent, cachait également leur propre misère …

C'est alors que, de manière incongrue, les perses, aperçus à l’orée de l’évangile de Mathieu, se réinvitèrent dans les représentations par quelques documents exfiltrés de l’orient lointain ...

Un mage y était exhumé du sarcophage des mythes, les grecs l'avaient appelé Zoroastre; l’accueil fut mitigé, à tout le moins peu fécond, la volonté de faire la lumière n’ayant alors pas celle-ci pour objet …

Mais, semble-t-il, l’époque était aux résurgences, au miroir que nous tendaient avec insistance les hommes d’avant, et bientôt, d’autres documents, provenant de l’Inde, plus anciens encore, vinrent irradier certaines consciences au pays de l’Aufklärung …

Schopenhauer s’y était reconnu, quand Nietzche son élève, ainsi confronté au mystère de l’éternel retour, moderne Narcisse, commença à perdre pied !  

N'en déplaise aux porteurs de piques, de flambeaux et autres incendiaires de l’époque, si, aux prises avec les forces toujours à l’œuvre, nous avions renoué, et de quelle manière, avec la facilité sanglante du bouc émissaire, nous n’en avions pas terminé avec l’esprit du monde !

A moins, tout bien considéré, que ce ne soit avec l’esprit du temps, si l’on songe à ces télescopages silencieux, qui pourraient remettre à sa juste place, ce que nous appelons l’Histoire, ce symptôme de luttes qui se déroulent sur un autre plan.

Pour troisième exemple, il y a cette génération de jeunes physiciens qui s’abat sur l’Europe au début du XXème siècle, telle une volée de moineaux qui bientôt ne se contenta pas des miettes d’un savoir désormais rassis, décidant unanimes qu’il fallait apprendre à penser contre leur cervelle ! …

Le résultat de cette assemblée convoquée dans la plus grande discrétion à la surface de Gaïa, mais enfin réunie au grand jour lors du congrès Solvay de 1927, décida de l’existence d’un monde dont ni nos lois ni nos yeux ne peuvent rendre compte …

Savaient-ils, ceux-là, que d’autres lois, plus obscures encore, les avaient poussés à se retrouver en Terre inconnue, au moins pour ce qu’elle était devenue, mais, ne leur cherchons pas querelle, ils avaient déjà fort à faire, et le temps n’était pas venu pour eux de les décrypter, mais de nous y préparer !

Sur l’estrade de l’institut de physiologie, à quoi pensait exactement Einstein, lorsqu’il affirma, aux fins apparentes de clouer le bec de ces nouveaux chercheurs quelque peu volages : « Dieu ne joue pas aux dés ! » ? …

Sa conscience diurne, nourrie des insistantes questions de son enfance, des sensations qui les accompagnaient, comme dans un rêve éveillé, il en recréait les conditions en faisant sa sieste sur un tabouret inconfortable qui savait le rappeler à l’ordre, juste avant qu’il ne sombre dans un onirisme avare de ses secrets …

Est-ce lors de l’une de ces siestes éveillées que le monde quantique de Niels Bohr lui apparut comme un tapis vert, cette création des hommes où le hasard avait remplacé les lois divines auxquelles les hommes n’avaient plus accès et partant, ne croyaient plus ?

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*        *

 

Pour ce qui concerne nos représentations, la table rase de Descartes et ses répliques appliquées que furent la Terreur de 1793, puis celle des Khmers rouges au Cambodge, de sinistre mémoire, aussitôt oubliée, sont peu de chose au regard de la déflagration, de l’irruption du monde quantique dans le train-train plus de deux fois millénaire de notre relation au mystère de l’univers.

Les médias s’y intéressèrent vivement au sortir de la première guerre mondiale, à ce moment où tout ce qui permettait de voir le monde autrement était bon à prendre; puis, l'époque s'acheminant cahin-caha vers une forme de normalité, au moins pour le vulgaire, dispensé d'années folles, notre bon sens retrouva la soudaine puissance d'un réflexe !

Toujours est-il que peu d’entre nous éprouvent le besoin de placer le saut qualitatif de la physique quantique dans une perspective anthropologique qui s’attacherait plus particulièrement à l’évolution de notre psychisme …

De ce défi à nul autre pareil, depuis que l’Homme fit confiance à son seul raisonnement face au mystère du monde, Gaston Bachelard avait déduit qu’il était temps d’apprendre à penser contre son cerveau.

Gageons qu’il s’agit là d’un grand pas vers l’avenir, à condition toutefois que cette invite parvienne à suffisamment d’oreilles attentives ! …

Mais en même temps, n’est-ce pas là valider le holdup up cartésien sur la pensée, car, cela est oublié, mais, jamais ô grand jamais nos premiers penseurs occidentaux n’auraient su s’approprier de la sorte la pensée, ressentie alors comme une perception et non comme une production du Moi !

Alors, révéler aux hommes, qu’il n’y a pas si longtemps, au regard du temps long de l’évolution, leurs lointains prédécesseurs ne se servaient ni de leur cerveau physique, ni même de leurs sens, dans leur commerce intime avec l’univers, affirmer qui plus est que de nombreuses traces nous restent de ce temps enfui, cela, vous en conviendrez, dépasse l’entendement …

Eh bien, justement, si nous utilisions enfin notre entendement pour décrypter ces témoignages que, jusqu’alors, aucun historien ne fit jamais citer au tribunal de l’Histoire !

Comme La Porte des Lions n’a de cesse d’explorer cette période qui accoucha sous x du nouvel homme - de vous, de moi, par conséquent !- nous nous contenterons d’évoquer quelques pistes que chacun pourra explorer plus avant, s’il en éprouve le désir.

Connais-toi toi-même !

Le précepte est resté célèbre, ce qu’il veut réellement dire, un peu moins !

La période de profonde mutation dont il est le témoin, moins encore …

Quant à sa genèse, point d’archéologues du psychisme pour nous dire qu’il ne fut pas toujours nôtre !  

Partons donc de son support, le fronton du temple de Delphes, c’est, vous me l’accorderez, plus impressionnant qu’une plaque de psychanalyste au bas d’un immeuble !…

Le temple d’Appolon est construit autour d’une institution nouvelle à l'époque : la pythie, en mémoire de la récente victoire d’Apollon sur Python, le serpent de l’ancienne connaissance.

Sur ce serpent psychique qui s’insinue dans toutes les traditions orientales, occidentales et hébraïques, dont l’Homme écrasa la tête en un temps qui jouxte le nôtre, "La Porte des Lions" n’a de cesse de revenir, y compris par la fenêtre, lorsqu’elle se casse le nez sur la porte close de nos représentations …

Sur ce "nos", il y aurait d’ailleurs beaucoup de choses à dire !

Autrement dit : nos idées nous sont-elles propres ou sont-elles sales de celles des autres ?

Et parmi les plus ancrées, celles de nos prédécesseurs passés de la lumière à l’anonymat, et qui ne sont plus là pour les défendre ou les réfuter, si toutefois le temps leur en avait été donné; c’est ainsi que se construit l’opinion, aussi sûre d’elle-même qu’elle l’est peu de ses sources ! …

Si ce précepte delphique marque une rupture dans notre évolution psychique, qu’en était-il avant ?

*

*        *

 

 

Au XIXème siècle, les occidentaux, au faîte de la puissance cognitive de l’humanité, du moins l’affirmèrent-ils, découvrirent ébahis, un texte migrateur, étrange, répétitif …

Était-ce un poème ? assurément, et de la meilleure facture !

Une épopée ?  Sans aucun doute !

Déstabilisés par sa petite musique, ne sachant plus rien de la fonction de cette rythmique obsédante, de ces répétitions, pour eux superfétatoires, ignorant qui plus est, qu’il s’agissait-là d’une tardive et réticente mise par écrit d’une tradition orale, près de trois fois millénaire :  la Bhagavad-Gita !

Le chant du Seigneur !

Pourtant, paradoxalement, ils n’eurent alors point de mots assez forts pour louer la beauté, l’ampleur de ce poème hindou, que dis-je, de cette épopée digne de L’Iliade - c'est dire ! -, fascinés par le récit de ce drame si lointain qui mettait en scène l’inéluctable affrontement entre cousins germains, dans un décor exotique, si exotique, qu'il n'aurait su rappeler la ligne bleue des Vosges …

Puis, un peu plus tard, quand la terre incrédule rendit l’âme de trop de sang versé, l’herbe folle repoussa sur les tranchées apaisées ... Une autre guerre s'en vint alors qui couvait sous la cendre, et puis s'en est allée ! ... S'établit alors "durablement" le temps de l’oubli, le temps de la paix, et donc des états d'âme, le temps de reprendre en main, toute épopée cessante, toute ambition universelle escamotée, ce qui ne serait au fond qu'un recueil de recettes pour le développement personnel …

Cet occident me fait honte !

En dehors de cette attitude utilitariste dont nous sommes coutumiers, qui a jamais vu, qui a jamais dit,  qu’il s’agit là d’un document anthropologique de premier ordre, qui nous parle précisément de ce moment où l’humanité est sur le point de muter, secouant le joug délicieux d’une conscience globale, tribale, extérieure, pour accoucher d’un individu pourvu d’une conscience personnelle, et qui, pour être propriétaire est souvent douloureuse …

Du principal personnage, Krishna, la légende dit qu’enfant, il dut vaincre le serpent Kali, insidieusement envoyé par son oncle, attaché au passé, réactionnaire dirions-nous désormais.

Je vous entends d’ici : il s’agit d’une légende !

Dois-je vous rappeler que si vous êtes sur La Porte des Lions, c’est qu’au moins inconsciemment, les représentations que l’on vous imposa depuis votre enfance, ne vous conviennent pas plus que cela !

Entendons-nous bien, point n’est besoin d’être grand prince pour imaginer que ceux qui nous succéderont bientôt à la surface de Gaïa qualifieront de légende notre prétention à nous assurer du mystère du monde au moyen de notre seul raisonnement …

Prenons un exemple de ce nouveau-né au front de l’Homme, de ce point culminant de la logique :  "ce qui est, est, ce qui n’est pas n’est pas !" (Parménide).

Ainsi fut posée la pierre d’angle de la philosophie ! ...

Les plus ironiques parlent d’une tautologie, dissimulant ainsi leur adhésion fondamentale aux représentations sous-jacentes de l’Occident pour lequel n’existe que ce que l’on voit !

Pour penser le monde, l’orient ne fit pas cavalier seul, il s’en remit  à une parole dont l’Homme n’est pas responsable, mais que certains, par leur pureté et leur sagesse furent dignes de transmettre :

 

Il n’était alors ni être, ni non être

L’Un respirait sans souffle !

Rig Veda Hymne X-129

 

Evidemment, il est moins aisé d’entrouvrir la porte du mystère que d’enfoncer des portes ouvertes !

Mais s’il nous est toujours aussi difficile de comprendre cette genèse peu commune, au moins pouvons-nous admettre l’existence de ce qui dépasse notre entendement, accepter la possibilité de  cette superposition d’états, qui indique, avant la physique quantique mais, pour ce qui nous concerne, grâce à elle, que l’univers ne se résume pas à notre monde sensible …

C’est ce que nous découvrons actuellement, ou redécouvrons, car telle est la question !

 

*

*        *

Revenons donc à Kurukshetra, lieu du champ de bataille de la Baghavad-Gita !

Krishna, le maître d’Arjuna, lui enseigne, avant qu’il ne l’oublie définitivement, ce temps ancien sur le point de s’achever, et partant, l’enjeu primordial de cet avenir dans lequel il lui faut s’engager résolument, quand bien même il n'y comprend rien, renâcle, démissionne ...

Seul le premier enseignement est l’objet de ce billet, quant au second, à bien entendre le discours des exégètes, philologues et autres érudits sur ce monument d’anthropologie, pas même entrevu comme tel, je ne suis pas sûr que notre époque soit en mesure de le comprendre …

Sur un certain nombre de points, il me semble que ces modernes auraient bien plus encore de difficultés à comprendre Krishna que son élève Arjuna, victime il est vrai, lui aussi, des préjugés de son temps, de ceux de sa tribu, du regard des autres, quand les autres étaient encore les "siens" …

Il nous faudra donc y revenir, à nos risques et périls, mais dans le souci de la vérité qui annonce fort heureusement l’époque à venir, sans l’intermédiaire du social, du regard des collègues, de l’Ecole, des religions, de l’opinion, comme de toute autorité extérieure qui pourrait faire obstacle au contact entre l’individu et les lois du monde suprasensible, si différentes des nôtres !…

Pour tenter d’expliquer à Arjuna la manière qu’avaient les hommes de voir les choses, très étrangère à la sienne et donc à la nôtre, Krishna prend l’exemple du figuier.

Lors de cette époque qui achevait de se déliter, la relation des hommes avec le macrocosme ne se faisait pas principalement au moyen de l’attelage de nos cinq sens et du cerveau, mais d’un corps subtil dont nous n’avons plus la moindre idée, précisément parce qu’il échappe à la vigilance de nos yeux de chair.

Un mythe grec nous parle de ce tournant majeur dans l’évolution de l’Homme, c’est le Rapt de Perséphone …

A sa manière, la physique quantique nous parle, non de cette période de mutation, mais de ce résultat qu'est notre actuelle conscience, de ses erreurs, de ses limites.

Catastrophe ou restriction ?

Les lois qui gouvernent notre structure intime, notre chair devenue si chère, ne sont pas celles auxquelles nous obéissons !

Personne ne se l’explique, mais ainsi va le monde et, plus particulièrement, notre petite personne !

En d’autres termes, à part risquer la camisole chimique ou le centre de désintoxication, personne ne se risquerait à décrire une expérience au cours de laquelle, totalement libéré du regard des autres, il se serait senti délicieusement partagé entre deux états superposés, dans cette jouissance ultime de ne pas être réduit à un seul rôle, à un seul destin ...

Jamais, ô grand jamais, il n’affirmerait non plus que tout en étant ici, auprès de vous, il est là-bas, auprès d’un étranger …

Seul Apollonius de Tyane, mais ça, c'était avant ! ... 

Les physiciens considèrent cette rencontre entre le monde quantique et le monde sensible, ce saut législatif, ce recul arbitraire qui soudain restreint le champ des possibles, comme une catastrophe !

Je ne sais pas s’ils en arrivèrent à cette conclusion par amour de la liberté, c’est en tout cas tout le mal que je leur souhaite !

Mais, pour en revenir à cette nouvelle blessure narcissique qu’ils nous infligent sans l’aide d’aucune planète : nous qui, en somme, sommes plus que la somme de nos parties, serions moins libres que la plus infime d’entre elles !

Si l’on ajoute que nos yeux de chair n’entrevoient qu’une infime partie du cosmos en fonction des longueurs d’onde qu’ils peuvent traiter, et que tout accès aux phénomènes, au-delà des formes extérieures, leur est formellement interdit, que, pour conséquence de ce qui précède, nous ne pouvons être en deux endroits à la fois, ni bénéficier de la liberté d’un état superposé, vous admettrez que nous sommes soumis pour le moins à un sévère régime de restrictions …

Ceci, il me semble, pour n’avoir pas été encore formulé de la sorte, peut être cependant facilement admis !

Nous y reviendrons, mais pour l’heure, notre propos est de savoir si cela a toujours été comme ça !

Pour en revenir au figuier !

Pour tenter de se faire comprendre d’Arjuna, dont le regard, comme le nôtre, est stoppé net par l’extérieur de tout ce qui vit, et donc de lui-même, Krishna prend l’image du figuier dont les racines semblent descendre du ciel et les branches se propager vers le sol …

C’est l’image devenue occulte de l’Homme, cette plante inversée, dont les racines proviennent du cosmos quand les branches provenant du cerveau se ramifient dans les membres supérieurs et inférieurs.

Lors de l’acte de connaissance, les hommes de ce temps voyaient s’animer de bas en haut le long de ce tronc, ce fameux serpent que l’on retrouve dans nombre de mythes, dans la Genèse - qu’il s’agira de remettre en perspective - explicitement aussi chez Phérécyde de Syros que nous avons rétabli dans sa dignité de premier des philosophes, en ce sens que la mutation passe par lui : quand Ophioneus lui en laisse le temps, il est l’un des tout premiers à entrevoir son âme, ce pas décisif vers l’intériorisation.  

Elle n’est pas la seule, mais l’immense mythologie grecque fourmille de ces serpents dont l’homme finit par écraser la tête, pour imposer la sienne, pourrait-on dire, lequel se venge en le mordant au talon, ou en l’emmenant en Enfer comme ce fut le cas pour Eurydice, à une époque qui correspond à celle où Gautama connut l’illumination sous le figuier et devint Bouddha, époque où en Grèce l’Hadès, l’enfer, passe dans les représentations de ce mutant que nous appelons individu, du souterrain au plancher des vaches, à cette vie en somme, entre naissance et mort …

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Quelques heures avant de monter sur la croix, cet arbre mort, le Christ s’adresse par la bouche de Jésus à un figuier qui ne demandait rien à personne et prononce des paroles qui ne disent rien à personne …

Non seulement à l’aube de Pâques, à cet endroit de Gaïa, ce n’est plus la saison des figues, mais il est dit de manière appuyée qu’il ne portera plus de fruits …

Les évangiles passent constamment, et sans prévenir, d’un plan à l’autre, de l'instant présent au passé le plus reculé, du monde sensible au monde éthérique, ou monde imaginal, cher à Henri Corbin, et dont les soufis perses ont conservé une mémoire vivante.

Jésus, tant que l’entité que nous nommons Christ est encore "avec" lui, s’affranchit du temps, et c’est par-dessus les siècles qu'il s’adresse à ses deux prédécesseurs, Krishna et Bouddha : le temps en effet où les hommes avaient encore accès "naturellement" au monde spirituel est révolu ...

Vient le temps nouveau, gros de notre liberté et paradoxalement de notre désespoir …

C’est pour cette raison qu’il a décidé à son tour de venir !

Le fruit est désormais appendu à l’arbre mort !  

 


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