Les frontières traversent-elles aussi certains hommes ?
On ne le sait pas toujours, les frontières, ces témoins incertains d’une histoire mouvementée, souvent douloureuse, passent parfois au beau milieu d’un village, et plus étonnant encore, à l’intérieur même d’une maison …
On le sait moins encore, mais une frontière invisible
traversa le psychisme de certains hommes !
Nous les appellerons « les
hommes-frontières » !
A ce titre nous en avons retenu deux, tous deux « produits »
d’une époque qui s’attarde et chez qui se dessine pourtant le saut qualitatif
qui nous annonce.
L’un est très injustement passé sous les radars des modernes,
il s’agit pourtant du premier philosophe grec, au moins si l’on sait de quelle
métamorphose s’extirpa la philosophie ; tandis que l’autre ne cesse de
faire parler de lui, alors que cet aspect de son immense personnalité semble
avoir échappé à ceux qui lui consacrèrent tout ou partie de leur vie ! …
J’ai nommé, dans l’ordre de leur apparition à la surface de
Gaïa : Phérécyde de Syros puis, saint Augustin.
*
* *
C’était il y a un peu moins de quatre siècles, à l’invite de
Galilée, à qui prit l’étrange envie de penser contre son cerveau, et pour ce
faire, de le libérer de sa servitude sensorielle, nous nous passâmes, ô
sacrilège, des services d’Aristote pour ce qui concerne l’organisation de la
voûte céleste.
Et, en cet effort de déconstruction, bientôt frénétique, de
l’édifice bancale qu’il nous avait laissé, l’on passa par-dessus bord tout ou
presque de ce que son implacable logique avait déduit des phénomènes observés
ici et là !
Ainsi : « La nature a horreur du vide ! »
avait-il dit, n’osant avouer tout haut, ou alors de manière subliminale,
qu’elle n’attendait plus que son intelligence pour évoluer à son aise ! …
Serions-nous moins critiques, ou bien encore, à cours
d’idées nouvelles pour ce qui concerne l’origine de la philosophie ? …
toujours est-il que, sur ce point, nous sommes restés inféodés aux vues du « Maître
de ceux qui savent ! »
Maître, pourquoi pas ? il est légitime en ce surplomb, puisque
c’est nous qui en avons décidé, mais, tout bien considéré, depuis plus de deux
millénaires, par quel sortilège, ou quelle fainéantise, sommes-nous devenus esclaves
de l’opinion qu’il eut de ses devanciers ?
Ainsi, décida-t-il, accompagné de la tradition bêlante qui
se pense pourtant hors du troupeau, que le big bang de la philosophie fut incarné
par défaut par Thalès *
Je choisis cette onomatopée bien évidemment anachronique,
car, dans les deux cas, origine de l’univers, origine de la philosophie, nous
sommes condamnés à des suppositions !
Sans doute, pour cette dernière et par déférence au Maître,
avons-nous concédé à ce passé ce qui, par ailleurs, nous fit hurler de rire, la
possibilité d’une génération spontanée ! …
Dépassés par les évènements, pris au dépourvu, nous parlâmes
alors de « miracle grec ! » …
Il ne s’agit pas ici, bien entendu, de dénigrer Thalès, mais
bien plutôt l’usage – l’instrumentalisation, aimons-nous à dire ! - qui en
fut fait par son futur critique …
Cette réduction de la personnalité complexe de Thalès à sa
seule raison, ne servait-elle pas l’ambition de celui qui, le premier, fit confiance
à sa seule intelligence pour aborder le mystère du monde ? …
*
* *
Cela n’allait pas manifestement de soi, mais, selon André
Samson, qui s’est sérieusement penché sur la question, comme il est de coutume
chez nos amis canadiens :
« … Il (Aristote) reconnaît que la sensation est bien
le premier moyen de connaissance, et que le sujet (l’âme) qui connait, devient
toutes choses !... » **
Auquel le gaulois que je suis répond : les jeux sont
faits, rien ne va plus !
Chers contemporains, il est désormais temps de s’en
souvenir : notre avenir s’est alors joué sur tapis vert et nous n’avons
plus accès à l’arbitrage vidéo ! …
Les conséquences sont immenses, plus de deux fois
millénaires, la connaissance telle que circonscrite par le macédonien n’admettra
plus d’autre débat qu’à l’intérieur d’elle-même !
Toute autre relation au mystère du monde n’est désormais
plus envisageable !
Saluons l’exploit de ce khmer rouge de la Grèce antique qui réussit,
au prix de quelques enchainements dont nous sommes toujours prisonniers, à
éradiquer toute autre conception que la sienne, s’agissant de la manière dont
l’Homme doit se représenter ce cosmos qui le voit naître et disparaître et
pourtant ne dit mot !...
*
* *
Aristote, notre frère ainé, est un enfant d’Œdipe !
Qu’est-ce à dire ?
Lors de ce passage, fort heureusement oublié des fantasmes envahissants
du petit Sigmund, au cours duquel Œdipe doit répondre à la Sphinge pour tenter
de sauver sa vie, le mythe sait que ce premier, dans les deux sens du terme, ne
sait plus rien de l’Homme, ni de son avant, ni de son après, ni de son pendant,
en d’autres termes, de son intériorité, entre apparition et disparition, ce que
nous nommons naissance et mort !
Le mythe ne saurait si bien dire : pour celui qui s’est
individué il y a peu, l’Homme, cet autre, si proche mais à la fois tout autre, nous
oppose le rempart de sa peau, désormais réduit à ce que l’on peut en voir de
l’extérieur, à l’idée qu’on s’en fait ! …
Œdipe, qui veut sauver sa propre peau, comme l’on dit désormais par défaut pour désigner notre vie, répond, en pionnier de l’époque naissante, énigmatique, muni toutefois du viatique de l’intelligence …
Sommé de dire qui est celui qui se déplace, tout d’abord sur
quatre pattes, se redresse et poursuit sa route sur deux, pour finir à l’aide
de la troisième, cette canne, ancêtre de notre technologie, conçue en réponse
au défi de la vieillesse, Œdipe, qui ne dispose pas de toutes ces clés que je
viens de vous fournir, répond : c’est l’Homme !
C’est du Darwin avant la lettre, et, tout compte fait, point
n’était besoin d’engager les frais de l’expédition du Beagle pour découvrir
l’eau chaude des Galapagos ! …
*
* *
La table rase cartésienne est-elle nécessaire quand
l’évolution s’impatiente ?
Toujours est-il qu’Aristote eut le nez fin de choisir son
époque, de ne point naître trop tôt, ni trop tard, ou bien en quelque jungle ignorée
de l’histoire , et que sa tentative d’établir un monde nouveau a parfaitement
réussi, contrairement à celle de son Maître Platon, qui, sur le tard, avait
bien compris que celui-ci ne s’établirait pas dans la cité des hommes, lasse de
ses excès, fatiguée de tant d’essais, mais dans le psychisme des hommes
nouveaux, des rejetons de Dionysos, prêts à toutes les aventures …
*
* *
Mes chers amis, nous sommes ici arrivés à un point de
rupture, car ce qui va suivre va nécessairement déclencher les ricanements de
ceux qui s’enfuient quand la situation les dépasse, quand d’autres vont s’esclaffer
bruyamment, pensant ainsi dissimuler leur indigence à ceux qu’ils estiment plus
dépourvus encore !
La connaissance par le serpent !
Le crime de Phérécyde de Syros, aux yeux des historiens de
la philosophie, n’est pas d’avoir oublié de réfléchir comme nous savons
désormais le faire, il s’y employa comme l’un des tout premiers, et de quelle
manière !
Non, son tort, c’est de ne pas avoir dissimulé ses origines psychiques
à ces parvenus du savoir, à ces hommes empressés d’oublier les leurs, à ces
théoriciens, déjà, de la table rase ! …
La complexité assumée de son être, partiellement empreint d’atavisme,
sa volonté singulière de ne pas donner blanc-seing à la nouvelle venue, à la pensée
conceptuelle, la franchise de ne pas avoir tu ces images qui nervuraient ses
visions, lorsqu’il était confronté au mystère de l’univers, lui coûtèrent la
première place …
Il ne courait pas après la gloire, et les olympiades
consacraient alors d’autres héros élus des dieux !
Il y a peu, une vieille âme, mal dans son époque, avait violemment
ressenti la tragédie de cet Homme grec, né quelque part entre Homère et Socrate,
contraint de passer sans trop s’attarder, de la chaleur des images qui disent
le monde d’un trait, au froid glacial des concepts qui tentent de le
reconstruire cahin-caha …
Cette dernière manifestation humaine connue, d’un daemon
capable d’en animer bien d’autres, s’appelait Friedrich Nietzsche !
En deux mots, lorsque Phérécyde observe l’entremêlement des
phénomènes qui, pour certains, apparaissent positifs, avec d’autres qui les
contrarient, un serpent lui apparaît.
De cette particularité psychique, propre à le disqualifier à
nos yeux, il se servit, se mettant à juste distance, pour disqualifier les
dieux de l’Olympe dans leur prétention d’exercer les fonctions les plus hautes
…
Il lui fallait trouver un principe plus haut, sans commune
mesure avec les hommes du moment, avec ces dieux trop proches, un principe éminemment
parfait (Ariston), dont on ne savait rien, mais dont tout provenait …
En bon logicien, avant Aristote, envahi de nostalgie, avant
Platon, il en avait déduit que si une telle pensée était donnée à l’Homme,
c’est qu’il venait lui-même de cet endroit où le serpent qu’il nomma Ophioneus
ne s’insinuait pas encore …
C’est d’ailleurs de ce sentiment que naquit le besoin irrépressible
de certains anciens grecs d’être initiés, dans le plus grand secret, de
réveiller ce dieu parfait qui sommeillait en eux, d’affronter pour cela les
terribles et longues expériences, et pour finir, la mort initiatique, la mise
au tombeau pendant trois jours, lorsqu’ils étaient jugés dignes d’être emmenés
au Hadès …
D’une certaine manière, moins personnelle, les Esséniens de
la mer morte, les thérapeutes d’Egypte, se préparaient de la sorte à accueillir
Celui qui viendrait au tournant des âges dans l’un des temples de chair ainsi purifiés,
ainsi préparés…
Alors, pour ceux qui ni ne ricanent ni ne s’esclaffent à la
moindre information inattendue, seraient prêts éventuellement à réintégrer notre
mutant hybride dans le concert des gens comme il faut, une simple explication
suffira !
Simple étant un bien grand mot, quand ridicule,
anachronique, indigente, conviendraient mieux, car, contrairement à ce que nous
pourrions penser pour sa défense, il ne plaqua pas l’image d’un être repoussant
sur un concept d’ordre moral, mais, le serpent lui apparaissait vraiment, comme
une image qui impose sa vérité sans ménagement pour nos atermoiements, ne nous
laisse pas le choix !
Il en va ainsi de tous les
serpents dont fourmille l’antiquité, de la mythologie grecque à la
Bhagavad-Gita, en passant par la Genèse …
La Porte des Lions ne cesse d’en
parler !
*
* *
Alors, sur une méprise, Thalès
lui vola la vedette !
Sur une méprise, car si l’on
avait tôt eu raison de son affirmation selon laquelle tout vient de l’eau, on
avait trouvé là un début d’explication rationnelle de la nature !
Oubliant volontairement, ou
involontairement, que pour celui-ci, l’eau n’était pas l’eau physique qui passe
sous les ponts, oubliant qu’en celui-ci, subsistaient des restes de
clairvoyance du temps où la relation au monde se faisait par l’image …***
Héraclite échoua au casting pour
le rôle de premier philosophe, pour s’en débarrasser on fit courir le bruit
qu’il était obscur !
Il est vrai que l’on disait également
des oracles d’apollon qu’ils étaient obliques !
Le problème est toujours le même,
il est en effet difficile de corseter le monde spirituel dans l’étroitesse de
notre langage et de nos concepts !
Mais, pour qui a de la suite dans
les idées et une idée de la suite : Einstein, n’aurait-il pas soulevé un
pan du voile sur les énigmes de l’éphésien ?
Selon sa relativité générale, en
effet, le parcours de la lune s’effectue en ligne droite mais tourne autour de Gaïa
en raison de la courbure de l’espace-temps …
Cela pourrait-il éclairer l’énigmatique
sentence : « le chemin courbe et le chemin droit sont le même ! »
Ce qui différencie Héraclite et Einstein,
c’est que le premier eut une vision en esprit, quand le second procéda à une expérience
de pensée !
Tel est le chemin de l’Homme qui
doit reconstituer tout ce qui lui fut retiré ! …
Tel est la condition de sa
liberté !
*
* *
Depuis ses premiers
balbutiements, la Raison, cet échafaudage du Moi, avait parcouru un long et
difficile chemin …
Lorsque, mille ans plus tard, Augustin
s’imposa à l’Eglise romaine, elle-même fraîchement imposée aux citoyens de l’Empire
par son persécuteur d’hier …
Nous étions en l’an 380 AP J.C., Augustin
avait alors vingt-six ans ! …
De père païen et de mère
chrétienne, pas de presse people à l’époque pour nous dire s’ils étaient en
conflit, et, le cas échéant, si celui-ci passait par lui, et quels en furent
les dégâts ! …
Toujours est-il que, toute sa
vie, il guerroya, d’abord contre les convictions et espoirs de sa mère, puis
contre lui-même, et pour finir, à plusieurs reprises, contre ce qu’hier encore il
aimait.
Quoi de plus naturel en somme ?
Encore que, de l’issue de ses
incessants combats, dépend, nous ne le savons plus, une histoire multiséculaire
qui nous façonna, nous tint sous le joug d’un cauchemar qui commence au réveil,
où le salut de chacun échappe à toute loi humaine, à toute justice, dépend du
bon vouloir d’un dieu qui fait preuve de mauvaise volonté …
Ce Père de l’Eglise n’eut pas
d’enfant, mais un bébé nommé prédestination !
Nous avons oublié cette
incartade, mais il fallut attendre le concile de Vatican II pour que la
responsabilité de l’individu soit réputée pleine et entière !
Trop tard, les électrons libres
avaient été attiré par d’autres représentations plus positives !
*
* *
Le parcours de cet homme, né au
quatrième siècle, n’est pas banal, et pourrait, a minima, nous servir de témoin
de la géologie spirituelle de cette époque, où tout se précipite dans le
psychisme de quelques individus qui, comme lui, ne se contentent pas de
sacrifier aux dieux, ou à l’air du temps !
Provisoirement libéré de
l’emprise maternelle, puis d’une période de chaos sensoriel, Augustin aspira à
un plus grand sérieux en s’asseyant sur les bancs d’une école alors très à la
mode en Afrique du nord, et que l’on pourrait définir, en première
approximation, comme un syncrétisme non intellectuel, qui trouva à prospérer
dans certaines populations, essentiellement orientales, non exclusivement au
sens géographique, mais à celui d’un psychisme auquel nous n’entendons plus
rien !
C’est bien du manichéisme qu’il
s’agit, dont nous ne savons plus que l’indigne caricature abandonnée sciemment par
l’Eglise romaine à notre appétit de simplification, dans le même temps où elle
abandonna définitivement son honneur et sa légitimité lors de l’insane croisade
intérieure contre les Cathares.
*
* *
Toutefois, en précurseur qui nous
annonce, Augustin eut beau faire, il n’apercevait pas, comme cela semblait aller
de soi pour ses frères manichéens, le divin dans la nature, dans la marche des
étoiles, dans le monde sensible ou monde des phénomènes, dirions-nous désormais
…
Bien qu’ainsi frustré, il ait par
la suite violemment combattu ce premier engouement, celui-ci, à l’évidence, laissa
son empreinte dans son psychisme.
On peut en épier l’effet délétère
lorsqu’il lui fallut décider de la liberté de l’individu en quête de salut,
quand, au nom de l’individu, le temps de Pelage fut venu ! …
Géologie, disions-nous un peu plus
haut !
Si ce que nous appelons
influence, par défaut, vu de cet extérieur des choses où nous sommes désormais confinés,
a une exclusive importance, il va de soi que l’on peut retrouver quelques
traces du combat cosmique asymétrique entre les forces du mal et celles du bien,
dans la tout aussi fantasque - de notre point de vue au moins!- théorie de la prédestination de ce qui reste de l’Humanité,
de cette race de looser qui a perdu le combat…
Entendons-nous bien, et gardons-nous
de nos pauvres jugements !
Cette vision de notre genèse qui
n’a malheureusement plus l’occasion de se justifier, depuis que l’Eglise a
brûlé les hérétiques et gagné la bataille des mots, provenait du fond des âges,
d’une époque où, pour ceux qui suivent notre cheminement, Dionysos Zagros
n’avait pas encore été mis en pièces, ou, pour le dire autrement, Adam
représentait l’Homme, et non tel ou tel individu …
*
* *
L’échec de ce premier engouement était
patent, douloureux vraisemblablement, pour cet homme secrètement gouverné qui
gouverna si longtemps la pensée occidentale !
Profondément déstabilisé, en
rupture de ban, faisant feu de tout bois, il récupéra alors celui toujours vert
du scepticisme antique, ce "à quoi bon !" de ceux qui n'ont plus envie de se battre, secrètement présent dans les soubassements de la prédestination …
De fil en aiguille, après ce
retrait provisoire des affaires de ce monde, mais n'y tenant plus, un nouveau grand écart l’amena tout naturellement chez les néoplatoniciens.
Dans la vision de Plotin, dont la seule évocation fut longtemps responsable de l'acné subite des théologiens, le
combat cosmique perdu par la Lumière, dont l’Homme actuel ne serait qu’une
scorie, a fait place à une longue procession qui mène de l’Un au multiple, ou,
pour faire plus vite, de la perfection absolue, à nous, qui ne sommes rien ou
pas grand-chose et devons, si nous y sommes appelés, entamer la conversion, la
remontée vers une forme de dissolution dans l’Un …
Plotin, à trois reprises, connut cette expérience dont il ne revint pas, tout en étant revenu parmi les siens, l'odeur de son corps tenu pour négligeable et ainsi négligé, en témoignait !...
Cela ne fait-il pas un étrange
écho au nirvana des bouddhistes ou aux retrouvailles de l’Atman et du Brahman
des hindous ?
A ce mystère les "modernes" ont une réponse toute faite : il s’agit nécessairement d’un
échange culturel !
Eh bien non, Messieurs les autosuffisants,
il s’agit de votre croyance, car de cela vous n’avez aucune preuve !
Donc, chez cet attardé de
l’évolution psychique – au sens factuel, non péjoratif ! – point de place
pour l’individu dont le corps de chair serait tout au plus un alibi, mais en
réalité une illusion !
Lorsque vint le temps de bricoler le concept de la prédestination en réponse au bon sens du moine Pélage, cette troisième empreinte sur celui qui longtemps joua au jeu de l’oie, ne
lui laissa d’autre choix que cette représentation désormais imprésentable, si l'on songe, qui plus est, à son issue cauchemardesque, cette loterie si peu divine de la grâce, ancêtre subliminal de la roulette russe ...
Augustin était-il inconsciemment à
ce point fasciné par le hasard ?
*
* *
Pour l’autre aspect de sa personnalité, celui qui nous annonce, cet individu conscient de lui-même, ce précurseur de l'autobiographie, tout premier en introspection, point n’est besoin de s’étendre plus avant que ce qu’il disait lui-même de son œuvre :
Avant de ne plus jamais se relever, avec cette concision extrême de celui qui n'a plus une minute à perdre, exempt de regrets, et dans l’espace d’une seule page, la dernière de sa vie, qu’il intitula
sobrement "révisions", il nous laisse ce testament qui fera loi : « sur mes treize livres des "Confessions", les dix premiers parlent de moi ! … »
Bien entendu, Monsieur, mais avec quelle
émotion, avec quel talent, avec quelle dévotion envers ce secret de l’Homme, cet autre lui-même dont il peut
douter parfois, jusqu'à se fouler aux pieds comme il le fit devant son Moi céleste, initial, absolu, qu’il
ne reconnut pas en la personne de Jésus !
*
* *
Ainsi, avons-nous pu distinguer,
sur la voie incertaine qui mène jusqu’à nous, deux personnages chez qui
l’évolution se manifeste de façon plus spectaculaire, certes, que chez leurs
contemporains, mais annonciatrices de grands bouleversements, de sauts évolutifs.
Chez Phérécyde, il s’agit d’une métamorphose, quand Augustin fut le siège d’une lutte acharnée entre le futur qui coule dans ses veines, et un passé qui ne coule plus de source, qui s’attarde, fait obstacle à ce qui vient.
Le véritable mal, selon les anciens
perses ! …
Reste à comprendre sa fonction!
Entre les deux, l’entité que nous
nommons "Christ" s’était incarnée, était entrée dans l’histoire, à ce moment
précis où le Moi prenait son essor, lui proposant, sans ambages, une relation directe avec
Dieu, la seule susceptible de lui convenir, et l’amour pour viatique, à l’aube
de cette longue traversée en solitaire...
*il s’agirait de nous mettre enfin au travail, comme le fit
notamment Heinz Wismann, philologue, sur notre vision
déformée de la pensée de Démocrite par la lentille gravitationnelle nommée
Aristote.
**Aristote et les théories présocratiques sur la
connaissance. Auteur : André Samson. Éditeur : Laval théologique et
philosophique, Université Laval. Québec, Canada.
*** cette vision de Thalès peut faire penser, en première
approximation, à cette très ancienne science spirituelle, le Samkhia, selon
laquelle tous les phénomènes, nous y compris, proviennent d’une mer spirituelle
au terme d’un long processus occulte de différenciation puis de condensation.
Nous devrons y revenir, tant cette vision à la frontière de la clairvoyance et
de la raison est féconde pour se faire une idée du monde …