Le Moi, fiction ou réalité ? ... La physique quantique aurait-elle un mot à dire ? …

Une époque s’achève, c’est une évidence !

Elle nous a façonnés, c’est moins évident …

Saura-t-elle partir discrètement, sur la pointe des pieds, son devoir accompli, ou voudra-t-elle nous emporter avec elle ?

Apocalypse ne signifie pas « anéantissement » mais « révélation », contrairement aux dires des prédicateurs matérialistes ou pervers qui nous tinrent sous le joug, longtemps, si longtemps, trop longtemps !

Nous ne vivons donc pas une fin du monde, mais la remise en cause radicale de la représentation que nous nous en faisions … *

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" Une époque s’achève ! "

Cela devient une ritournelle, me rétorquerons certains !

S’empressant d’ajouter, perfides ou simplement ironiques : « souhaiteriez-vous mobiliser notre attention sur ce que nous savions déjà, prendre une partie de notre précieux temps, pour évoquer une banalité ? »

Que dire de plus ? si ce n’est qu’ils ont bien raison, de leur point de vue au moins !

Car le mot est polysémique, et celle dont nous allons parler, n’est pas comme les autres, comme cette légendaire « belle époque » ou bien encore ces « trente glorieuses » fantasmées, fabriquées de toutes pièces par notre mémoire fantaisiste, car, en quoi celle-ci fut-elle belle ? … et ces trente autres, de quel combat victorieux tirent-elles leur gloire ?

Sauf à ne pas vouloir savoir d’où nous venons, il s’agit d’un moment de l’évolution qui nous annonce plus qu’aucun de ceux qui le précédèrent ! …

Fort heureusement, l’Histoire, alors dans les limbes, ne fut pas là pour le déformer, le couler dans le creuset de nos anachronismes, le faire danser au rythme de nos idéologies, car seul le mythe sait de quoi il retourne vraiment, à condition bien sûr qu’on lui reconnaisse ce savoir, ce que ni l’Eglise ni la Science, soi-disant libre, n’ont même imaginé depuis deux millénaires.

Comment résumer cette période qui couvre près de trois mille ans ?

Contradicteurs opiniâtres, décidés à en découdre avant même que l’ouvrage ne soit tissé, les sceptiques m’objecteront : « qu’est-ce que trois mille ans au regard des millions d’années qui mènent jusqu’à nous ? »

Nous avons effectivement cette chance, somme toute récente, d’avoir la possibilité d’étendre notre regard à un espace de temps jusque-là ignoré … 

Mais, il faut bien reconnaître que très vite notre regard se brouille quant à notre véritable nature, laissant aux rescapés de la blessure narcissique vieille désormais de quatre siècles, le soin d’en rajouter, pour rappeler à l’Homme du haut de la nouvelle chaire, un os à la main et "l’Evolution des espèces" dans l’autre, que, si chute il y eut, ce n’est pas du haut des cieux, mais de celui de la canopée …

A chacun d’apprécier ce qui fait le plus mal ! …

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Pour tenter de comprendre ce qu’il en est du Moi, cet inconnu auquel, à peine éveillé, nous nous identifions chaque jour, sans nous douter que longtemps il ne fut pas nôtre, il parait important, vous en conviendrez, de savoir quand et comment il apparut …

Quant à son pourquoi, il faudrait au préalable nous entendre sur ce que représente pour nous le concept de Liberté !

Pour que ce Moi apparaisse il fallait que l’Esprit disparaisse !

C’est une Loi occulte qu’il nous faut accepter, dont le pendant en biologie serait le « reculer pour mieux sauter ! » ou pour une cellule, de se désengager de sa spécialisation pour, après ce reset, s’orienter vers une autre.

En d’autres termes, l’apparition du Moi fait s’éteindre une conscience dont nous n’avons plus souvenir, un commerce avec les dieux qui n’a plus cours à Wall Street mais dont la mythologie grecque, effondrée, perpétue à bas bruit le souvenir sous nos ricanements.

Contrairement à ce qui fut espéré dans l’histoire aux accents hollywoodiens qui se finissait bien, l’enfant prodigue semble désormais préférer mourir idiot plutôt que de revenir au bercail …

L’époque était donc à haut risque et le Christ ne s’y est pas trompé, n’en déplaise à ceux qui pensaient l’avoir éliminé en le réduisant, dans un premier temps, à Jésus, l’homme simple de Nazareth, puis ce dernier, à des comportements susceptibles d’alimenter les colonnes de la presse people.

La couleur étant annoncée, ce qui va suivre s’adresse à ceux qui décident de rester, quel que soit leur nombre, aux courageux qui ne refusent pas de se battre, y compris contre ce qui les maintenait en vie jusqu’alors et qu’il s’agit, non pas de renier, mais d’honorer, comme tout ce qui nous permet consciemment ou inconsciemment de pousser un peu plus loin … 

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A une certaine époque, sciemment escamotée, et pourtant pas si lointaine, Adam, en rupture de ban, au mépris soudain du sang qui coulait dans ses veines, celui de la tribu qui lui servait d’aubaine, s’entendit articuler deux mots étranges : « Moi je ! ».

De cette nouvelle genèse, nous n’avons pas la moindre idée, ni même qu’elle exista, puisque l’Occident dit "chrétien" décréta, à la suite, il est vrai, de Platon, que les mythes, seuls témoins, seuls présents à ce moment de l’évolution, n’ont plus voix au chapitre.

Mais, derrière cet oubli volontaire, les motivations divergent, car s’il revint à Platon - bien dans son rôle, incontournable passeur entre deux époques -, d’installer la pensée comme nouvelle représentation du monde,  il n’appartenait surtout pas à l’Eglise de tenter d’étouffer ce Moi, cette liberté nouvelle, cette prodigieuse évolution de l’Homme en route vers l’Esprit, ce Moi pour lequel le Christ s’était incarné, en sachant les dangers, prêchant l’amour désintéressé, suprême antidote à ses futures dérives; le royaume des cieux, remède à la solitude et à la désespérance qui, nécessairement en résulteraient.

Dans la "Légende du Grand Inquisiteur", Dostoïevski met en lumière l'ombre qui ne tarda pas à recouvrir la parole du Christ, menant jusqu'aux exactions de la satanique Inquisition contre ceux qui refusaient leur interprétation scélérate de la parole du Galiléen.  

Plus de deux mille ans donc, entre la mise à l’index, l’escamotage, de cette fabuleuse relation au monde, de ce trésor de la psyché humaine, et la ringardisation du récit théologique entamée par la révolution copernicienne …

Notre oubli a de qui tenir !

Pour ce qui concerne notre véritable histoire, celle qui n’abandonna ni os, ni poterie aux usurpateurs de l’Anthropologie, il y avait là une opportunité !

L’esprit scientifique émergent se libérait enfin, soulevait le couvercle sous lequel on nous faisait mijoter à petit feu en attendant celui de l’enfer ; on aurait donc pu porter un regard neuf sur le mythe, sans a priori, en se demandant toutefois pourquoi on l’avait ainsi jeté aux oubliettes.

Un tel acharnement n’était-il pas le signe d’une certaine importance ?

Mais les successeurs de Galilée avaient déjà fort à faire avec ce système solaire remis en ordre de marche, pour se soucier de celui qui n’était plus au centre de la création, l’abandonnant à ceux que la blessure narcissique avait poussé, perdu pour perdu, à finir le travail, occupés désormais aux seules apparences, au seul corps physique, à le mesurer, à le peser, à le comparer, parant leur indigence du titre pompeux d’Anthropologie …

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Ainsi, nos successeurs à la surface de Gaïa, pourront dater ce moment de l’histoire où certains occidentaux, vraisemblablement trop richement pourvus, se mirent à douter de la réalité du Moi !

Ayant rompu avec nos sales habitudes, du moins pouvons-nous l’espérer, ils ne porteront pas de jugement sur ce vertige, tout en s’étonnant que ceux qui décrétèrent sa mort, ne savaient rien de sa naissance !

Il se trouve qu’entretemps, la mythologie aura été rétablie dans sa capacité, dans son exclusivité, à dire cet instant de l’Homme où l’image, certes empruntée au monde sensible, un peu comme dans nos rêves, une fois débarrassés des événements de notre journée, était seule médiatrice du monde suprasensible, avant qu’elle ne fût détrônée en cette ambassade par la pensée …

 

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Voici donc, en avant-première, ce qu’ils sauront de ce bouleversement, de cette bombe à fragmentation venue du cosmos, qui ne laissa pas pierre sur pierre de l’ancien édifice, expulsant l’Homme d’un savoir béat, intemporel et qui s’ignore, d’un commerce naturel avec la chose en soi, d’une mémoire ancestrale, continue, non apprise, qui lui interdisait la moindre altérité, d’un psychisme communautaire étroitement lié à la pureté du sang …

En Occident, un ensemble de mythes grecs annoncent cette prodigieuse mutation, cette réplique récente du drame cosmique du sacrifice de l’Un au profit du multiple, et c’est, plus particulièrement, le mythe orphique de la mise en pièces de Dionysos Zagreus, suivi de celui du rapt de Perséphone.

En orient, dans l’Inde qui commence à douter de la révélation des Védas, elle se signale par la lente élaboration du Yoga de Patanjali, difficile reconquête d’un monde enfui.

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Si donc nous ne savons rien de la naissance de cette époque, il n’est pas sûr que nous soyons plus renseignés sur ce moment où elle s’achève, notamment par les réticences d’Einstein quant à certaines conséquences de la physique quantique.

Quelque trois mille ans donc !

La mise en pièces de Zagreus annonce le passage de l’un au multiple au sein de la conscience jusque là collective et extérieure à l’Homme. **

Le rapt de Perséphone nous parle de l’intrication toujours plus forte entre la conscience devenue individuelle et le corps au sein duquel elle se meut désormais. 

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Maître Eckart ou la grande méprise !

Après son carton rouge décerné par le Pape de l'époque, lui-même mis sur la touche en Avignon, il fait désormais carton plein auprès des occidentaux prônant la décroissance et le développement personnel.

Mais, qui est vraiment Maître Eckart ?

Longtemps écarté par l’Eglise romaine, plus prompte, il est vrai, à la proscription qu’à la prescription - interdits exceptés - il revint dans la lumière européenne du XIXème siècle, en même temps que le bouddhisme nouvellement apparu au pays du soleil couchant !…

Un peu plus tard, la lueur incertaine des torches ayant succédé aux Lumières, il connut un franc succès chez les néopaïens, qui y décelèrent comme un petit goût de "revenez-y", un désaveu de la primauté de l’amour, et, de manière implicite, de cette religion de loosers qui tendaient l’autre joue, prêtant ainsi le flanc à l’épée du plus fort ...

Qui plus est, faisant fi de toute précaution, par définition efféminée, mais bien au contraire preuve d'une volonté toute germanique, n'avait-il pas convoqué la divinité, en digne descendant de ces goths qui, par leur nom, affirmaient que Dieu avait élu domicile en eux  ! »

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Pour étayer l’ukase du factotum d'Avignon, il fut ajouté en préalable que celui à qui l’on avait confié les plus hautes tâches en vue de ramener les brebis égarées au bercail, fut, à leur contact, bientôt influencé  par le "Père du mensonge" ...

Ainsi s’exprima le Pape, expert en la matière !

Il est vrai que, pharisien dans l’âme, has been de l’évolution, faisant fi de la condamnation sans appel du Christ à l’égard de ceux qui, retardataires obstinés, confisquaient le savoir pour tenter de conserver leur pouvoir, faisaient ainsi obstacle au rapport direct de l’individu avec Dieu, il reprochait à celui qui fut Maître de Paris, et donc membre éminent de la secte, d’avoir livré les secrets au "vulgaire crédule" et, qui plus est, pour mieux s’en faire comprendre, dans sa langue …

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Haussmann peut se rendormir sur ses lauriers, les plans de Speer sont oubliés, Berlin s’appelle toujours Berlin, et fut reconstruite, ni à l’identique, ni à l’antique ! …

Alors, le temps d’un nécessaire oubli, celui qui fut blacklisté par les hommes en noir - le temps qu'à leur tour ils "n'impriment plus"!- suscite désormais un regain d’intérêt parmi les repus du Moi !

Ceux-là mêmes que le Dalaï-lama vit affluer tout au long de ces dernières décennies et tenta de décourager, en les encourageant à approfondir leur propre tradition, avant toute chose !…

Remis ainsi sur leur voie par l’homme au sourire déroutant, ne cherchent-ils pas à revenir par la petite porte, à trouver dans les sermons du Rhénan quelque parenté avec ceux du bouddhisme, au moins tel qu’ils se l’imaginent, qu’ils le survolent, car là-aussi les voies se séparent plus vite qu’elles ne s’achèvent ! …

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L’Occident a ses manies, et parmi celles-ci, le recyclage !

C’est peut-être pour cette raison qu’il survit malgré ses errements !

Remarquez-le bien, dès que l’on parle d’un sage dont l’histoire choisit de se souvenir, Maître Eckart pour l’heure, vient immédiatement la question qui signe notre indigence, notre utilitarisme : " en quoi est-il moderne ? ".

Sous-entendu :  en quoi peut-il être utile à notre développement personnel, puisque ce dernier est à la mode, déguisée en ordre du jour ?

Comment tirer la quintessence de cet être, exhumé du fin fond du moyen âge, de cette entre-deux dont chacun sait ce qu’il convient d’en penser ? 

Ils sont pléthore les gourous et les universitaires à offrir aux indigents leurs services en vue de soigner cet égoïsme sophistiqué qui se nourrit de la négation du Moi !

Pour ce qui nous concerne, et en plein accord avec le sérieux du Dalaï-Lama, nous chercherons ce qui peut nous attirer désormais dans cet enseignement un temps oublié, et pour commencer, n’est-il pas primordial de mettre à jour le contexte psychique, philosophique et spirituel dans lequel il s’installa ?

Ce qui reste très largement à faire, nos contemporains se contentant des apparences, des symptômes, c’est-à-dire de l’histoire et du culturel …

C’est ainsi qu’avant toute chose, pour savoir de quoi nous parlons, nous interrogerons tout d’abord le langage.

Par exemple, dans développement personnel, il y a la notion de personne, aussi nous semble-t-il prioritaire de savoir l’histoire de celle qui n’a pas toujours existé en termes de représentation …

Pour le dire autrement, comment nous insérer, où en sommes-nous, dans ce développement du Moi qui n’alla pas toujours de soi ?

Puis, comme notre ambition n’est pas moindre que celle du Maître de Paris - "il voulut trop en savoir" avait dit le Pape, en préambule à sa condamnation - nous élargirons la focale au-delà des balbutiements de la philosophie en Grèce antique, à cette époque, où, dans le plus grand des mystères, des hommes à qui ne suffisaient plus les dieux du peuple, voulurent se faire déifier.

Du XIème au XIVème siècle : la période où tout bascule !

A l’époque où Maître Eckart trahit ce qui devait rester secret auprès du "vulgaire crédule" (béguines et autres hérétiques de la secte du libre-esprit), le nominalisme, cette déflagration psychique, ce signal d’un Moi qui commence à douter de ses propres productions, est sur le point de remporter la victoire.

Ne vous éloignez pas au prétexte d’un simple mot qui ne serait plus d’usage, l’affaire est d’importance, car ce débat qui agita près de trois siècles l’Homme en quête de sa liberté, déboucha sur un nouvel homme, un "affranchi", vous et moi en somme ! …

Depuis le combat incertain qui opposa Pélage et Augustin, le premier réclamant une responsabilité pour l’individu, la condamnation de la terrible, aveugle et collective prédestination augustinienne, et pour la thèse duquel l’Eglise, oublieuse de la parole du Christ, ne sut pas se prononcer clairement, le Moi avait acquis droit de cité, voire même d'Au-delà, puisqu'il réclamait la possibilité de son salut !…

Surplombant les siècles du haut de notre inculture, nous avons oublié l'écran jeté sur cette lente et difficile émergence de ce que nous sommes désormais; n’avons plus la moindre idée de ce holdup sur la pensée, réalisé par Descartes, gentleman cambrioleur, sous vos applaudissements !

Depuis lors, la pensée n’est donc plus, comme en Grèce antique, un médiateur du monde spirituel, mais, c’est en moi qu’elle se forme !

Si une pensée me vient, je ne me sens pas "honoré par les dieux" comme l’auraient dit les Présocratiques qui soudain, me semblent moins intelligents, mais je me félicite de mes productions !

Je pense donc je suis !

Qui ignore encore cette implacable déduction, cet aboutissement logique du rapt de Perséphone, qui pourrait la mettre en doute ?

Elle cache pourtant un profond malaise, limite existentiel, car, si, par une décision unilatérale, qui certes a mis du temps, mais ne fait plus question, nous sommes devenus propriétaires de nos pensées, sont-elles aptes pour autant à nous parler du mystère du monde ?

C'est bien là ce qui tourmenta la philosophie de ces derniers siècles, aporie qui nous éloigne toujours un peu plus de ce monde qui, un jour au goût de liberté, nous expulsa, selon ce que tait encore le mythe orphique de la mise en pièces de Dionysos Zagros ...

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Ainsi, pour ces médiévaux, une fois l’antique rêve estompé, le réveil est brutal, car le lion n’existe pas, seuls rugissent les lions dans la savane vierge de nos ajouts, exit Platon et les idées qu’il se fit sur le monde des Idées ...

Pauvres de nous, nos croyances n’étaient donc que des conventions de langage !…

Telle était l’ambiance de doute abyssal dans laquelle naquit le petit Eckart von Hochheim !

Alors, qu’en est-il véritablement de ce Moi qui ne sait, tout bien considéré, rien ou pas grand-chose de ce monde qui l’entoure ?

Si ce qu’il pense ne lui confère aucune légitimité, d’où peut-il la tirer, où peut-il trouver un refuge, selon l'angoisse existentielle récurrente des anciens Hindous ?

La suite concernant Maître Eckart, vous la connaissez, les érudits ont tant à dire sur la surface des choses !

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Il y a donc ce contexte, et plus encore, l’affleurement discret d’un passé très lointain que les enfants d’Œdipe ne sauraient remarquer …

C’est alors que j’entends votre révolte : « Qu’est-ce que vient faire ce parricide dans le sujet qui nous occupe ? En quoi, qui plus est, serions-nous les enfants de ce monstre ?

Ici il faut faire une courte halte, le temps de décontaminer ce mythe du squat du petit Sigmund qui trouva-là un bon moyen de noyer son fantasme si singulier dans un universel construit de toutes pièces, tout en en se faisant une réputation, dans une époque où la transgression, cette forme de libération, assurait au médiocre un podium inespéré.

Il n’est d’ailleurs pas évident que nous ayons délaissé ce formidable moyen de promotion sociale ! …

Nous reviendrons plus tard sur l’étrange beauté de ce mythe fondateur avant qu’il ne fût souillé, mais pour l’instant, ce qui nous occupe, c’est la rencontre de celui qui, de toute sa vie, n’a jamais rien vu venir, avec la terrible Sphinge qui lui pose la question dont dépend sa vie …

A la question de savoir ce qui commence sa vie à quatre pattes, la continue sur deux pour finir sur trois, Œdipe a cette réponse exacte qui lui sauve la vie : c’est l’Homme !

Qui lui sauve la vie, c’est du moins notre manière de lire le mythe !

En réalité, qui signe son arrêt de mort psychique, quant à son indigence !

En effet, de l’avant, il ne sait plus rien, de l’après moins encore, et du pendant, uniquement ce qui s’offre à ses yeux de chair qui, soit dit en passant, n’ont jamais rien vu venir et qu’il finira par se crever …

C’est en raison de cette triple ignorance que je nous dis enfants d’Œdipe !

Cette période obscure qu’il inaugure, s’acheva à l’aube du vingtième siècle, laissant place sans que cela n’émeuve quiconque, à l’incarnation simultanée de nombreux génies qui, s’ils ne trouvèrent pas les clés du mystère de l’univers, nous léguèrent celles qui nous permettent de voir les choses autrement …

La physique quantique nous apprend deux choses essentielles sur nous-mêmes, tout d’abord que notre regard n'est capable que d'un seul comportement dans le foisonnement des manifestations du réel, et qui plus est, n’en perçoit qu’une infime partie.

Ainsi, pour prolonger l’image, la vie ne se comporte-t-elle pas comme une onde qui se donne à voir comme une réalité fugace entre la naissance et la mort ?

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*        *

Mais, s'il s'agit bien d'une onde, ne pourrions-nous pas imaginer de curieux rapprochements ?

Par exemple ce mouvement de la mystique rhénane avec celui, secret, souterrain, des antiques initiés à qui ne suffisaient plus les dieux du peuple, ceux de l’Olympe, cherchant à contacter le dieu plus parfait qui sommeillait en eux.

Les premiers penseurs chrétiens eurent fort à faire avec ces pratiques élitistes, tenues secrètes, rappelant à ces "nuques raides" que le Christ s’était incarné pour tous les hommes, et non pour quelques happy few qui ne voulaient pas partager leur éveil avec ceux qui, selon eux, étaient promis au bourbier de l’Hadès ! …

D’un mot, accessible à tous, Paul, lui-même au fait de ces pratiques, avait tiré un trait sur ces pratiques terrifiantes : longue ascèse, mise au tombeau, sortie de corps pendant trois jours et trois nuits. "Stupeurs et tremblements" disaient ceux qui en revenaient avec des images empruntées au monde sensible. Hypothétique possibilité de s’y réinsérer, sans avoir perdu ce goût de la vie, somme toute peu exigeant, mais qui nous permet de pousser un peu plus loin  sous le regard de la mort!…

Pour ceux-là, il n'eut qu'un mot, et qui n'est qu'un mot, s'il n'est pas vécu intensément, dans l'humilité qui convient à cette décision : "Christ en moi!" ...

Ainsi, au sein même de l’Eglise qui avait condamné les anciens, Maître Eckart voulu être déifié !

Le parallèle est évident mais trompeur, car il cache des différences fondamentales qui nous parlent, tout à la fois, de l’évolution psychique de l’Homme et de l’impulsion christique qui se place au beau milieu de ces deux époques!

Tout se rejoue, mais à un autre niveau : l’hiérophante de Maître Eckart n’est plus en chair et en os, c’est son intellect; la réelle mise au tombeau des anciens est remplacée par la mort au monde comme à soi-même, l’extase n’est plus le résultat d’une périlleuse sortie de corps, mais résulte de la convocation de la déité une fois que le Moi est débarrassé de tout ce qui n’est pas lui …

Et pour finir, provisoirement, l’essentiel de ce qui fut reproché à Maître Eckart par l’Eglise qui, elle n’avait pas évolué, c’était d’avoir divulgué les secrets au "vulgaire crédule", cette autre forme de mépris hérité de Platon qui avait pour sa défense d'avoir été présent à la surface de Gaïa avant le mystère du Golgotha .

Ainsi, si l’impulsion christique avait porté ses fruits chez ceux qui étaient revenus, elle était restée lettre morte pour l’Eglise qui se réclamait de Lui, tout en faisant le contraire …

Qui donc fréquentait le "Père du mensonge", du Pape ou de Maître Eckart ? …

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Averroès, où quand la pluie tombe sur un métal incandescent !

Depuis le mythe orphique de la mise en pièces de Dionysos Zagros, de cette conscience globale, extérieure à l’Homme, le "Moi" s’était frayé un chemin jusqu'au plus intime de ceux qui se découvrirent individus.**

Son enfance fut longue et difficile, en témoigne, nous l'avons vu plus haut, le conflit qui opposa, près de mille ans plus tard, le Moine Pélage, ce croisé de la responsabilité de chacun, au combat d’arrière-garde d’Augustin, visant à défendre la terrible prédestination que, non seulement, mutatis mutandis, nous réprouvons moralement, mais devant laquelle notre intelligence rend les armes …

Une fois de plus, alors qu'il fallait prendre parti pour la liberté, à la différence de Celui dont elle se réclamait, l’Eglise romaine ne fut pas au rendez-vous de l’Histoire !

A force de la confisquer, de la dissimuler aux yeux du "vulgaire crédule", savait-elle d'ailleurs encore quoi que ce soit de la bonne nouvelle, de ce soutien sans concession du Christ à l’individu, au différent, à sa liberté, à sa dignité, à la suprématie révolutionnaire des retrouvailles de l’esprit intemporel, sur la fugacité de tout lien social, fut-il familial ?…

A ce sujet, n'avait-il pas dit à qui ne saurait le comprendre : "Je n'apporte pas la paix, mais l'épée!".

Négligeant ce discours visionnaire, paradoxal, qui fait fi du passé, du présent, comme de toute morale "humaine trop humaine", elle se contenta d’un avis mitigé, comme si l’évolution voulait bien attendre, lui laisser encore un peu de temps, le temps de jouer avec les peurs ! ...

*

*        *

Avait-il trop fréquenté les anciens grecs pour qui la pensée était une perception, un médiateur du monde spirituel, et non une production d’un Moi encore bien incertain ?

Voulait-il donner des gages à ceux qui, ici et là, s'accrochaient à leurs prérogatives ?

Toujours est-il, qu’en contravention avec l'inéluctable,  remontant le fil de l'eau qui avait coulé sous les ponts, Averroès dépossède le Moi de toute réalité, de toute velléité d'existence, de toute prétention à dire "je pense!", de toute tentation d'être autre chose qu'un simple miroir! …

La relation organique et fusionnelle du « ou », propre à remettre de l'ordre dans le chaos des perceptions, et du « moi » en construction, devait nécessairement se heurter à cette brutale dépossession de la pensée qui avait permis de retisser patiemment les liens avec ce monde devenu pour le moins étrange, comme dépourvu d'âme, de cette "chose en soi", disons-nous désormais.

Pour ceux qui ont trainés leurs guêtres dans les ornières de la pensée occidentale, et voudraient bien se déchausser aux abords du temple de notre savoir d'avant le savoir, le thème du tissage ou de l’araignée revient souvent dans la mythologie grecque !…

*

*        *

Toutefois, insensiblement, nous abordons une nouvelle période!

En termes de représentation s'entend!

Celle-ci, en effet, ne sera plus placée sous le signe du "ou", de la réfutation, de la logique, de l'édification de la vérité par éradication systématique des contraires, mais, sous le signe du « et », de la cohabitation de ces antagonistes d'hier à qui nous n'aurions pas même imaginé offrir un jour le gîte et le couvert ...

Ce "et" si déstabilisant, qu'il entraîna les réticences que l'on sait chez Einstein, faux père de la bombe atomique, vraie mauvaise mère qui ne reconnut pas son enfant ! ...

Ainsi, puisque nous ne sommes plus sommés de choisir entre deux représentations, pourra-ton enfin considérer ce mystérieux moment où notre conscience se prend elle-même pour objet, comme le signe discret de notre appartenance à un autre monde! 

Il ne semble pas que nous en prenions le chemin, car les descendants, devenus matérialistes, d'Averroès, veulent faire de cette conscience un phénomène purement biologique ! ...

Adieu Liberté chérie ! 


  

*à ce sujet, je vous laisse méditer la conclusion provisoire de Michel Bitbol, épistémologue déjà cité dans La Porte des Lions : "Peut-être la physique quantique enseigne-t-elle une seule chose à qui sait l’entendre : que le monde est tel qu’il serait vain de chercher comment il est, indépendamment de nous !".

Michel Bitbol, Philosophie Magazine (Janvier 2022).

**il ne s'agit pas d'un conte! En Grèce antique, le "surgissement de l'individu" quelque part entre Homère et Socrate, est attesté par nombre de philologues cités par le merveilleux Jean-Pierre Vernant, et le sera demain par ceux qui voudront bien se donner la peine de marcher une fois pour toute sur leur orgueil, afin de lire les mythes de la façon qu'il convient,  pour qui cherche la vérité sur cette époque pas si lointaine et qui nous annonce.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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