Ulysse, Orphée, Rama, ou l’Homme à la recherche de son âme !

A l’échelle du temps long de notre évolution, l’âme est chose nouvelle, à tout le moins la prise de conscience que nous en avons une.

Deux mythes grecs et une épopée hindoue, nous parlent de cette étape qui nous annonce. Encore fallait-il les lire en les respectant, une fois débarrassés de notre superbe imbécile, de nos anachronismes, comme du poids des représentations que nous pensons être nôtres, mais qui nous furent imposées au fil des siècles …

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La guerre de Troie vient de s’achever, sur un épouvantable massacre !

Aucun troyen, qu’il soit homme, femme, enfant, vieillard, n’en réchappa ; tous, laissés sans sépulture au milieu des gravats.

Les cris laissèrent bientôt la place aux râles, puis vint le silence. Troie la fière n’était plus qu’une immense tour ouverte à tous les vents et aux charognards ainsi alertés !

De ce terrible dénouement, l’Histoire ne se souvient !

Mais ce n’est pas là le seul oubli de notre mémoire sélective, car ceux qui eurent la charge de nous conter ce désastre, omirent d’attirer notre attention sur une tragédie dans la tragédie qui pourtant n’avait pas échappé à Homère…

Qu’est-ce à dire ?

La guerre de Troie a détruit beaucoup plus qu’une citadelle, son hégémonie légendaire, un peuple en son entier, elle mit fin à une relation intime, déséquilibrée certes, mais plusieurs fois millénaire, entre les hommes et les dieux, à tout le moins avec ceux de l’Olympe.

Par répercussion, elle mit également fin à l’équilibre instable qui régnait entre les différents clans qui grenouillaient autour de Zeus, et dont les hommes, inconscients factotum, pathétiques marionnettes, payaient le prix fort.

Pourtant Homère insiste sur ce point, y revient à plusieurs reprises, mais il faut croire que cela n’était pas la priorité de ceux qui avaient à charge de transmettre ce leg de l’antiquité aux enfants de la bourgeoisie du siècle dernier.

Leur propos n’était pas tant d’y déceler une nouvelle genèse, un message anthropologique majeur, que de doter d’un certain vernis ceux qui étaient appelés à naviguer dans les eaux troubles du pouvoir.

Après tout, pour ces transmetteurs de savoir, orienté, tronqué, enfants légitimes de l’Ecole, elle-même fille de l’Eglise et de la Science, son illégitime surgeon, il ne s’agissait là que d’un mythe ! …

Qu’aurait-il bien pu nous enseigner sur notre évolution ?                    

Le mythe c’est distrayant, un peu comme une promenade au zoo, c’est exotique, c’est aussi le signe pour celui qui se targue de l’avoir fréquenté sur les bancs du collège, d’une certaine culture ; on lui doit donc beaucoup, à condition qu’il ne se mêle pas d’anthropologie !

Désormais, le problème est réglé, car faire le point sur cette civilisation dont nous sommes largement issus, ne rapporte plus le plus petit point à l’examen mythique qui se meurt à son tour, n’est plus d’aucun secours pour son titulaire, non exempté pour autant d’une véritable sélection qui ne dit pas son nom, tout juste différée…

Embarquons-nous donc pour cette Odyssée dont les eaux subtiles, trop subtiles, n’auraient pu supporter bien longtemps l’insolente prétention du HMS Beagle …

Avant toute chose, afin de ne pas perdre notre temps, comme trop souvent lorsque nous sommes confrontés à ces récits relégués à l'étagère poussiéreuse, savoir qu’il s’agit-là, non d’un récit fantastique dont nous pourrions nous gausser, mais d’un niveau d’initiation auquel nous ne saurions plus nous hisser.

Dix ans !

La guerre s’était éternisée, et seuls les héros disparus eurent, par leur gloire acquise au combat, droit à l’éternité. Pour les autres c’est la routine lancinante et glaçante de l’Hadès, royaume des ombres, enfer promis à une belle carrière ... Bourbier, comme l’avait décrit Platon, sans trop de compassion ! …

Les quelques rescapés de l’immense armée grecque, assemblée au départ pour venger l’honneur bafoué de l’un des leurs, à moins que ce ne soit pour récupérer cette Hélène que tous convoitèrent, s’en reviennent au pays par des voies différentes, les uns sont de retour vers le futur, quant à Ulysse, un long, très long détour par le passé le plus lointain de l’Homme en devenir, va le tenir éloigné d’Ithaque sa chère patrie, pendant dix ans de plus …

« De retour vers le futur », qu’est-ce à dire ?

Grande première, déflagration à bas bruit dans l’histoire des représentations, les grecs s’attribuent la victoire au goût amer et tiennent les dieux pour responsables de cet immense gâchis …

Certes, ceux-là s’en retournent vers la terre qui les a vus naître, mais en réalité, dans leur soudaine démesure qu'ils craignaient, hier encore, plus que les dieux, ils voguent vers nous, oui, vers vous, vers moi !

Pour nous faire une petite idée de ce saut dans l’inconnu, cet univers qui nous semble désormais si familier, posons-nous les bonnes questions, quand bien même elles paraissent saugrenues :

Continuons-nous à sacrifier aux dieux pour un oui ou pour un non ? …

Hésitons-nous à blasphémer quand rien ne va plus dans notre vie, ou à en déduire que Dieu n’existe pas, comme Voltaire, notre maître en impertinence, devant la catastrophe de Lisbonne ?

Tout ce qui nous semble désormais naturel eut été scandaleux aux yeux de tout grec né avant la guerre de Troie, et, bien longtemps après, à ceux nombreux, qui n’apprenaient pas la vie à l'écoute recueillie de l'Iliade et l’Odyssée, non, exclus du pouvoir des sachants, graines de dévots, ils tinrent le haut du pavé et fermes les rênes de l’opinion.

Pour se rassurer, ils aimaient former le cercle vicieux des porteurs de pierres, ici, autour de Socrate, et là-bas, de la femme adultère …

Ce qui donc nous semble aujourd’hui banal, nous aurait valu la mort ! …

Cette émancipation des hommes remet en cause l’existence même des dieux !

Par l’entremise des muses convoquées en préambule, avant que ne se déclenche la transe rythmique, Homère, le poète aveugle aux phénomènes du monde sensible, envisage cette tragédie, s'y trouve transporté, la donne à voir …

Nous pouvons en sourire, si ce n’est qu’une fois de plus, nous aurions dû prendre au sérieux le mythe qui en sait plus long sur nous que nous n’en savons sur lui ! …

Chacun, ou presque, sait désormais que les dieux naissent dans la croyance des hommes, sans toutefois savoir de quoi il s’agit exactement, mais, dit-comme cela, sans autre explication du mystère de cette relation, abandonnés par l’Eglise romaine qui en sait désormais moins à ce sujet que le premier des soufis, qui ne pourrait comprendre qu’ils se disent athées ou agnostiques ? …*

Restée longtemps confinée aux seuls initiés des centres des mystères, pour de bonnes et de mauvaises raisons, pour préserver l’innocence de ceux qui dorment, ou préserver le pouvoir de ceux qui savent, l’affaire avait fini par être ébruitée …

 

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Homère nous dit que cette prise de conscience de quelques-uns fut provoquée par le dénouement tragique de la Guerre de Troie. **

Certains grecs, en effet, tout en ménageant, par leur absolue discrétion, le peuple qui en faisait son miel, en étaient venus à ne plus reconnaître les dieux de l’Olympe, trop imparfaits, trop proches des hommes, pour expliquer en quoi que ce soit le mystère du monde …

Loin du regard des dévots, n’évitant pas toujours leurs ragots ( Pythagore eut à en pâtir!), ils consacrèrent leur vie à l’ascèse, à la purification, au détachement de soi et du monde, à réveiller en eux le dieu ensorcelé.

" J’étais un Dieu caché et j'ai aimé être connu !", dira plus tard l’Islam soufi !

Cela devient en Occident, dira Hegel, le dieu qui, inlassablement se chercha dans d’inextricables contradictions, pour se retrouver enfin dans la conscience de l’Homme qui se prend elle-même pour objet !…

La rencontre entre Ulysse et Calypso est particulièrement intéressante de ce point de vue.

Elle dure sept ans, comme toute initiation, et se termine d’une manière qu’un occidental contemporain, se croyant libre de ses représentations, ne peut toutefois comprendre …

En Grèce, tout est en train de basculer, l’Hadès, l’enfer, mute du souterrain au plancher des vaches.

La clé de ce bouleversement des représentations, c’est la prise de conscience, une fois identifiée la réalité singulière de l’âme, une fois effectuée cette mise à part de l’éternel et de l’éphémère dans cette inextricable dualité sur deux jambes, de cet autre mystère qu’est la réincarnation.

Calypso propose, au terme de sa longue initiation, l’immortalité à Ulysse, c’est-à dire de ne plus revenir ici-bas, mais il refuse, il choisit Pénélope, son âme dans cette vie.  

Initié au plus haut niveau, il choisit donc de revenir !

Comment comprendre ce choix, si l’on a oublié, comme nous y furent contraints depuis près de deux mille ans, le mystère de la réincarnation ?

On peut trouver un étrange écho de cette décision, par Ulysse assumée, dans certains témoignages de NDE où les « victimes » entendirent l’injonction : « ce n’est pas encore le moment, retourne ! » …

Le mystère d’un mythe, souvent s’éclaircit dans le miroir d’un autre mythe …

Ainsi, qui a jamais tenté d’expliquer la raison pour laquelle Orphée, qui avait réussi momentanément à exfiltrer Eurydice de l’enfer, son âme en ce bas monde, ne devait surtout pas se retourner ?

Nous n’en avons plus souvenir, mais, les grecs, à peu près en même temps que les hindous acquis au sermon délétère de Bouddha sur ce monde de douleur, refusent la réincarnation, tentent d’expulser le désir malgré tout puissant d’y revenir, d’y goûter une fois de plus, une fois encore, ces quelques joies, d’autant plus savoureuses qu’elles sont lovées dans l’écrin du malheur !…

Rama, ce héros de l’autre grande épopée hindoue, le Râmâyana, ne vit pas autre chose; après avoir été expulsé dans la jungle, ce symbole du monde dans lequel l’âme s’incarne à nouveau, comme il est dit à un détour du Mahabharata, doit combattre pour retrouver Sita, son âme, otage du désir d’un autre, comme Pénélope, l'âme d'Ulysse, en proie à l’assaut perpétuel des prétendants, ces formes humaines prêtées aux désirs des sens.

Pour laisser place aux nouveaux rapsodes du jour, je m’oblige à écourter le développement de cette analyse, mais nous reviendrons bientôt sur chacune des étapes de l’initiation d’Ulysse, sur la descente aux enfers d’Orphée, comme sur cette étrange parenté entre les épopées grecques et hindoues, chacune ayant bercé l’enfance des élites de l'époque, et désormais des peuples de ces contrées si éloignées de notre raisonnement.

 

*Ceci dit en passant, ils se montrent beaucoup plus indulgents pour leurs intuitions, dès lors qu’elles leur sont livrées par leurs cinq sens, et parmi eux, celui de la vue, qui décide du vrai, du beau, de ce qu'il convient de penser ... mais cela est une autre histoire dont la physique quantique, ce SAS de décontamination venu à point nommé à la fin de l'âge obscur, a bien du mal à se dépêtrer !…

**Ici, car l’évolution psychique de l’Homme se moque bien des apparences que sont les frontières et les cultures, il semble utile et fécond d’établir un parallèle avec cette autre épopée de l’Inde, quasi contemporaine dans sa version orale, la Bhagavad-Gita, où l’on voit Arjuna, envisager avec effroi le champ de bataille de Kurukshetra,  confronté à l’indicible, à l’impensable, à la monstruosité de devoir combattre ceux de son sang, évoluer sous le choc, dans sa représentation comme nous dirions désormais, accéder à un autre niveau de conscience tel que prévu dans les causes finales qui inquiètent tant ceux qui y voient la dernière superstition à abattre, avant, vraisemblablement, de découvrir la nécessité du hasard …

 

 

 

 

 

 

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