L’univers résulte-t-il d’un sacrifice ?
Quelle drôle de question, me direz-vous ?
Qui plus est, le sacrifice, le dernier connu en date par
ceux qui nous quittent un par un, et parfois se regroupent, c’est celui
qu’exigeaient de nos anciens, les profiteurs et autres manipulateurs au pouvoir,
à qui ils faisaient miroiter la marche du progrès …
Il s’agissait alors de sacrifier le présent à l’avenir, rouerie
de la laïcité marchande, ultime transposition profane des indulgences ! …
L’exception confirmant la règle, Churchill, une fois passé
le temps annoncé du "sang et des larmes", promesse pour une fois
tenue, fut viré comme un malpropre.
En dehors de ce passé encombrant, qu’entendez-vous par
sacrifice ?
L’histoire, ce récit superficiel aux ordres des vainqueurs, mais
surtout des apparences, avait déjà fort à faire avec les batailles, les intrigues,
les rois et les guerres, alors vous pensez bien que les sacrifices dont on ne
savait pas quelle carte ils avaient redessinée, quel usurpateur ils avaient
installé, on les laissa volontiers aux monstres qui attendaient leurs victimes
en haut de l’escalier des pyramides de l’Amérique pré-Colombienne, ou aux
holocaustes gigantesques de l’Inde ancienne des védas …
Nous sommes si loin de ça !
Comment, en effet, pourrions-nous sacrifier un animal, voire
l’un des nôtres, afin que la fumée qui s’élève de l’autel décide les esprits
qui régissent l’univers à nous accorder quelque faveur ?
On ne sacrifie plus, nous, Monsieur, on abat, et c’est pour manger !
La nécessité ne songe plus à s’habiller du symbole devant
les affamés de naguère, mais se cache, loin du regard des repus, dans les
abattoirs de la honte ! …
Mais il est un autre sacrifice qui - est-ce un signe des temps ? ne nous vient pas à l'esprit ! ...
Il s'agit de celui qui fut à l’origine de notre civilisation, toujours incompréhensible, étouffé par l'oubli, c’est celui d’un dieu qui voulut connaitre
la mort !
Ce mystère ne fit donc qu’un temps, et l’on pourrait s’étonner
qu’il durât si longtemps !
Avant que l’histoire people ne s’empare du sujet, ses premiers
commentateurs, futurs piliers de l’Église, s’entredéchirèrent sur le mystère de la double nature de Jésus-Christ, avec pour tout argument leur seule intelligence...
Désormais, le débat est tranché, en faveur, si l’on peut
dire, de l’homme simple de Nazareth, avec les seules questions métaphysiques
dont notre temps est capable : a-t-il jamais existé, et si c’est le cas,
eut-il une aventure avec Marie -Madeleine ?
Bien entendu on ne se soucie plus trop de la signification
de cette croix, encore moins de ce qu’en avait dit Platon en ce temps de l’attente,
de cette âme du monde crucifiée, invisible, du Dieu ensorcelé qu’il s’agit de
réveiller …
Alors, que pourrait-on bien avoir à faire de ce terrible constat à nous adressé par une intelligence qui fait encore confiance à la nôtre : « si tu déclares que Dieu est mort, serait-ce que tu es déjà mort ? »
Alors encore, il y a Hegel qui voit Dieu s’apparaître enfin à
lui-même dans la conscience de l’Homme qui se prend elle-même pour objet !
Disqualifiant ainsi Pascal, petit joueur, à jamais dépassé par
le pari divin ! …
Il est vrai, à la décharge de cet enfant du doute et du
calcul intéressé, qu’un autre esprit, Einstein, avait dit que Dieu ne jouait
pas aux dés !
Il est tout aussi vrai que Niels Bohr, que j’aurais bien
aimé connaitre, lui rétorqua fort justement, de mon point de vue au moins :
« qui êtes-vous pour dire à Dieu ce qu’il doit faire ? »
Il y a aussi et toujours, cet étrange passage qui
« clôture » l’Hymne à la Création du Rig Veda (X-129), cette genèse
d’avant la Genèse :
Qui donc saurait comment il est venu à l’être ?
Ce déploiement, comment il est venu à l’être ?
Qui l’a créé ou non ?
Le témoin du cosmos, au plus profond du ciel, le sait-il, ou ne le sait-il
pas ?
En d’autres termes, puisque les Upanisads, contrairement à leur admirable et prolifique habitude exégétique, sont restés cois, définitivement muets au pied de cette obscure révélation, nous, occidentaux, enfants incrédules de la Genèse, de ses images qui ne nous parlent plus, plus enjoués dès qu'il s'agit de son avatar, le Big Bang, onomatopée volubile, sommes fondés à nous poser la question suivante :
l’Un, dans un acte d’amour inconcevable
pour nous qui l’avons nécessairement souillé et tout à la fois honoré de notre
désir de vivre, s’est-il enseveli dans sa création en attendant que l’un ou
l’autre d’entre nous vienne le chercher ?
Hegel qui n’avait pas de mots assez durs pour les bigots de son temps, préfigurait-il
le futur adepte du Christ, non celui qui se contenta de l’histoire deux fois
millénaire qui s’était déroulée dans le monde sensible, mais à la recherche
d’une intelligence qui dépasse celle qui nous tient lieu de viatique ?…
Sans être grand clerc, le mystère de l’entrée du Christ dans l’histoire humaine renouera prochainement avec les visions de ceux qui l’attendaient depuis des siècles dans les anciens mystères, en Grèce, en Irlande, en Egypte etc.