La physique quantique est-elle un sas de décontamination ?

Avant toute chose, savoir d’où l’on parle !

A Jean-Philippe Uzan, astrophysicien, qui affirme que la science est en cours de construction, je répondrais qu’elle n’est qu’un échafaudage, et que, à travers ses errements et ses fulgurances, c'est l’Homme qui est en cours de construction ! …

Mais, pour en revenir au titre de cet article : quelle drôle de question, me direz-vous, car enfin, si les conclusions de la physique quantique, c’est indéniable, agressent notre esprit, c’est bien de notre corps qu’il s’agit lorsque l’on parle de décontamination ! …

Enfant de ce XIXème siècle suffisant qui estimait avoir tout compris, confronté dès ses 21 ans à la déflagration de la relativité restreinte, et partant, à l'abolition des privilèges d'une science à bout de souffle, Gaston Bachelard eut cette phrase célèbre, plus que jamais opérationnelle  : « Il faut apprendre à penser contre son cerveau ! ».

Est-ce à dire que ce dernier, dans les deux sens du terme, se serait fourvoyé ? Et, en ce cas, quelle en serait la raison ?

Ceci dit, sans jeu de mots excessif ! ...

Il nous faudra y revenir très largement, puisqu’aussi bien, le temps en est venu !

Concernant le traitement qu’il convenait d’administrer à notre esprit, les anciens, d’Athènes à Alexandrie, en passant par Rome, parlaient plus volontiers de purification.

Ce thème récurrent, devenu littéraire au fil des siècles, était à l’origine une tradition orale, comme tout ce que l’on ne pouvait confier à l’écrit réputé sacrilège, une pratique secrète, difficile, élitiste, une question de vie ou de mort, qui mobilisa un certain nombre de nos anciens pendant près de mille ans.

Cependant, si ce terme peut davantage faire penser à l’entretien de ce corps qui désormais nous obsède, leur propos était très différent, car il ne s’agissait pas de le sauver, mais bien plutôt de s’en sauver ! …

Depuis lors, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts ... Serait-ce sa puissance d’érosion ? … toujours est-il que celui qui nous reliait à ces hommes d’avant, s’est écroulé ! …

Pour l’heure, aucun esprit n’échappe à la contamination, car l’ennemi s’est lové depuis belle lurette dans nos représentations …

Nous n’en savons rien, car il maîtrise l’art du camouflage, mais, pour peu que nous nous mettions à distance de nous-mêmes, nous le voyons avancer tour à tour sous le masque du fameux bon sens, de notre intuition, de nos poncifs, du doctoral « c’est bien connu ! », dernier recours du crétin en recherche de légitimité …

Aucun esprit, même parmi les plus brillants, et jusqu’aux fondateurs de la physique quantique, personne n’est ou ne fut épargné par cette pandémie inoffensive, en apparence …

A commencer par Albert Einstein !

Jean Philippe Uzan, dont on ne se lasse pas, nous explique ainsi que le maître tenait, avant toute chose, à sa vision d’un univers statique, fini, ajoutant perfidement qu’il lui était ainsi plus facile de calculer …

Cela me rappelle un sketch de Robert Lamoureux, humoriste français, électron libre, né avec la physique quantique, qui mettait en scène des policiers courant après un voleur en fuite.

Celui-ci se réfugie alors dans une grande tour qui surplombe un immeuble plus petit.

Jean-Philippe Uzan est trop jeune pour avoir été l'un des badauds ébahis qui demandèrent au chef des policiers, la raison pour laquelle, alors qu’il savait pertinemment ce qu’il en était, ses hommes cernaient l’immeuble plus petit.

La réponse tombe alors, vraisemblablement en hommage à Darwin : « parce qu’en fonction des moyens humains à ma disposition, c’est plus pratique ! »

En réalité, Einstein avait conçu une théorie qui, au final, on le lui fit remarquer, contredisait ses idées préconçues.

Grand seigneur, ou décidant en son for intérieur que les dés étaient jetés, il quitta la table et abandonna sans préavis ce domaine en expansion qu’était la cosmologie. *

*

*        *

Sont-ils libres du regard des autres, à commencer par celui des leurs ?

Toujours est-il que nos physiciens de haut vol me semblent bien prudents quant à ce qu’ils aperçoivent à cette altitude qui est la leur, mais, pour qui veut bien s’y attarder, la révision de nos représentations, opérée depuis peu par l’obscure mécanique quantique, réactualise singulièrement de vieux débats, philosophiques, métaphysiques …

Sans omettre, pour ajouter au trouble, certains savoirs oubliés ! …

Ainsi, pour commencer, prenons l’évolution récente de notre vision sur l’électron : il n’y a pas si longtemps, il était un peu comme nous, ici ou là, et pour d’autres encore, s’il se déplaçait, c’est à la manière des planètes qui tournent autour du soleil.

Mais, n’en déplaise à l’invite de Protagoras dont, autosatisfaits, nous nous sommes repus pendant plus de deux millénaires, il semblerait que l’univers reprenne enfin la parole, lassé d’entendre ce qu’il n’est pas, girouette bienveillante, jusqu’alors offerte à tous les vents de nos représentations successives, de nos projections qui ne parlent, tout bien considéré, que de nous-mêmes ...**

Ainsi, l’électron, libre du regard des autres, est à la fois partout et nulle part, au moins avant que cette mesure à notre mesure, ne le contraigne à rester bien sage dans son coin, à devenir discret, dans les deux sens du terme …

Ici, vous entrez dans le sas de décontamination, libre encore de ne pas vous déchausser, de refuser de faire le pas, de retourner, comme si de rien n’était, à vos occupations, utiles ou inutiles ; dans sa grande mansuétude, son infinie patience, le cosmos en décidera ! …   

L’atome n’est donc pas un système planétaire, son noyau faisant, le temps d’un intérim, le temps de nous apprivoiser, office de soleil ! …

Cette organisation héliocentrique, douloureusement admise, il y a peu, au détriment de notre narcissisme, ce modèle à tout faire, à tout comprendre, ne fallait-il pas, une fois encore, une fois de plus, l’abandonner au profit d’une désorganisation apparente où l’électron, pour occuper potentiellement toutes les places, s’interdit toutefois celle qui pourrait annihiler le système ?

Mais ce dernier mystère qui me permet d’écrire ces quelques mots, et vous de les lire, n’a pas l’air d’étonner plus que ça les quelques happy few à être dans la confidence ! ? …  

L’électron n’est donc pas ici ou là, mais probablement ici et là, potentiellement partout et pourtant nulle part …

Ce mystère, une fois débarrassé, décontaminé, de notre projection initiale sur ce qui devrait être, peut nous éclairer sur un autre mystère qui peut intéresser chacun d’entre nous, quand bien même il n’est pas pétri de physique quantique …

Ce dont nous ne savons rien mais nous permet de savoir que nous sommes, c’est la conscience humaine !

"Je pense donc je suis !"

 Ainsi s’était extrait de son doute, s’était rassuré, un usurpateur devenu soudain - deux en un ! - célèbre et maître de nos représentations …

Au stade où nous en sommes, nous sommes bien incapables de définir ce qu’est la conscience, alors, serait-ce bien raisonnable d’envisager qu’elle ait pu évoluer ?

Il est vrai que, jusqu’il y a peu, le moment n’était pas encore venu de déconstruire notre récente et fragile vision du monde, lentement édifiée aux moyens nouveaux de l’observation et de la logique, ou, pour le dire autrement, des cinq sens, serviteurs zélés du gros cerveau, ce, après que nous fument chassés de ce monde où nous étions partout et nulle part, libres de ce véhicule périssable qui nous emmène à la casse,  alors que notre conscience partagée fluait dans ce monde enfui où « la chose en soi » ne faisait pas mystère ! …

Inutile de chercher des traces matérielles de cette mutation récente, récemment repérée en Grèce, quelque part entre Homère et Socrate …***

Point d’os, point de poteries, point de squelette recroquevillé au fond de quelque tombe intentionnelle, mais un massacre, une mise en pièces, celui de Dionysos Zagros, dont le mythe orphique qui lui fut consacré, servit de linceul, foulé aux pieds, profané depuis plus de deux millénaires par ceux qui comme nous ne savent plus qui ils sont, ni surtout d’où ils viennent ! …

Condamnés à observer les phénomènes de surface, ceux qui se sont penchés sur cette période dont ils ne voyaient pas le fond, ont parlé, à juste titre, d’un « surgissement de l’individu ». ***

La singularité de cet individu qui se détache d’une conscience jusqu’alors globale, commune, leur échappe en grande partie, si ce n’est dans ce qu’ils peuvent constater de répercussions sociales inédites, comme cette concentration des tout jeunes porteurs du " moi je!", cacophonie qu’il s’agissait d’organiser au plus vite en un lieu représentatif de ce temps de mutation accélérée, que l’on nomma Agora avant de s'y distinguer en achetant des marques ...

Mais le  "moi je!" ne saurait se contenter de cette rencontre avec l'autre; sa revendication toute nouvelle porte sur son salut personnel, son immortalité, réservée jusqu’alors aux seuls héros.

Il ne pouvait en être autrement car l’Université qui ne sait plus trop où elle en est, tantôt républicaine, tantôt marxiste, mais assurément fille cachée de l’Eglise romaine qui avait interdit à jamais l’accès au savoir réputé sulfureux des mythes.

Renonçant par là-même à savoir quoi que ce soit de cette histoire d’avant l’histoire.

Pour se faire une idée de notre indigence, qui songerait à reprocher à Einstein d’avoir représenté les forces à l’œuvre dans l’univers par cette image géométrique de l’espace-temps ?

Par contre, quelle n’est pas notre condescendance à l’égard de ces hommes d’avant la pensée conceptuelle qui personnifiaient ces forces par des dieux ? 

Après deux ou trois millénaires d’obscurantisme nécessaire à l’édification de notre Moi, nous redécouvrons enfin le non local, le "et" inclusif , la fluidité, l'ubiquité, ce mystère qui peut nous éclairer sur cet état de conscience qui précéda le nôtre ! …

Nous retrouvons son effondrement, sa fragmentation, dans le mythe orphique de la mise en pièces de Dionysos Zagros, archétype pour les anciens grecs de la conscience unitaire, non locale, à l’instigation d’Héra, personnification de la jalousie, donc de la division, du morcellement, aidée en cette tâche par les titans, nos cinq sens par qui tout passera désormais.

Le mythe, loin d’être sulfureux, pour qui veut bien le lire, se fait précis, car le premier Dionysos est fils de deux forces personnifiées : Zeus, puissance cosmique, et Perséphone, fille de Demeter, force terrestre. Quant au second Dionysos, celui que l’on connaît d’autant mieux qu’il est le premier d’entre nous, il est, nous dit le mythe, le différent, l’autre, l’étranger, le singulier, le fouteur de merde, bref l’individu …

Détail qui achève de nous convaincre : pour avoir le même père que son ancien, sa mère, Sémélé, est une simple mortelle !…

Avant la mise en pièces de Dionysos Zagros par les titans, ou, pour le dire autrement, alors que l’individu conscient de lui-même attendait son tour sous l’horizon de l’histoire, la conscience humaine était non locale, non temporelle, unitaire, non morcelée, non asservie à l’attelage bringuebalant des cinq sens et du gros cerveau.

Fluant dans les phénomènes à la manière d’une onde, elle n’aurait su se contenter de cet espace étroit que constitue notre corps; ne s’arrêtant pas à la surface des choses, la chose en soi n’était pas encore le  problème insurmontable que nous connaissons !

 

  

*N'est-il pas troublant, à ce sujet, de constater que la théorie mise au point par ce cerveau d’exception, vint paradoxalement mettre à bas - on le lui fit remarquer ! - ses propres présupposés, bousculer ses certitudes; ce qu'il refusa,  ajoutant illico une "constante" à son équation initiale, pour tenter de tenir en laisse cet univers qui ne demandait qu'à se dépenser (bienvenue aux psychanalystes!) ...

« Les équations pensent mieux que nous ! » ajoutera Langevin, l’homme qui raconta à sa manière la légende d’Epiménide, cette relativité du temps telle que perçue en esprit par nos prédécesseurs à la surface de Gaïa; suivi en cet humble et mystérieux constat, par Dirac, le père involontaire de l’antimatière, et partant, de la mer éponyme où Parménide aurait pu se noyer; mais fort heureusement pour le temps qui fut accordé à l'occident, elle ne s'était pas encore formée ! …

** "l’Homme est la mesure de toute chose, de celles qui sont comme de celles qui ne sont pas !"…

*** Voir et revoir les travaux de l’admirable Jean-Pierre Vernant, enrichis de ceux de tous les chercheurs qui consacrèrent leur vie à cet instant crucial de notre évolution : Mythe et pensée chez les Grecs. Etudes de psychologie historique. Editions La Découverte, de 1998 à 2012.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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