Pourquoi à ce moment-là, pourquoi à cet endroit ?
Dites-moi les centres d’intérêt d’une époque, je vous dirai qui sont ces hommes qui s’y agitent ! *
Désormais, il est paradoxalement réconfortant de penser que
Jésus n’avait rien de divin !
Souvent femme varie, est-il dit, mais l’opinion aussi !
…
Qui plus est, enfin revenu parmi nous, nous sommes en droit
de supposer, qu’entre deux paraboles, il avait su trouver les mots pour
Marie-Madeleine ! …
*
* *
Pendant plusieurs siècles, au début de notre ère, la
question de la véritable nature de Jésus a divisé durablement les premiers
chrétiens.
Face à cette cacophonie qui n’en restait pas toujours aux
mots, la première question qui vient à l’esprit est, pourquoi furent-ils si
nombreux, alors que manifestement, ni les uns ni les autres ne comprenaient quoi
que ce soit au mystère qui s’était déroulé en Palestine ?
Ce ne furent en effet que disputes, assauts de spéculations,
anathèmes, excommunications … un brouhaha sanglant s’élevait, de-ci de-là, vers
un ciel incrédule … de Rome à Antioche, en passant par Alexandrie et
Constantinople.
Au point qu’il est désormais difficile d’y retrouver ses
petits, parmi ceux dont l’ambition démesurée était d’imposer leurs vues à tous
les autres …**
Le problème, c’est que l’intellect naissant, né du surgissement
désordonné de l’ego, dopé au pouvoir du sacré, n’avait pas accès au mystère du
Golgotha, ce dont nous aurions tort de nous moquer, nous qui sommes bien
incapables de dire quoi que ce soit de cet autre mystère, de cette moderne
genèse, occultée par le mur de Planck …
L’image de la mosaïque conviendrait-elle mieux ?
Difficile de discerner en celle-ci un quelconque motif qui
la justifierait ! …
Partant de cette impossibilité, le mystère de l’incarnation
du Christ serait-il mieux illustré par le résultat de l’explosion tardive d’une
bombe à fragmentation ?
Toujours est-il que, si l’on en juge à la violence et à la
persistance des affrontements idéologiques, à la tentation récurrente, multi
millénaire, du subterfuge de l’antisémitisme ***, à l’exutoire des croisades, à
l’impunité accordée aux sadiques de l’inquisition, il faut bien admettre que
les imposteurs de Rome et de l’intransigeant dénonciateur des indulgences, n’avaient
rien compris au mystère de Jésus-Christ qui, Lui, avait compris par avance leur
prochaine déviance, leurs turpitudes, leur aveuglement : « Père,
pardonne-leur, parce qu’ils ne savent pas ce qu’ils font ! » …
La crucifixion n’est pas un évènement unique, nous la réactualisons chaque jour, pas plus d’ailleurs que ce pardon dont nous ne saurions imaginer qu’il s’adressait également à nous qui ne savons toujours pas qui nous sommes, qui nous foulons aux pieds …
Des siècles donc à se poser la même question, à spéculer, à se déchirer sur la véritable nature de celui qui fut mis en croix, à s’excommunier, sans jamais, à ce qu’il semble, tenter de contextualiser son bref passage sur terre, de tenter de comprendre pourquoi un immortel voulut s’apparenter à la mort, pourquoi entrer dans le flux délétère de notre temps, pourquoi à ce moment précis de notre évolution ?
A la décharge des théologiens belliqueux des premiers
siècles, la vue rétrospective sur l’histoire de l’humanité était alors limitée aux
enquêtes somme toute récentes et parcellaires d’Hérodote ou Thucydide, que n’auraient
su compléter l’immense savoir des mythes, ceux-ci étant par eux rejetés aux
oubliettes de la nouvelle prison libératrice : j’ai nommé la Raison !
Nous n’avons plus ces contraintes, notre horizon s’est
élargi de plusieurs millénaires et nous avons désormais la possibilité de
douter de la toute-puissance explicative de la Raison, en raison de cet
inexorable déconstruction de l’opinion opérée par la physique quantique !
Pour tenter de répondre à la question de départ, à ce double
pourquoi spatio-temporel qui, très curieusement, n’attira pas la curiosité des
belligérants, il y a plus d’un départ ! …
J’en ai choisi un, méconnu, étrange, et qui peut paraître
ridicule à ceux d’entre nous, nombreux, qui ont tout oublié.
C’est un passage du Phédon de Platon où celui-ci parle « d’une
très ancienne tradition, d’un exercice de mort, consistant à purifier l’âme, en
la concentrant, en la ramassant sur elle-même, à partir de tous les points du
corps, de façon qu’ainsi rassemblée et isolée du monde sensible, elle puisse se
délier du corps et s’en évader … » ****
Ici, nous changeons de référentiel, comme aurait dit
Einstein. Ceux qui n’ont pas envie de réfléchir en dehors du confort fallacieux
de notre culture, sont libres de quitter ce bateau qui pourrait les emmener
vers des tempêtes intérieures inopportunes …
*
* *
Comment expliquer cette « très ancienne
tradition » qui, soit dit en passant, occupa l’esprit des philosophes tant
qu’ils furent initiés, par expérience ou par ouï-dire, pendant près de mille
ans ?
En gros, au moins pour le peu que nous en savons, d’Epiménide
le Crétois à Proclus, le descendant de celui qui avait expérimenté, à deux ou
trois reprises, l’ascension de son âme vers l’Un, source du multiple, des dieux,
de l’univers, des phénomènes, au nombre desquels nous nous figurons ne pas être
de simples figurants, j’ai nommé Plotin ! …
Son premier disciple, Porphyre, parle également de ces
exercices de purification de l’âme, de rassemblement de ses forces dispersées en
tous sens, afin, qu’ainsi unie, réunie, elle puisse quitter ce corps où elle a
tout oublié … ****
Purification, voilà un mot, une exigence, que nous
rencontrons souvent chez les penseurs de l’antiquité, c’est dire en creux en
quelle estime ils tenaient ce corps que la mythologie avait sur le tard, il est
vrai, « baptisé » Hadès, enfer !
Soit dit en passant, au moyen âge, les prédicateurs de
l’enfer avaient de qui tenir, à défaut de s’en tenir aux ultimes paroles du
crucifié ! …
Cette atmosphère psychique de la Grèce antique, on la
retrouve en orient, en cet orient où une très vieille science spirituelle avait
vu le jour, bien avant que Gautama dit le Bouddha, ne vienne enseigner aux
hommes la nécessité de fuir à jamais ce monde de douleur et d’ignorance.
Le Sankhya fit donc partie de l’univers culturel et
spirituel du Bouddha, mais également, par quelle voie et sous quelle forme, le
saurons-nous jamais, de Platon ? …
Ce que l’on peut dire tout de même, c’est que les initiés
voyageaient beaucoup plus que nous ne saurions l’imaginer, très loin, très
longtemps, afin, non pas de prendre des photos souvenir, mais, par
l’initiation, de se remémorer ce temps où leur âme n’avait pas encore cédé à la
tentation du temps de l’oubli ! …
Plutarque qui, selon ses dires, fut conduit au Hadès, en témoigna à une époque de l’antiquité tardive où l’on ne
risquait plus sa vie à dévoiler ce genre d’occupations.
L’exercice de type yoga dont parle Platon, a pour but la
remontée de l’âme vers son origine, laissant là pour un instant, le corps de
chair, dans un état cataleptique.
Pour tenter de revenir au Big Bang, notre expérience de
pensée consiste à repasser à l’envers le film de l’expansion de l’univers.
Les exercices spirituels des anciens consistaient à remonter
à la source, sachant que la descente, la procession des âmes, était décrite,
non par une expérience de pensée, mais par cette science spirituelle nommée
Sankhya, née à une époque charnière de l’évolution de l’homme où se fit la
rencontre féconde de deux états psychiques, d’une clairvoyance qui s’attardait
et de la raison naissante.
Un peu comme dans nos rêves où le monde intelligible cherche
à se faire comprendre au moyen d’images empruntées au monde sensible, mais de
manière moins chaotique, voilà comment nous pourrions décrire ce
processus :
Juste en dessous du monde du pur esprit, de l’Un, se trouve
un monde indifférencié, une mer spirituelle, une mer cosmique, où les âmes baignent
dans une indétermination béate, dans l’attente du grand départ, du choix d’un
destin.
Se forment ensuite à la surface, de petites rides qui
annoncent que certaines âmes sont au bord de la différenciation, emportant avec
elles ce qu’il faut de forme, ce viatique immatériel, pour se manifester dans
le monde des phénomènes, c’est le stade dit de Buddhi.
Des gouttelettes se détachent alors de la surface des vagues
qui grossissent, pour embrasser un destin singulier, c’est le stade dit
d’Ahamkara.
La descente dans les formes se poursuit, jusqu’à la
matière, seule à nous obnubiler, soit dit en passant, depuis près de trois
mille ans ; après être passée par le Manas, ce sens général *****, puis
par les corps subtils, et pour finir, matériels des cinq sens.
Différenciation, individuation, condensation, sont les
grandes étapes de la procession des âmes, auxquelles l’on pourrait ajouter
dispersion, éblouissement, à travers les cinq fenêtres de nos sens.
Le Yoga, la remontée, enseigné par Krishna à Arjuna, son
seul élève, concerne un petit nombre, ceux qui vont échapper au bourbier comme
dit Platon qui, il est vrai, n’aime pas l’Agora, et donc ses semblables …
Par un don du ciel qui n’est pas réservé aux quelques-uns
qui, en orient ou en occident, en éprouvaient l’urgence, l’humanité,
inconsciemment, a lentement entamé la conversion, la remontée.
Nous pouvons en constater la progression en Grèce,
notamment, où l’individu conscient de lui-même apparait quelque part entre
Homère et Socrate.
Fini le temps des héros, aux oubliettes la guerre de Troie, le
temps de l’appel aux muses, le commerce avec le monde suprasensible, commence
la guerre contre soi-même, contre cet inconnu qui en nous se dissimule, annoncée
par l’exigeant, l’impossible « connais-toi toi-même ! » inscrit
au fronton du temple d’Appolon et dans le programme de Socrate, commence la
guerre contre le temps devenu linéaire, contre le délétère devenir, contre l’absurdité
de cette vie, pour le salut de son âme …
C’est le stade de l’Ego, d’Ahamkara, dit le Sankhya.
Que pèsent ses conséquences dans nos actuelles représentations,
au regard de la disparition des dinosaures ?
Pourtant la déflagration psychique fut énorme et, si à
l’une nous devons la vie, selon toute vraisemblance, à l’autre nous devons
assurément cette nouvelle conscience qui nous caractérise.
Qui n’est véritablement conscience, que quand elle se prend
elle-même pour objet, vertige pour les uns, dont votre serviteur, apparition du
dieu à lui-même pour Hegel ! …
L’individu se sépare alors de la tribu, de ceux de son sang,
de l’âme groupe, se débarrasse des représentations qui n’étaient pas vraiment les
siennes, pour aller donner son avis sur l’Agora. ******
La démocratie athénienne réunit ces hommes nouveaux, ces
mutants, qui, sans le savoir, ont atteint le stade d’Ahamkara, irrésistiblement
mus par ce surgissement de l’ego, à cette nuance près que, pour eux, les
semblables ne sont pas encore les égaux …
L’image, immédiatement accessible, peine à se retirer devant
le concept aux ambitions démesurées…
Il est une loi, non écrite dans le monde sensible, qui veut
que si l’on monte d’un degré sur un certain plan, l’on descende d’un degré sur
un autre.
Pour le dire autrement, à la manière de Blaise Pascal
lorsqu’il socialisa un principe occulte : « L'homme n'est ni ange,
ni bête, et le malheur veut que, qui veut faire l'ange fait la bête ! ».
Au terme d’un long chemin, l’Homme retrouve,
en pleine conscience cette fois-ci, le stade d’Ahamkara, mais descend de ce
fait à l’état de tamas, cet état d’obscurité où la matière domine l’esprit. *******
Les exercices initiatiques auxquels
Platon fait allusion, l’enseignement oral, confidentiel, de Krishna à Arjuna,
son seul élève, sont tombés récemment dans les mains grossières des occidentaux
qui n’imaginent pas un seul instant qu’ils ne concernaient qu’un tout petit
nombre d’élus.
Pourquoi à ce moment-là ?
Bien entendu, cette première approche ne
saurait rendre compte de tout ce qui advint à ce moment-là de l’histoire des
hommes, et continue d’agir, comme, par exemple la fin du rôle tragico-magique
du bouc émissaire dans le retour de la paix ********, le rôle majeur de l’amour
comme « antidote » à l’égoïsme résultant du nécessaire surgissement de
l’ego …Celui qui en a le mieux parlé, il me semble, c’est Saul de Tarse !
*
* *
Pourquoi à cet endroit-là ?
La question est vaste, et l’endroit si petit !
En apparence seulement, car l’ancestral et occulte mouvement
de pendule qui entraîna les hébreux, non de charybde en scylla, mais de Mésopotamie
en Egypte, et retour, s’était enfin arrêté en ce centre qui n’est pas que
géographique ! …
Résultat de nombreuses initiations, d’autant de rejets, mais
surtout d’une intense et inédite intériorisation, était venu le temps de l’attente !
Cette attente dont nous ne savons plus rien, car nous l’avons
domestiquée, réduite à ce que nous pouvons espérer ici-bas, ou, pour le dire
autrement, au monde sensible !
Cette attente qui concernait des lignées entières, des
dizaines de générations, en vue de préparer le meilleur d’entre eux à recevoir
celui qui devait venir …
De l’Egypte, restait le souvenir actif du « chemin des
hommes et du chemin des dieux », selon que les premiers l’empruntaient
après la mort, ou qu’une entité divine décida de s’incarner au terme de la
descente au fil de quarante-deux générations.
Délire ?
Non, prologue de l’évangile de Mathieu !
La théologie romaine passe sous silence ce mystère, comme
cette autre généalogie figurant au début de l’évangile de Luc, tout comme, pour
accroître notre trouble de laissés pour compte, l’absence de toute allusion à l’enfance
de Jésus dans les deux autres évangiles, de Marc, et de Jean …
Il nous faudra y revenir !
Qui pourrait en effet combler, en quelques lignes, deux
millénaires de mésinformation ou de désinformation ?
* « Ils vont, ils viennent, ils trottent, ils dansent,
de mort, nulle nouvelle ! » Montaigne, Essais (1580-1595). Que dire
de plus ? … si ce n’est que chaque époque tente d’oublier comme elle peut la
blessure ontologique originelle … Qui pourrait nous en blâmer ? Seuls parmi
les leurs à regarder la mort en face, les philosophes, depuis qu’ils
s’extirpèrent des mystères antiques, tentent d’apprivoiser celle que les
paysans appelaient la grande faucheuse !
** quant à cette agitation peu sage, des esprits chagrins
pourraient invoquer, non sans une certaine malice, cette analyse des stratèges
du marketing, du comportement subitement « prosélytique » du nouvel
acheteur, qui n’a d’autre but inconscient que de diluer sa peur de s’être
trompé ….
*** oui, à ce subterfuge corvéable à merci, comme si le crucifié n’avait pas démontré que le
bouc émissaire était innocent, comme si, avant de verser la dernière goutte de
son sang, il n’avait pas pardonné à ceux qui « ne savent pas ce qu’ils
font », comme si ces théologiens amateurs mais tueurs professionnels
n’avaient jamais entendu cette énigme : ce qui est folie aux yeux des
hommes est raison à ceux de Dieu …
L’Eglise romaine, comme la réforme luthérienne, ont fait
preuve de leur incompréhension du mystère du Golgotha, les propos orduriers de
Luther n’ayant rien à envier aux exactions d’Isabelle la Catholique ! …
Reconstruction oblige, chacun sait que tous les français résistèrent,
et que les allemands ne savaient pas ! …
Ce peuple immense, capable de Maître Eckart, de Kant, Goethe,
Schelling, Hegel, Wagner, Hölderlin, et de tant d’autres, pourra-t-il enfin
contextualiser ce qui ne constitue pas un simple épiphénomène ? …
**** nous devons cette exhumation vivifiante au merveilleux
Jean-Pierre Vernant, dans son essai intitulé : « Mythe et pensée chez
les Grecs » aux éditions La Découverte/Poche.
***** qui nous fait dire par exemple, oubliant l’espace d’un
instant toute rationalité, qu’une couleur est chaude, sans que nous ayons
conscience que ce constat fait appel aux sens de la vue et du toucher. Certains
possèdent cette synthèse du message des sens à un niveau élevé, nous parlons
alors de synesthésie, une anomalie ; quand les anciens nommaient Manou, le
Guide, celui chez qui cette particularité dominait !…
****** Le début de la Bhagavad- Gita, si prisée des
occidentaux désorientés, dont, fidèles à leur habitude, ils n’ont retenu que la
surface des choses, ou, tout au plus, ce qui ne pouvait les bousculer que très
légèrement, est passé sous silence. Quel est en effet ce commandement
« peu chrétien » intimé par Krishna à son élève Arjuna d’aller
combattre ceux de son sang ?
Aux chercheurs de vérité, pugnaces, courageux dans
l’épreuve, tenant ferme les rênes de leur folle opinion, je recommande
d’aborder, libres de tout a priori, cet enseignement majeur pour la
compréhension de l’évolution psychique, dispensé lors des conférences données
par Rudolph Steiner dans les années 1912, 1913, et regroupées sous ce titre de
prime abord déstabilisant : « La Bhagavad-Gita et les lettres de
saint Paul ».
Vous pouvez aussi, très utilement, avant ou après cette communication,
assister au survol autosatisfait de nos actuels experts et/ou traducteurs de ce
chant véritablement divin, dont ils n’ont retenu que ce à quoi leur
intelligence, certaine au demeurant, leur donnait accès, c’est-à-dire,
finalement, à peu de chose ! …
******* l’état de tamas, cette relation déséquilibrée entre
l’esprit et la matière, au profit de cette dernière, état dans lequel nous
sommes actuellement, sans le savoir ni savoir qu’une autre relation peut
exister, a déjà existé, existera, relire « les œillères de la
Raison » paru sur le blog le 22 août 2021.
******** Voir l’œuvre pionnière de René Girard qui consacra
sa vie à débusquer cette supercherie, un temps utile, tout de même, à ce que le
combat ne cessât pas, faute de combattants !…