Epiménide avant Einstein !

Avant toute chose, il serait bon d’interroger ensemble cet « avant » qui dit beaucoup de notre actuelle mentalité, mais si peu du lien organique qui relie ces deux hommes que vingt-cinq siècles séparent !

Quelles peuvent être en effet nos réactions devant ce titre articulé sur le mot qui tue, qui destitue, qui déboulonne la statue du commandeur des nouveaux croyants, digne d’une presse indigne, à l’agonie, désormais tiraillée entre les impératifs du tirage et son mépris aigri des méthodes racoleuses de son enfant cachée, la presse people ? …

Le but de ces quelques lignes n’est pas en effet de savoir si le phénomène de dilatation du temps, de la relativité, car c’est bien là notre prétexte, avait été identifié avant qu’Einstein ne le conceptualise, mais d’observer comment, sous quelle forme, il apparaît tour à tour dans le psychisme de l’Homme.

Avant d’en venir à ces deux-là, je voudrais prendre un exemple où Héraclite remplace Epiménide dans le rôle du précurseur …

N’a-t-il pas dit en effet, au détour d’un des fragments qu’il nous en reste, que le chemin courbe et le chemin droit ne sont qu’un ?

Cette superposition, cette intrication des contraires, cette unité entrevue au-delà du multiple, chère à Héraclite, n’est pas, pour qui connaît un tant soit peu le contexte, le résultat d’une expérience de pensée confirmée par moultes expériences comme nous en avons pris l’habitude, mais d’une vision en esprit, courante à l’époque, au moins dans le tout petit milieu hermétiquement fermé des initiés.

Vision que j’ai le culot, devant vous, Mesdames et Messieurs, n’en déplaise aux inquisiteurs de la nouvelle religion scientifique, de rapprocher de la récente géométrisation de l’espace-temps qui affirme, en dépit du « bon sens », que la lune se déplace en ligne droite, mais que, contrainte par la déformation de l’espace-temps, en raison de la masse de la terre, sa trajectoire est circulaire …

Ainsi astreinte à une certaine forme de fidélité à notre mère commune, s’est-elle consolée en dictant, le rythme des marées, le premier cri de nos enfants, nos insomnies, la légende du loup-garou ? …

Ainsi Héraclite dit l’obscur, avant Einstein, le contre intuitif, n’avait que faire déjà de notre logique qui, à ses yeux, dissimule mal notre folie, et dès lors, nous incite à nous pendre entre nous, et à laisser la cité aux enfants impubères …

Ce leg apparemment foutraque, dont les conditions et modalités sont pourtant bien précises, n’a, curieusement, pas été analysé plus que cela ! …

Voulait-il dire que le désir sexuel, lorsqu’il apparaît chez le petit de l’Homme, consacre le début de la fin ?

En avait-il après cet Eros apparu sur le tard ? … en prisait-il pour Déméter ?

Si la Vie nous prête vie, nous reviendrons sur ce message sublime caché dans le mythe du rapt de Perséphone …

Un peu plus tard, à l’échelle de l’évolution, qui n’est pas à quelques siècles près, Plutarque, qui a toute autorité pour cela, tente d’expliciter la vision du solitaire d’Ephese, de cet homme en rupture de ban, en marge d’une société que, par sa naissance, il aurait pu dominer, en un mot, de l’Obscur, que chacun, dès l’antiquité, tenta de s’approprier sous forme d’un aphorisme : « tout s’écoule ! »

Voilà donc ce qu’écrit ce passeur entre deux mondes qui s’ignorent - pour l’essentiel, et quoi qu’on en dise ! - au premier siècle de notre ère, sans se soucier des futures prérogatives des pionniers de la mécanique quantique : « dans ce monde soumis à la loi du devenir, où tout s’enfuit, où tout s’écoule, la pierre nous semble être un univers clos sur lui-même, insensible à l’inéluctable désordre, alors qu’en elle, tout n’est qu’agitation ; des changements vifs et rapides en dispersent les éléments, puis les réunissent à nouveau, ou, pour être plus exact, c’est simultanément qu’il se constitue et se défait, apparaît et disparaît …»

Plutarque, du E à Delphes.

Mais revenons à Epiménide qui, quand il revint à lui, constata que cinquante-sept années s’étaient écoulées, son propre frère ayant vieilli d’autant …

Le passage obligé pour accéder à ce passé dont nous avons bien tort de nous passer, c’est Diogène Laërce !

Maillon essentiel dont nous savons si peu de choses, mais qui consigna le peu que nous savons de cette époque .

Voyons ce qu’il dit de ce mystère, quelque huit siècles plus tard :

« Épiménide, un jour que son père l'avait envoyé aux champs pour rechercher une brebis, s'endormit dans une grotte, et y resta en sommeil durant cinquante-sept années. Et, s'étant réveillé après ce temps, il se remit à la recherche de la brebis, croyant avoir dormi juste un peu. Une fois qu'il fut rentré dans sa maison, il y trouva des gens qui lui demandèrent qui il était, jusqu'à ce qu'il eût retrouvé son frère cadet, devenu entre-temps un vieillard, dont il apprit toute la vérité. Une fois reconnu, se répandit chez les Grecs l'opinion qu'il était très cher aux dieux. »

 

Ne sachant plus ce que légende veut dire, la modernité ne s’est pas attardée à ce drôle de récit ! …

 

Si, d’humeur facétieuse, j’osais une boutade, je dirais, qu’empressée de s’autocontempler, de s’autocélébrer, elle avait d’autres chats à fouetter, comme celui de Shrödinger, ce miroir impudique, dont on ne sait pas s’il est mort ou vivant ! …


Pour peu que l’on sache qu’elle ne désigne pas nécessairement ce qui se passe dans le monde sensible, la légende peut dire beaucoup de ce monde dont le nôtre n’est qu’un symptôme…

 

Mais ici, il nous faut bien revenir à cet « avant » qui ne signale pas la destitution de l’un, le rétablissement de l’autre, mais l’étrange beauté, l’étrange nécessité de l’évolution, car ce que celui-ci a vu, cet autre l’a conçu ! …

 

Selon vous, lequel des deux est libre ?

 

Ainsi, la relativité restreinte, cette expérience de pensée qui nécessite d’importants moyens matériels, une hypothétique fusée qui s’éloigne à la vitesse de la lumière et dilate le temps, le chaman Epiménide l’a réalisée, dans les deux sens du terme, en sortant de son corps …

 

Était-ce « naturel » comme ce fut le cas bien plus tard pour cet attardé de l’évolution psychique qu’était Plotin, ou déjà le résultat d’une initiation ?

 

La grotte, la sortie du temps, le sommeil cataleptique, semblent indiquer qu’il s’agit déjà d’une initiation …

  

Toujours est-il que les grecs, au moins certains d’entre eux, avaient hâte de sortir de ce corps soumis au devenir, à la destruction, à l'oubli, au temps linéaire qui, à la différence du temps cyclique d’Homère, ne remplace pas ce qu’il détruit, après qu’ils aient découvert, quelque part entre Homère et Socrate, tout à la fois leur âme, et sa soumission aux messages des sens …

 

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