Dès lors que certains grecs s’estimèrent supérieurs aux dieux du peuple ! …

Ici, il va être question d’une période d’environ mille ans, de Pythagore à saint-Augustin, pour faire « court », où certains hommes, dans le plus grand secret, se sont progressivement, mais radicalement, désolidarisés de l’image que le peuple se faisait de ses dieux.

Pour qui aime l’histoire de l’Homme, non pas cette falsification opérée par les matérialistes, très provisoirement qualifiés pour en parler, mais celle plus subtile de l’évolution psychique, cette période n’est pas anodine, car en son centre, tout bascule !

Non loin de Jérusalem, s’est alors joué le mystère du Golgotha, dans un quasi anonymat, hors du regard des hommes, de ce qu’ils pouvaient comprendre, sans même que soient présents - le détail à toute son importance - ses quelques disciples, incapables à cet instant, d’en saisir l’immense portée …

Resté mystérieux, à ce jour encore, malgré les spéculations de ceux qui s’en firent une spécialité, renouant avec cette très ancienne modalité du pouvoir, malgré le bavardage multiséculaire des théologiens, mal assuré, et qui aimaient se rassembler en conciles, afin, au terme d’une indigne et régressive catharsis, de condamner unanimement ceux qui ne pensaient pas comme eux, ces nouveaux boucs émissaires … *    

Mais, revenons-en au début de cette période !

Un monde a disparu, les muses se sont tues, et les visions inspirées d’Homère et d’Hésiode ne sont plus que des mots merveilleusement assemblés, des textes, qui permettent aux petits grecs bien nés de rejoindre, le temps venu, les conversations convenues de ceux qui dorment sur leurs lauriers, malgré le brouhaha concédé à l’Agora …

Exit les héros si chers à Homère, qui ne survivaient dans la mémoire des vivants, comme dans l’Hadès, que par leur gloire acquise sur le champ de bataille, que ce soit à Troie, en Colchide, devant les dragons, les monstres ou les dieux ...

Voici venu le temps de l’individu, sans histoires, mais qui fera l’Histoire, sans aèdes et sans devins pour chanter son épopée qui, quoi qu’on en pense plus de deux mille ans plus tard, vient tout juste de démarrer …

Voici l’Homme nu, à tout le moins en voie de dénuement, progressivement déshabillé de ses passions extrêmes, par des dieux fatigués de leurs dissensions internes, de ces combats par procuration, car, si à Troie, beaucoup d’hommes sont morts, ils emportèrent avec eux à jamais la relation étroite qu’ils entretenaient avec les dieux.

Pas plus que les héros survivants, Ulysse n’est encore le même au retour ; n’a-t-il pas hâte de retrouver Pénélope, son âme, pour qui sait le véritable discours des mythes ? …

A cet instant de notre évolution, l’individu remplace le héros !

Nu, dépourvu de toute armée, mais accompagné de cette âme qui guerroie pour être enfin reconnue, il réclame pour elle un autre sort, une immortalité qui ne devrait rien à la gloire, un salut qui devrait tout à un autre combat, à celui qui l’oppose désormais à ses cinq sens …  

Beaucoup de choses, à l’initiative de quelques-uns, se sont jouées dans l’ombre à ce moment de notre histoire, dont nous ne soupçonnons pas un seul instant l’influence déterminante qu’elles eurent sur nos actuelles représentations. **

C’est, qu’entre cette période et nous, un fossé abyssal s’est élargi, par la conjugaison de forces antagonistes mais paradoxalement complémentaires : tout d’abord le mystère absolu dont s’entourèrent ces hommes de l’ombre, sous peine de mort pour celui qui aurait parlé, et que se gardèrent bien d’éclaircir les premiers théologiens chrétiens … ***

N’avaient-ils pas, en effet, déjà fort à faire avec les habitudes, les ambitions exclusives de ceux qui voulaient sauver leur âme à la manière antique, mais qui, intrigués par ce qu’il était dit du galiléen, les avaient rejoints ?

Sans compter tous les autres qui ne voulaient pas entendre parler de cet initié de Palestine, l’était-il vraiment d’ailleurs ? … qui avait, ô sacrilège, mis sur la place publique ce qu’ils s’acharnaient à taire depuis des siècles, cette expérience de mort et de résurrection, encore que, selon les témoignages, il n’était pas revenu ici-bas en chair et en os, dans un corps provisoirement laissé au soin des hiérophantes, en état de catalepsie, mais s’était montré à certains, sous tel ou tel aspect, selon leur degré d’avancement spirituel … ****

Qui plus est, entre cette époque ensevelie sous notre morgue, nos pauvres jugements, notre ignorance crasse, et nos représentations balbutiantes, fut érigé l’écran des « modernes », oui, des modernes, vous savez bien, ceux qui vous disent ce qu’il convient de penser, si peu sûrs d’eux, si peureux, contrairement aux apparences, qu’ils n’existent que par le mépris qu’ils portent à ceux qui nous précédèrent à la surface de Gaïa ! …

Les exemples de ce mépris sont innombrables, mais l’un d’entre nous, l’un des plus célèbres, à juste titre, très en avance sur ses contemporains, comme d’ailleurs, sur ceux qui suivirent … prit un retard considérable en raison de son mépris non formulé, à tout le moins non exhibé, de ce qui découlait pourtant de ses propres équations : cet univers en expansion, infini, qui n’accepte plus d’être réduit à son statut d’objet et nous échappe, contredit toute raison, tout bon sens, bref, consacre le retour  d’une antique superstition dont la science nous avait libérée …

De quoi s’agit-il ? De qui s’agit-il ?

D’un secret de famille, humaine de son nom, que les derniers de la lignée, les « modernes », ont relégué aux oubliettes de l’histoire, dans ce cachot scellé par leur police criminelle, fille de l’Inquisition, cachot, disais-je, étiqueté « superstition », afin que le badaud, l’égaré, le curieux, l’insatisfait, le refuznik de l’absurde, passe au plus vite son chemin, et revienne sur la voie royale de la Science qui dit le vrai !

Celui qui, comme la planète Mars, tour à tour, avançait plus vite que les autres, puis, inexplicablement, rétrogradait, c’est Einstein, le fulgurant, le précurseur, qui recule soudain devant le mystère de l’action à distance, de ces forces qui se passent de tout support, incrédule, soudain défait, au bord de l’abyssale énigme de la non-localité …

La non-localité, c’était l’affaire de Pythagore, non qu’il l’ait apprivoisée par quelque équation, mais parce que sa personnalité du moment, il le savait, il l’avait vu en esprit, n’était qu’un point dans l’espace et dans le temps où son daemon avait choisi une fois de plus, une fois encore, de s’exprimer …

Ce qui s’est joué à ce moment de notre histoire en Grèce, ce fut le cas ailleurs, mais plus discrètement, car moins documenté, fut ressenti par certains comme une déchirure :  l’Homme qui jusqu’alors ne faisait qu’un avec la nature, se réveille « comme qui dirait » en morceaux ! …

En découvrant qu’il a une âme, ce que ne savait pas encore Achille, il découvre que la matière dont elle s’est revêtue, son corps disons-nous désormais, est fille de la nature ! …

Et, que si cette dernière a fait son œuvre, il reste au myste à réveiller cet éternel qui sommeille en lui.

Que savons-nous encore de ce dieu ensorcelé, qui se manifeste de temps à autre, discrètement, respectueux sans doute de notre sommeil réparateur et qui s'attarde, dans les dires oubliés de Platon et de Hegel ! …

Les modernes, à qui rien n’échappe, sauf l’essentiel, ont bien identifié un changement de comportement; ils ont parlé, à juste titre, de « l’Homme dénaturé » …

Certes, ils ont bien vu le deux, mais pas le trois !

*

*         *

C’est une belle âme ! … il a l’âme d’un chef ! …

Cette partie de nous-mêmes dont nous ne savons rien, ou pas grand-chose, et dont, à défaut, nous cherchons sa manifestation chez l’autre, pour parler, sans trop le dire, avec pudeur, de la nôtre, démontre que le « Connais-toi toi-même ! » apollinien, inscrit au fronton du temple de Delphes est resté lettre morte pour beaucoup d’entre nous, nonobstant le squat de la psychanalyse qui confondit, à prix d’argent, la part d’éternité de chacun, et son expression momentanée…

 

 

*

*        *

 

Stupeur et tremblements !

Voici le peu que l’on sait sur ces expériences de mort dont parle Platon dans le Phédon, ou, quelques siècles plus tard, Plutarque, qui, apparemment, ne la risquait plus …

En vue de cette ultime épreuve, les candidats à l’initiation changeaient de vie, refusant les uns après les autres, ses quelques plaisirs, refusant l’innocence de ceux qui y dorment, s’entraînant à maitriser leur respiration, à la méditation, à l’apprentissage de savoirs inconnus, espérant éveiller un jour, au terme des interminables purifications, des mortifications, leur daemon, cette part d’éternité dont leur personnalité présente n’était qu’une manifestation.

Aux autres était promis le bourbier, selon la terrible prédiction de Platon, qui n’avait, il est vrai, guère de sympathie pour le vulgaire, qu’il se répande, dans les deux sens du terme, sur l’agora, ou disparaisse, tel une ombre, dans le monde suprasensible où l’égalité n’était pas de mise.

A sa décharge, quelques siècles plus tôt, Homère avait vu, je dis bien vu, et non pas organisé, la rencontre aux enfers entre Ulysse de retour et Achille, mort mais désormais célèbre, qui aurait, pour sa part, préféré « être mendiant à la lumière du jour plutôt que roi au royaume des ombres » …

Mutatis mutandis, l’immortalité du héros était-elle alors en voie de démonétisation ?

Les initiations étaient dangereuses, engageaient tout l’être, détruisaient tout ce qui donne quelque goût à cette vie, la rend passablement acceptable, et ceux qui finalement, hors de leur corps maintenu en vie par les hiérophantes, contactaient enfin leur daemon, ne trouvaient pas de mots à leur retour pour décrire cette expérience.

Il fallut pour cela attendre Plotin, dont le « je » ne fut pas dissous à l’approche de l’Un, ainsi, qu'un peu plus tard, les mystiques de la Perse islamique qui ne s'étaient pas "évanouis" lors de leurs incursions dans la cité céleste ! …****

Le secret autour de ces pratiques fut hermétiquement préservé pendant des siècles, pour cette raison rétrospectivement facile à comprendre, que le peuple n’aurait pas supporté que l’on imagine des dieux supérieurs à ceux qu’il honorait, mais, plus encore, que ceux qui auraient été tentés par l’aventure, risquaient de perdre le goût de la vie, sans réussir pour autant à réveiller leur part d’éternité.

Une autre stupeur attendait les initiés au tournant des âges !

C’est un des leurs, issu des mystères d’Ephèse, qui leur annonça la bonne nouvelle : le Verbe, le Logos, s’était fait chair !

Il aurait pu ajouter, mais la provocation se suffisait à elle-même : non pas pour la divinisation de tel ou tel, mais pour le salut de tous, comme ils sont, qu’ils soient, ne soient plus, ou pas encore ! …

Ici, il nous faut dire un mot des mystères d’Ephèse qui précèdent cette irruption sur la scène psychique, de l’individu conscient de lui-même, un mot de cette époque où les anciens grecs trouvaient encore leur salut, à l’exemple d’Héraclite, non pas dans la sauvegarde de celle qu’ils n’avaient pas encore découverte, de cette âme inquiète aussitôt que mise à jour, mais dans l’étude et la connaissance de l’étroite relation entre le microcosme et le macrocosme, entre le mystère de la parole humaine et celui du Verbe cosmique.*****

Aucun physicien ne me contredira sur ce point : pour que le son de la parole humaine se propage, il faut de l’air !

Sans air, la lumière se propage, mais pas le son ! …

Par prudence, a minima, il me laissera la responsabilité de la suite : pour que le Verbe cosmique, la pensée cosmique, le Logos, puissent se faire entendre à cet instant de l’évolution psychique de l’Homme, nouvellement enfermé en lui-même, il lui fallait un corps de chair, un corps préparé de longue date, ce fut un galiléen nommé Jésus !

 

 

* La liste est longue, un cas cependant est emblématique du danger que représentait une antique doctrine pour les vilaines habitudes des manipulateurs, des culpabilisateurs et autres inquisiteurs. Cette vision c’est l’apocatastase chère à Origène, condamné par le deuxième concile de Constantinople aux ordres du manipulateur en chef, de l’empereur Justinien.

** Le monde est ma représentation ! c’est à tout le moins la représentation que se faisait Schopenhauer de notre relation au monde, mais, quitte à remettre chaque chose à sa place, il eut été plus juste de citer ses sources, en l’occurrence Protagoras ?

Pour être complet, nouvellement arrivé en Allemagne sur le marché des idées, le refus oriental de ce monde d’illusion, d’ignorance et de douleur, vint à point nommé pour diluer la sienne, incandescente, dont il conçu quelque rancœur à l’égard de ce monde si mal fait, transmise à son élève, idole des jeunes hommes sanglés en Hugo Boss qui décidèrent de ce pas, d’y remédier …   

*** Mis à part saint-Augustin, dans ses confessions, où il reste toutefois très général sur ce christianisme souterrain qui aurait précédé le mystère du Golgotha de plusieurs siècles …

Le meilleur exemple de ces hommes de l’ombre est Pythagore, car, s’il est connu pour son théorème, on ne sait presque rien de son activité spirituelle au sein de la secte qu’il fonda, en témoigne son influence multiséculaire sur ses disciples affichés, comme sur des phares de la pensée universelle comme le furent Platon ou Plotin …

**** pour tenter de comprendre ce mystère,  je vous recommande vivement la fréquentation conceptuelle du monde imaginal, qui n’a rien d’imaginaire, d’Henri Corbin dont les mystiques iraniens revinrent avec des avis pour le moins contrastés. A fréquenter également, Christian Jambet, son élève, notamment pour ce qui concerne les incursions des mystiques iraniens du moyen âge dans la cité céleste …

***** Il serait trop long de décrire ici les exercices et l’enseignement dispensé aux mystes à Ephèse, mais si le cœur vous en dit, je dis bien le cœur, plus fiable en ces instants que notre intellect,  je vous encourage à découvrir les 14 conférences données à ce sujet par Rudolph Steiner en 1923, regroupées sous le titre : « Sur le chemin des secrets de l’univers. Les centres initiatiques. »

 


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