Les œillères de la Raison !

Après Saïgon, Téhéran et Kaboul, il semble bien que le « modèle » occidental soit durablement et violemment contesté, ici et là, hier et désormais !

Les violents rejets se suivent et se ressemblent, provenant pourtant de diverses représentations du monde, qui ont en commun de ne pas accepter celle de l’Occident …

Devrons-nous, toute honte bue, nous en faire une raison ? …

Certes, si l’expansion territoriale n’est plus au goût du jour, ni de l’opinion, ni surtout, des autochtones, la sanctuarisation des terres occidentales a, quant à elle, de beaux jours devant elle, tant la technologie, petite fille de la rationalité par sa mère la pensée scientifique, est garante de jours tranquilles, sinon heureux…

L’effondrement, en effet, viendra de l’intérieur !

En réalité, le processus est en route depuis près d’un siècle.

La Raison, socle de l’occident, commence depuis lors à se fissurer, soumise à des forces obscures, inconnues jusqu’alors, qu’elle a elle-même libérées …*

Ce qui apparaît de plus en plus nettement, c’est que l’univers s’est depuis toujours passé de notre entendement pour se déployer, mais, si nous en avions un instant eu l’illusion, il nous rappelle sans ménagement par cette partie de lui-même que nous appelons le monde quantique, que notre intelligence apparue sur le tard, pour être remarquable, n’a pas changé la donne.

De la blessure ontologique originelle à celles narcissiques qui se succèdent depuis cinq siècles, il faut bien constater que nous n’avons point trop vacillé, mais, que fera l’occident de ce sol qui se dérobe sous ses pieds ?

Fera-t-il le saut qualitatif, du "ou" logique, aristotélicien, plus de deux fois millénaire, au "et" quantique, préfigurant une forme de retour, conscient cette fois-ci, au monde spirituel, cette éternité, cette abolition de l’espace-temps qui installe le pouvoir absolu de la relativité, où, ce qui est juste peut nous paraître absurde, où deux contradictions restent pour autant des vérités …**

Raison, rationalité, cet ADN des exilés, c’est ainsi que les penseurs orientaux parlent de nous, inutile d’en refaire ici l’histoire, d’autres l’ont fait mieux que moi qui y ont consacré leur vie.

Chacun, toutefois et comme d’habitude, à partir de son point de vue !

Les marxistes, fidèles à leur réflexe, ont paradoxalement socialisé ce qui était au départ une affaire personnelle, l’émergence de ce mutant : l’individu conscient de lui-même …  Paradoxe pour paradoxe, beaucoup de philosophes athées y ont vu un « miracle », incohérence ou manque de vocabulaire ? … quand d’autres, plus discrets, ont observé avec émerveillement, ou répulsion, cette nouvelle relation au monde, abstraite, froide, conceptuelle, qui se dégage lentement de la si mal nommée « pensée mythique » …***

Tous ont au moins en commun de faire remonter cette apparition à la Grèce antique.

Pour ma part, comme eux, je reste en Grèce, mais, les laissant jouer chacun sa partition sur le théâtre antique, je me suis attaché à l’archaïque où le mythique battait son plein …

Alors, n’en déplaise à l’entre soi de ces cacophoniques, il me semble bien que le premier raisonneur, nous ne le trouvons pas chez les présocratiques, ce n’est pas Socrate non plus, ni Platon, ni même Aristote, nous ne le trouvons pas sur l’agora, dans une quelconque école antique, sur une quelconque estrade, réfugié dans un tonneau ou bien encore dans une grotte, près d’un temple, non, il se trouve là où personne jamais n’a pensé aller le chercher, c’est dans le mythe qu’il se dissimulait depuis tout ce temps, et son nom est Œdipe ! …

A un détour du mythe, Œdipe rencontre la Sphinge !

Celle-ci lui pose l’énigme suivante : qu’est-ce qui marche tout d’abord à quatre pattes, puis sur deux, pour finir sur trois ?

Premier homme à résoudre cette énigme, et accessoirement à sauver sa peau, cette description l’emmène d’abord vers des analogies : Certains singes, l’ours, le petit suricate, mais qui ne conviennent pas au troisième terme de la définition, alors, puisque pour catégoriser, il faut éliminer, la troisième patte, incongrue, artificielle, outil par lointaine destination, l’aide pour l’heure à écarter toute autre hypothèse que … alors, il répond : c’est l’Homme !

Il sauve sa peau, certes, mais pas son âme, car, pour en revenir au contexte du mythe qui sait déjà la relation de cause à effet, il vient de tuer le Père, acte fondateur, psychique, micro et macrocosmique, qui n’a rien à voir avec cette misérable affaire de transgression sexuelle intra familiale qui rendit son auteur riche, et ses admirateurs, pour longtemps exemptés de recherche …

Cette réponse d’Œdipe résume le peu qu’il sait de l’Homme, préfigurant le drame de notre actuelle ignorance !

Que peut-on en dire ?

Comme nous, il ne voit l’homme que de l’extérieur, ne sait rien, ni de son intimité, ni de son avant, ni de son après …

Mais pour en revenir à sa profonde ignorance, comme nous, il ne sait rien de son destin, au moins consciemment, car en faisant tout pour l’éviter, il va l’attirer …

Comme nous il ne se connait donc pas lui-même, comme nous en serons sommés par Apollon, en tout cas pas au point de savoir que ce destin, c’est en réalité cet autre lui-même, son infraconscient, dirions-nous aujourd’hui, qui en a décidé, sans consulter cette personne qu’il était appelé à devenir lorsqu’il se déplacerait à la surface de Gaïa …    

Œdipe veut dire « pieds enflés », c’est-à-dire celui qui a écrasé la tête du serpent, qui s’est donc rebellé****, quoi que puisse en dire la dernière version du mythe qui signale ainsi qu’elle ne sait déjà plus rien du passé, ou, par le symbole de cette lanière souple dont on lui transperce les chevilles, propose un accès plus facile, plus matériel, au mystère de l’évolution psychique.

Des pieds enflés du père des parricides à l’ego boursoufflé de certains de nos experts, il n’y avait qu’un pas ! …

Je vais donner ici trois exemples du docte crétinisme de ceux qui de nos jours sont censés détenir le savoir et que par respect de leurs proches, je ne nommerai pas...

Premier arrêt sur image : Homère, avant de commencer sa transe rythmique que nous nommons par défaut épopée, en appelle aux muses : « Mais, c’est une convention littéraire ! » répond le fat derrière le micro servile …

Second arrêt sur image : Pourquoi Krishna est-il toujours représenté en bleu sombre ? : « Mais, c’est une convention esthétique ! » répond en écho cette autre, qui n’a pas vu la couleur du jour depuis que l’entre soi parisien assombrit les consciences …

Enfin, comment, dites-moi, se faire une opinion à partir des évangiles ? … Ne se contredisent-ils pas les uns, les autres ? … Comment accepter du haut de notre raison certains passages qui la défie, comme aucun n’oserait désormais le faire, sans risquer les foudres des gardiens de cette révolution de la pensée ?

*

*        *

 

Que savent-ils d’Homère ces adeptes du mot fourre-tout qui cache leur incompétence ?

Il fut une époque où l’on dissimulait son incompréhension de l’hypercomplexité du réel sous le mot « complexe », complexe de ceci, complexe de cela ….

Nos pédants, cités plus haut, ont décidé de mettre la poussière sous le tapis du mot « convention » …

N’entrons pas plus avant dans des sujets qu’aborde régulièrement La Porte des Lions, mais posons-leur quelques questions, qu’apparemment ils ne se posent pas, espérant, souvent à juste titre, que cela ne se verra pas :

Que savez-vous de la signification de la cécité légendaire de cet immense poète ?

Que savez-vous de l’entrainement ascétique de ces aèdes dans l’obscurité totale ?

Que signale la présence d’un aveugle dans les mythes ou dans les épopées, en orient comme en occident ?

Que savez-vous de la mémoire rythmique, cette époque transitoire de la mémoire des hommes ?

Que veut dire pour vous : « voir en esprit ! » ?

Que veut dire pour vous : « se rendre présent au passé » ? selon la très belle expression de Jean-Pierre Vernant …

*

*        *

 

L’incarnation de l’entité spirituelle que les hindous nommèrent Krishna, « bleu sombre » en sanskrit, est ainsi représentée en hommage à la descente de l’Esprit dans la matière.

Il faut ici dire deux mots d’une très ancienne science spirituelle qui a pour nom Sankhya, et qui organisa les visions du monde suprasensible, encore actives à cette époque, au moyen de la raison naissante.

Ces visions se sont portées sur le chemin des âmes !

Au départ, si l’on peut dire, il y a la mer spirituelle, puis se forment à sa surface de petites rides qui deviennent rapidement des vagues dont se détachent peu à peu des gouttelettes, ce sont les âmes qui entament leur procession dans les formes, non matérielles en premier lieu, puis matérielles, donnant le branle aux phénomènes, dont le plus complexe semble être l’Homme.

Ce premier mouvement obéit donc au principe de différenciation.

Cette science ne dit pas ce qu’est l’âme mais inspecte ses différentes relations avec ses différentes formes.

C’est ce que l’on appelle les trois gunas : quand l’esprit domine sa forme, il s’agit de l’état de Sattva ou de lumière pour reprendre un terme du monde sensible, quand la relation est équilibrée, il s’agit de l’état de rajas, quand la forme ou la matière domine, il s’agit de l’état de tamas ou d’obscurité.

Ce second mouvement ou principe d’individuation, va de pair avec la condensation.

Cette lecture du réel s’applique à tous les phénomènes : individus, comportements, pensées, époques, couleurs …

La Bhagavad-Gita annonce la fin prochaine de la période sattva et le début de l’époque rajas …

D’une manière générale, pour prendre à nouveau des images du monde sensible, le rapport s’établit  entre la lumière et l’obscurité : dans l’orange l’esprit domine, nos amis bouddhistes doivent en savoir quelque chose ; dans le violet, dans le bleu sombre, la forme, la matière domine …

A ce titre, un jour viendra, je l’espère où un chercheur éclairé pourra nous dire pourquoi les anciens grecs ne voyaient pas le ciel ni la mer en bleu, "singularité "avérée par les philologues qui se sont penchés sur ce mystère …

Pour conclure, quand, derrière Copernic, Newton, Darwin, les hommes pensaient avoir tout compris, ils étaient en état de Sattva par rapport au monde des phénomènes, il n’y avait donc plus place pour l’Esprit, car, une lumière tue les autres …

Le soleil, au point du jour, n’éteint-il pas les étoiles, et pourtant elles sont là !

 

*

*        *

 

Pour beaucoup d’européens du siècle dernier, la bonne nouvelle, c’est que l’on entende plus parler des évangiles !

Le mot est cependant resté dans les mémoires, servant souvent à dévaloriser un propos, il est vrai.

Serait-ce là sa manière de ne pas disparaître ? …

Ainsi, ne dit-on pas du péremptoire de service, du bavard des préaux : « avec lui, méfie-toi, c’est parole d’évangile ! … »

Bien entendu, les positivistes auto-proclamés, les libres penseurs sous le regard des autres, les bouffeurs de curé (plus charognards, il est vrai, que fins gourmets ! …), tous enfants de ce cosmos qui nous rapetissait toujours plus et d’une sélection naturelle qui ne nous grandissait pas pour autant … tous donc ont martelé, à qui mieux mieux, les quelques reliefs du festin des imposteurs …

Depuis que la Raison perd de sa superbe dans les représentations de quelques chercheurs conséquents, à tout le moins qu’elle admet son incapacité à embrasser à elle seule le mystère du monde, il n’est pas interdit que nous commencions à comprendre cette parole d’évangile qui n’affirme rien qu’elle n’ait su, bien avant que l’évènement eut lieu ! …

Vous avez bien lu !

Mais revenons d’abord à l’opinion de ceux qui ont le courage de lire ces textes si contraires à ce que nous estimons être la vérité.

De l’avis des mieux disposés, tout ou presque y est déroutant, contradictoire, fantasmatique...

Bref, les enfants des enfants de Copernic, Newton et Darwin, à l’occasion d’autres lectures, ont voté massivement avec les pieds qu’ils ne remirent plus à l’église...

Le jésuite du Vatican, lui-même, a démissionné, qui préfère installer son pouvoir sur des âmes non entièrement contaminées par le raisonnement, plutôt que de combattre dans le dur, de combattre l’opinion de ceux qui sont complètement obscurcis par la raison …

Peut-on demander à cet "infaillible", non pas de faire preuve d’intelligence, nous l’en savons normalement doté, mais de sensibiliser les nouveaux infidèles à l’immense intelligence de ces textes dont l’humanité n’a pas fini de parler, après qu’ils furent confisqués, après qu’il en fut trop longtemps mal parlé, puis plus parlé du tout …

Expliquer les évangiles, c’est un job à plein temps, et les curés toujours plus clairsemés ont dû penser qu’il y avait plus urgent, qu’il fallait tenter de se faire accepter d’une opinion qui commençait à s’impatienter de leur indigence, à ne plus les prendre au sérieux …

Hélas, souvent de bonne volonté,  ils n’ont pas eu celle de se renouveler, d’annoncer la bonne nouvelle dans ce qu’elle a de totalement novateur!

Il est vrai que pendant près de quinze siècles, c’était plus cool, la lecture des évangiles était interdite aux croyants …

Quelle drôle de décision ! … quand bien même la plupart ne savaient ni lire ni écrire, on ne saura jamais de quel poids a pesé cette carence dans la confiscation d’un savoir qui eut pu être interprété différemment par quelques-uns de ces cinq pour cent de lisant-écrivant, près à risquer leur vie, libérés à tout le moins des imprécations des fanatiques de la croix, des accusateurs hystériques, juchés sur ce tribunal d’exception que les paysans accourus au son de la cloche, nommaient « La Chaire », et qu’ils avaient du mal à ne pas confondre avec « La chair », tant les tourments provenant de l’une semblaient alimenter l’autre …  

Pour recommencer à lire les évangiles, il me semble important de mettre au jour les raisons pour lesquelles on n’y comprend plus rien …

La première me semble être ce mélange inextricable d’anachronisme, de superbe et de lacunes abyssales qui nous caractérise.

Allons droit au but, contextualisons, remettons les choses en perspective : il ne s’agit pas de comptes rendus journalistiques, et pour cause.

A cette époque, il aurait pu par contre s’agir d’une enquête historique, mais ce n’est pas le cas, et là se trouve l’immense malentendu, la première cause de notre incompréhension.

Pour tenter de comprendre notre incompréhension, il nous faut savoir que nous n’avons plus la possibilité de nous rendre présents au passé, encore moins au futur, comme c’était encore le cas en Grèce archaïque, lorsque l’on sortait victorieux des terribles et longues épreuves des écoles d’aèdes ou de devins ; aussi sommes-nous dans l’impossibilité de comprendre que la date de conception de ce genre de récit n’a pas d’importance.

Seuls quelques physiciens s’intéressent désormais à la réversibilité du temps.

Tout cela va revenir, mais sur un autre plan, et l’évolution a tout son temps qui nous attend !…

L’incarnation d’une entité spirituelle comme le Bouddha ou le logos (le verbe, le Christ), obéit à des règles non écrites dans le monde sensible …

Il nous est difficile de comprendre cette vérité occulte, nous qui avons fait de l’axe irréversible du temps la seule représentation plausible …

C’est ainsi que des chercheurs allemands du XIXème siècle établirent, non sans raison(s), que les étapes de la vie de Gautama dit le Bouddha : « appelé à l’éveil », et celle de Jésus correspondaient, trait pour trait, jusqu’à l’illumination.

A cette étape, Bouddha quitte le cycle infernal des réincarnations, abandonne les hommes à leur triste sort en les invitant à faire de même, quand le Christ, par son incarnation en Jésus, sa passion, et sa résurrection sur un plan subtil, décide de rester auprès des hommes, jusqu’à ce que "ce monde passe", parole énigmatique de l'évangile de Marc, que nous pouvons comprendre depuis peu …

Qui pourrait prétendre épuiser le mystère des évangiles en quelques lignes ?

Mais avant de nous quitter, il faut que ceux qui ont des oreilles pour entendre sachent que ceux-ci passent constamment, et sans prévenir, d’un plan du monde sensible à un autre plan appartenant au monde suprasensible.

Deux exemples sont bien connus de ces sauts qualitatifs, l’un qui fit beaucoup rire ceux qui votèrent avec les pieds sans savoir que leur soi-disant raison les emportait loin de la vérité, et c’est la scène occulte de Jésus qui marche sur les eaux.

L’autre qui est central, et sans lequel le christianisme n’existerait plus dans son immense et étrange grandeur, c’est la scène de la Résurrection, et puisque l’Eglise a démissionné, je vous recommande vivement de faire le détour par Henri Corbin et son monde imaginal, qui n’a rien d’imaginaire, objectivé lors de sa longue fréquentation des platoniciens de Perse qui nous ont gardé ce que l’Eglise romaine avait rejeté, alors, et déjà accaparée par le siècle, par ce mélange pernicieux de dogmatisme et d’opportunisme.

 

 

*ne serait-ce pas la dernière version de la boîte de Pandore ! … Bonheur ou malheur ? ... répond l’écho oriental …

** ce « ou » logique d’Aristote, nous ne saurons jamais trop le remercier, pas parce qu’il nous a dévoilé la Vérité, mais parce qu’il a puissamment contribué à la structuration du Moi, condition sine qua non de notre liberté.              

*** le premier homme frontière qui exprime ce passage, cette métamorphose du psychisme humain, c’est Phérécyde de Syros, avec son serpent Ophionus qui s’insinue dans les phénomènes …

**** voir à ce sujet la communication du 12 août 2021 : « Je suis venu… ».

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