Le chemin des âmes !

Ainsi, l’âme, cette inconnue si familière, aurait à parcourir un chemin ?

Oh bien sûr, celui-ci n’a pas grand-chose à voir avec cet autre, qui, par monts et par vaux, nous mène d’un point à un autre, encore que ? …

Le souvenir de ce que nous dûmes endurer tout au long de notre vie, a enrichi ce mot d’un sens nouveau, d’images fugitives de ces épreuves où, tour à tour, nous nous illustrâmes ou dont nous sortîmes défaits, sans nul autre spectateur que nous-mêmes …

Bien qu’à son sujet, nous ne savons pas trop quoi dire, tout juste décider « qu’elle est belle ! » chez tel ou tel autre, on serait bien en peine de lui donner une date de naissance, ce qui revient à dire que, si elle a toujours existé, nous n’en avons conscience que depuis peu …

En Grèce, ce phénomène, cette émergence, sont désormais identifiés quelque part entre Homère et Aristote, à ce moment de notre évolution où certains d’entre nous prirent leurs distances avec les représentations venues d’orient, avec le temps cyclique, avec le même, avec la répétition, la stagnation, avec une âme diffuse, collective, tribale, une forme d’irresponsabilité ; prélude au surgissement de ce mutant que nous nommons individu …

Exit le héros, le possédé des dieux, aux abonnés absents les muses de jadis, voici qu’arrive le différent, le morcelé, incertain, porteur de doute, amateur de certitude, et de sa forme ultime, le salut, nouvellement habillé de lyrisme et de tragédie sous le regard des gradins attentifs ! …

Dans l’observation du vivant, on dit de certaines bifurcations qu’il s’agit d’un « reculer pour mieux sauter ! »

Pour ce qui concerne le psychisme de l’Homme, ce bond en avant, ce surgissement est né d’un retrait dont nous n’avons plus mémoire, ou, ce qui serait plus exact, dont nous ne voulons plus nous souvenir …*

Nous le savons désormais, ce séisme s’était produit en orient plusieurs siècles avant d’affecter la Grèce des mystères, et de ses enfants, les présocratiques, avec toutefois un résultat bien différent de ce qu’il adviendra au sein de celle qui était encore fille de l’orient ; ce fut un rejet, une réaction, pourrions-nous dire, quand l’occident lui préféra l’action.

En Inde ancienne, on voulut ne rien oublier !

La vision d’un monde spirituel désormais enfui de la conscience de l’Homme, inscrite dans les Véda, cette tradition orale multimillénaire, fut gravée sur le tard, avant qu’il ne soit trop tard, dans le marbre de l’écrit, et ce, afin que nul n’en ignore ! **

Ce qui resta longtemps un vœu pieux, au moins pour l’occident qui ne les découvrit qu’en ce XIXème siècle qui commençait, il est vrai, à manquer de souffle spirituel ! …

Ce drame cosmique et psychique que le mythe grec décrit comme la mise en pièces de Dionysos l’ancien par les titans, à l’instigation d’Héra*, passage de l’Un au multiple pour la nouvelle pensée conceptuelle ; ce drame cosmique, disais-je, l’orient en refuse les conséquences ! …

Un peu plus tard, ou pour le dire autrement, un peu plus près de nous, Krishna enseigne le Yoga à Arjuna, son élève élu, méthode artificielle certes, mais propre à retrouver cette proximité, à remettre le multiple à sa place, c’est-à-dire dans l’Un …

Quelques siècles plus tard, le Bouddha achève cette prise de distance avec le résultat de ce drame cosmique, et refuse, avant quelques occidentaux en rupture de ban, ce monde nouveau, ce monde de douleur et d’ignorance …

Courage fuyons ! … il est vrai que le yoga de Patanjali n’est pas celui des bobos, non, ce n’est pas une pratique sociale, un signe de distinction, ou alors avec soi-même, mais une véritable ascèse, une terrible épreuve, une confrontation avec la plus extrême solitude, une initiation qui laisse un certain nombre de ses adeptes sur le bord de la route …

L’occident a-t-il fait fausse route ?

En dehors des moutons désorientés, refusés par le Dalaï-Lama en personne, un certain nombre d’occidentaux furent, et sont toujours tentés, derrière Schopenhauer, par cette fuite en arrière proposée par le Bouddha ! …

A commencer, cela fut oublié, par ces grecs qui, par effet domino, firent passer dans les représentations des leurs, l’Hadès, l’enfer, du souterrain au plancher des vaches …

Et partant, le Léthé, l’oubli, le début de l’exil, de la mort à la naissance !

Pour ceux qui sont restés les pieds bien sur terre alors que sous eux le sol se dérobait, à cette part de l’humanité qui accepta le défi de la Raison, l’exil dans la matière, jusqu’à, c’était écrit, s’y sentir chez soi, ne plus se souvenir, il fallait une entité qui accepta le défi de la mort …

Les deux étant, d’une certaine manière, apparentées …

Nietzche, comme hier Empédocle, a réellement souffert de cette acceptation, orchestrée -selon son analyse- par Socrate; il a réellement grelotté au froid glacial envahissant de la logique, peut-être est-il mort de cette  nostalgie d’un monde où l’homme démesuré évoluait sans souci de son Moi, d’une vérité qui lui était donnée sans savoir qu'un jour, elle lui serait retirée …

Est-ce pour cela qu’il pourfendit ceux qui étaient nés de ce Moi surpuissant et voulaient en combattre les excès ?

Avait-il aperçu que les temps avaient changé, que l’esclave n’était plus celui d’un autre, mais conscient qu’un maître plus puissant gisait en lui-même ?

Que tendre l’autre joue était le signe du maître suprême, du maître de ce que, tout bien pesé, il n'était pas ?

Nietzsche fut-il l’esclave de la nostalgie de son daemon ?

 

  

 

 * plusieurs mythes grecs parlent à ceux qui ont des oreilles pour entendre de ce séisme psychique, c'est le sujet de "L’Exil oublié", de Pierre-Marie Baslé, sur Amazon.

 ** il est vrai que chez Platon encore on réserve l’important à la transmission orale …


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