La Liberté au risque de la vie !
Inévitablement, ces sept mots qui claquent comme un étendard au vent mauvais, font penser au cri de ralliement de ceux qui ne sauraient vivre plus longtemps sous le joug de lois dont ils n’ont pas décidé !
Pourtant, le moins que l’on puisse dire, c’est que cette
priorité ne va pas de soi !
Qui ne songerait en effet, confronté à une telle situation,
à sauver d’abord sa peau ?
Cette inversion dans l’ordre de nos priorités, cette mise à
pied de l’instinct, les sept frères Macchabées le payèrent de leur vie, qui
moururent, les uns après les autres, dans des conditions atroces, pour n’avoir su
renoncer à la liberté de respecter leurs lois ?
Ce paradoxe inextricable n’est-il pas bien dans l’esprit de
ce peuple qui se fit de l’esprit une spécialité ? …
Ce sacrifice, un homme ne l’endura point, mais le pensa, non
comme une fin en soi - si l’on peut dire ! … mais comme un moyen, comme
une expérience de pensée, comme la preuve de ce que nous excédons très
largement notre animalité, cette partie de nous-mêmes qui nous permet à tout le
moins de nous déplacer à la surface de la terre, comme, depuis peu, dans le
monde des idées.
Pour le dire autrement, ce que nous appelons par défaut « la
vie » !
Cet homme c’est Hegel, plus obscur encore que son maître
Héraclite, laissant ainsi le champ libre aux falsificateurs du XXème siècle, qui,
en raison d’arrière-pensées politiques ou psychanalytiques, socialisèrent son
allégorie du maitre et de l’esclave, d’ailleurs jamais formulée en ces termes, pour
condamner, au travers de cette relation asymétrique, la perversité du pouvoir, les
méandres parfois glauques de l’intersubjectif, l’absence de morale du maître,
et tutti quanti …
Leur notoriété disparaîtra en même temps que leur supercherie,
quand restera pour les siècles des siècles la question qui occupait véritablement
l’âme de ce phénomène de l’esprit : comment devenir maître de soi-même, au
point, s’il le fallait, de renoncer à sa propre vie ?…*
Mais notre but n’est pas ici de nous attarder plus que
nécessaire à ces arrivistes, avides de notoriété, d’idées nouvelles, ou du
moins de l’idée qu’ils s’en faisaient, de dénoncer ce XXème siècle matérialiste,
fourvoyé dans les ratiocinations, alors que la physique quantique les alertait
déjà sur ce que notre intelligence ajoute au réel, mais de déplacer ce cri, le
plus humain peut-être entre tous, dans un autre référentiel …
Ce référentiel, quand bien même pour certains en Occident,
il n’est plus une référence, c’est le texte révélé de la Genèse …
En effet, ayant choisi d’avoir accès au choix, donc à la
conscience, à la distinction entre le bien et le mal, Adam, celui qui est fait
de terre, bref, l’Homme terrestre**, est chassé des régions spirituelles où, ce
que ne dit pas la Genèse, ce que nous appelons « la vie », à la
différence de la nôtre, ne porte pas la mort en elle …
Sur ce point, il apparaît nécessaire de s’expliquer car,
tout bien considéré, nos représentations sont devenues étranges, vraiment très
étranges ! …
Ainsi, contraints et forcés, souvent, pas toujours, mais
c’est un fait, nous continuons à faire la guerre mais ne tolérons plus son habituel
cortège de morts …
C’est un peu comme si, inconsciemment, nous voulions
décontaminer la vie de son contraire, de ce virus dont aucun vaccin n’aura
raison jamais, mais qui, in fine, aura raison de nous.
Alors, bien loin du rêve transhumaniste, il s’agirait de
revenir sur terre ; non seulement la vie porte la mort en elle, mais pour assurer
sa courte existence, elle consomme de la mort à un point que nous commençons
seulement à imaginer …
Ne parlons pas de notre
nourriture, la prise de conscience est en cours; de l’air que nous expirons, devenu létal,
et qui oblige les instituteurs à aérer les classes désertées par les petits
tueurs en herbe, tout cela nous le savons plus ou moins; mais plus encore, qui
sait que notre œil tue la lumière ?
Sans ce meurtre continuel, et nous
pourrions étendre la scène de crime à nos perceptions, pas de vie, pas de vue, pas de conscience !
Ne parlons pas de ces serial
killers qui ne serons jamais jugés pour avoir « tué le temps », à longueur de temps ... pourtant le déroulement du procès eut été diablement intéressant, notamment les
incontournables arguments de la défense, au moins si l’on considère, après nos
maîtres grecs, que le temps, serviteur sournois de la mort et de l’oubli, est
notre pire ennemi ! … ***
A ma connaissance, Hegel n’a pas songé à examiner la résonnance de ce choix dans les sphères dont, il est vrai, la Genèse ne fait pas explicitement mention ...
C’est sans doute qu’elle n’était déjà plus en odeur de
sainteté ! …
Le risque de la mort, nous l’avons déjà encouru en d'autres temps, sous d’autres
cieux, et ce risque avait pour nom : liberté !
* Héraclite n’accordait pas à la vie une priorité absolue :
« Dionysos et Hadès sont le même ! », en d’autres termes, la vie
se nourrit de mort, et la mort, de vie ; mais plus près de nous, je vous
recommande vivement un sherpa expérimenté pour tenter l’ascension d’une des faces de Hegel :
Olivier Tinland - Dialectique du
maître et de l’esclave, France Culture, 01/05/2018. Merci à lui d'avoir exploré les causes de ce malentendu. J'ajouterais pour ma part que la spéculation hégélienne a emporté l'individu, sa singularité, de manière anachronique, dans une période où il attendait encore son tour sous l'horizon de l'Histoire, le premier échelon de la conscience étant alors la tribu.
**qui a jamais questionné la nécessité de cette précision, qui
a jamais vu qu’elle implique de manière subliminale l’Homme cosmique ? A plusieurs reprises, la
mythologie grecque qui s’intéresse également à notre véritable nature parle,
non pas d’Adam, l’homme fait de terre, mais des « semés » …
***chez ces grecs emprunts d’orphisme, et derrière leur
maître Pythagore, l’oubli n’est pas celui d’une mémoire défaillante, mais l’oubli
radical de ce que nous étions avant que de naître … le Léthé, le fleuve ou la source de l’oubli, s’est déplacé dans les représentations, de la
mort, non pas à la naissance, mais à la conception …