L' Atlantide ?

Au pays des sons parfumés ! …

Le jeu de lumières avait fait son œuvre et, dès que j’eus l’attention de la salle, c’est par ces mots que j'avais commencé mon exposé, lorsque je fus brutalement interrompu :

  •        Excusez-moi, Monsieur, mais vous avez dû vous tromper d’introduction ! …
  •         Pourquoi ?
  •         Cela me semble évident, nous sommes là pour savoir ce qu’il en est vraiment de l’Atlantide et vous commencez par les premiers vers d’un poème pour le moins surréaliste … disons oriental !
  •         Non, non, je vous rassure, c’est bien par ces mots que je souhaitais introduire ce sujet !
  •         Alors, pardonnez-moi, mais cela ne veut rien dire ! …
  •         En êtes-vous si sûr ?
  •        Comment vous dire ? … et s’il faut vraiment vous répondre : dans ma vie, somme toute ordinaire, je n’en disconviens pas, il m’est arrivé d’entendre des sons, d’humer de doux parfums, jamais par contre je n’ai pu constater un son exhalant une quelconque odeur, quant au parfum, n’est-ce pas sans bruit qu’il se déplace ? …

Je m’attendais bien à quelque incompréhension de la part de l’un ou l’autre de mes auditeurs, mais la charge était bien menée, qu’avais-je bien pu réveiller ? … une juxtaposition insolite de deux mots, ou du moins qui nous semble telle, et me voilà soumis à un déferlement de contradictions sous l’arbitrage incontournable du sacro-saint bon sens ! …

Je compris sur le champ que, celui-là au moins, qui s’était levé « comme un seul homme », ne souhaitait pas être déstabilisé dans l’opinion qu’il s’était forgée sur ce mystère …

A sa décharge, ce continent mythique, à défaut d’avoir été englouti, avait déjà fait couler beaucoup d’encre ! … Je décidai donc d’aller dans son sens :

  •          Il est vrai que désormais, nous ne saurions dire le contraire !
  •          Pourquoi dites-vous ça, cela n’a pas toujours été ?
  •          Ne vous est-il jamais arrivé de parler d’une couleur chaude ?
  •          Si, naturellement ! …
  •          Alors ?
  •          Alors, alors, je vous vois venir … c’est une manière de parler ! …
  •          Oui, effectivement, ce ne sont plus que des mots, mais le langage cache souvent au grand jour des vérités oubliées …
  •          Vous m’en direz tant !
  •          Une couleur chaude fait appel, sans que nous en ayons conscience, à deux de nos sens : à la vue tout d’abord, mais également au toucher …
  •          Mais si c’était le cas, d’où viendrait la sensation de chaleur ?
  •          Dans une couleur chaude, la lumière domine l’obscurité …
  •          Donc pour une couleur froide, c’est l’inverse !
  •          Exact !
  •          Vous voulez m’endormir, qui sait cela ?
  •          Votre subconscient !
  •          En dehors de celui-ci, que vous semblez mieux connaître que moi-même, vous avez des exemples ?
  •          Les habits sacerdotaux : dans l’orange domine la lumière, dans le bleu l’obscurité …

Un léger remous parcouru la salle, indistinct quant à son origine …

Homme de son époque, mon contradicteur était retors et obstiné :

  •          Lumière, obscurité, confusion des sens, nous voilà bien loin de l’Atlantide !
  •          Au contraire !
  •          Décidément, vous ne faîtes jamais rien comme tout le monde, l’Atlantide, ceux qui y croient encore, lui cherchent un lieu, une date, cherchent à l’inscrire dans l’Histoire, on ne se demande pas si les atlantes sentaient des sons ou entendaient des odeurs …
  •          Si je vous suis bien, on cherche donc à rendre plausible ce qui n’est qu’un mythe !
  •          Oui, je n’avais pas vu la chose comme cela … mais oui, pour une fois, vous avez raison ! …
  •          Alors pourquoi vouloir crédibiliser ce mythe en abandonnant tous les autres à leur triste sort, à ce qui n’aurait jamais existé ?
  •          Je n’en sais rien !
  •          Peut-être savez-vous alors ce qui vous attire vers celui-ci, plus particulièrement …

Mon contradicteur eut l’ai gêné, et, tribun improvisé, se tournant vers la salle, usa d’une pirouette :

  •          Bien, il me semble que tous ceux qui sont là ce soir, sont venus pour vous entendre sur l’Atlantide, et non sur mes intimes motivations …
  •          Bien entendu ! … encore que, lorsque l’on cherche à élucider un mystère, il n’est pas inutile de mettre à jour ses propres motivations …
  •          Décidément, c’est rock and roll :  de la poésie, l’on passe maintenant à l’analyse … quand abordera-t-on enfin le sujet qui nous occupe ?
  •          J’y viens de suite, mais non sans vous avoir dit au préalable, et en guise d’introduction, qu’une partie de notre conscience, comme de ses évolutions, est précisément comme un continent englouti …

Fort d'avoir laissé le temps de prospérer à une éventuelle nouvelle contradiction, je commençais pour de bon mon exposé :

Ne croyez pas que je diffère mon entrée dans le vif du sujet, bien au contraire, mais, ce que je n’avais pas prévu … disons, cette intervention intempestive de mon contradicteur, que je remercie néanmoins au passage, m’amène à parler brièvement de ce que nous considérons désormais comme une anomalie : la synesthésie !

Un certain nombre d’entre nous, très peu en réalité, ils ne s’en vantent pas, dans une société restée normative en dépit de ce que l’on en dit, vivent quotidiennement cette association de sens, ce télescopage, diront certains … le sujet de notre soirée n’est pas là, bien qu’il l’introduise, je me contenterai donc de quelques exemples : pour ceux-là, un chiffre ou une lettre sont associés à une couleur, une couleur déclenche un son, une musique révèle soudain une saveur particulière etc. …

Il semblerait donc, qu’en amont de nos cinq sens, existe un "centre", une forme de synthèse, un endroit non cartographié, où, échappant à la tyrannie de chacun d’entre eux, de ces titans, disait la mythologie grecque, nous pourrions jouir d’une approche globale, synthétique, du monde des phénomènes qui nous entourent …

Ce centre, les anciens indiens, plusieurs milliers d’années avant la venue de Bouddha, l’avaient identifié, ils l’appelaient « Manas » !

Quand je dis « les anciens indiens », c’est un peu rapide, il s’agit de ceux d’entre eux qui appartenaient à un des principaux courants spirituels, avec celui des Véda et celui du Yoga, perpétué quant à lui, sous l’appellation de Sämkya.

Il se trouve que cette très ancienne science spirituelle fit école jusque dans l’inspiration des poètes de la merveilleuse Bhagavad-Gita, pour disparaître ensuite dans l’orient mystérieux, jusqu’à ce que, telle une résurgence, elle inonde les représentations jusqu’alors étroitement occidentales de Schopenhauer, et, dans son sillage, de Nietzche et Schrödinger …

Pour les deux premiers nous savions, plus ou moins, mais pourquoi ce dernier me direz-vous, pourquoi Schrödinger ?

Parce que ce personnage essentiel à l’essor de la physique quantique, a exprimé avec nos mots, avec nos concepts, à l’occasion du débat onde-corpuscule, la rencontre entre deux consciences, entre celle des initiés atlantes et celle des sages indiens.

En d’autres termes, cette science spirituelle fut le résultat d’une rencontre entre deux humanités diversement évoluées …

Mon contradicteur qui, vraisemblablement, sentait l’affaire lui échapper, s’insurgea, oubliant au passage la bonne question :

  •          L’évolution dont vous parlez n’est-elle pas péjorative ? … n’est-elle pas à prendre avec des pincettes ?
  •          Si l’on confond une morale étroite et dévoyée avec une véritable approche anthropologique, je vous l’accorde ! … si l’Homme n’existe, telle une luciole, que dans nos idéologies successives, on peut dire que, pour avoir existé plusieurs fois et de différentes manières, il n’a toujours pas trouvé son point d’équilibre ! … qu’en pensez-vous ?

Après un temps mort abandonné à une réaction qui ne se produisit pas, je continuais :

Rencontre, disais-je, entre ce que l’on pourrait appeler les prémices de l’esprit scientifique et la clairvoyance atavique, entre les initiés atlantes ayant échappé, après beaucoup d'efforts, à leur atavisme, et, pour le dire autrement, au "pays des sons parfumés",  comme à la catastrophe physique qui s’ensuivit, et les indiens autochtones, restés à leur vision d’un monde que nous ne voyons plus …

Il n’en fallait pas plus, le contradicteur avait repris du poil de la bête :

  •          Et ce meeting eut lieu, selon vous, à quelle époque ? 

  •          L’époque des Veda et du Sämkhia est très antérieure à celle du Bouddha, contemporain ou presque de Socrate comme chacun sait … d’autant plus antérieure que, comme cela eut lieu ici et là, la mise par écrit des grands textes couronna des millénaires de tradition orale, les initiés ne confiant les secrets précisément qu’à la mémoire immatérielle, et ce jusqu’à Platon, notre quasi-contemporain … 

  •          Platon, voilà bien l’affaire ! … que pouvons-nous dire de ce qu’il n’a pas écrit ?

  •          Vous avez raison, au moins d’un certain point de vue … alors, pour gagner du temps, attachons-nous à ce qu’il a écrit pour ceux qui ne pouvaient plus bénéficier de la transmission orale …

  •          Ce passage à l’écrit vous semble donc si important ?

  •          Bien avant Platon, Homère et Hésiode sont les scribes tardifs de cette mémoire restée jusqu’à eux confidentielle … sans cette mise par écrit, les petits grecs bien nés auraient dû apprendre la vie sans l’immense apport de l’Iliade et l’Odyssée, de la Théogonie, ou bien encore de " Les  Travaux et les jours … sans cette première décision de divulguer les secrets, dans quel monde vivrions-nous aujourd’hui ? 

  •          Tout cela ne manque pas d’intérêt, mais, n’est-il pas curieux que depuis que nous sommes-là à vous écouter, nous n’avons rien appris ou presque de l’Atlantide ! 

  •          Je pensais vous emmener plus rapidement au vif du sujet, mais vous m’avez interrompu, à bon escient dois-je avouer, car mon propos, vous l’aurez bien compris, n’est pas de situer l’Atlantide dans une île quelconque, Platon n’a pas été avare de détails à une époque qui ignorait la déconstruction, la French Theory, et son avatar pandémique, les fakes news, mais de distinguer les moments de l’histoire où se signale ce passage de témoin entre ces atlantes et nous-mêmes … 

  •           Soit ! … qu’est-ce que tout cela peut bien nous apporter ? 

  •          En Occident, pas grand-chose ! 

  •          Vous voyez, mieux vaut nous contenter de localiser cette catastrophe dans l’espace et le temps !…
  •          On peut le voir comme ça !
  •          Je vous sens méprisant !
  •         Non, impatient que l’Occident se reprenne, tente d’assimiler cette science qui rend compte de l’intégralité des phénomènes qui l’intriguent tant depuis un peu plus d’un siècle … 

  •          Quand vous dites « les phénomènes », l’homme, fusse-t-il ordinaire, est-il au centre de cette approche ? 

  •           Au premier chef ! 

  •          Alors, je vous écoute ! 

  •          Je vais donc essayer d’être plus cool avec vos oreilles que je ne le fus avec vos représentations ! …

Il me fallait donc conclure, au moins provisoirement, car la face nord de l’Everest sans sherpas semblait hautement improbable …

Le Sämkhia résulte d’une rencontre entre la logique nouvelle et la clairvoyance qui s’attarde, elle annonce un mutant que nous nommons "individu"!

  •          Quand vous dites clairvoyance ?
  •          Avant de voir le monde avec ses yeux de chair, au moins en partie, l'Homme voyait ce que nous appellerions l’envers du décor, la chose en soi, si chère aux philosophes et autres épistémologues …
  •          Nos yeux n’en seraient plus capables ?
  •          Il ne s’agit pas d’eux, mais d’un regard immatériel, qui n’appartient pas à notre corps … je vous encourage à étudier sur ce sujet, un homme essentiel, notre quasi-contemporain, Henri Corbin, qui nous parle d’imagination active, d’imagination agente comme organe de perception …
  •          Qu’est-ce que cela vient faire ici ?
  •          Le jour où, comme chacun d’entre nous, vous franchirez la porte de la mort, vous regretterez de ne pas avoir approfondi cet aspect de l’Homme qui ne disparaît pas avec son corps …
  •          Bon, soit ! ... pouce ! … allons-y pour votre … comment dites-vous ?
  •          Sämkhia !
  •          C’est ça ! …

La voie semblait enfin libre, mais rien n’était moins sûr ! …

Afin de ne point être redondant, je ne ferai pas un cours magistral sur cette procession de l’âme que nous décrit cette antique science spirituelle, magistrale en soi ! 

Pour parler du monde spirituel, il nous faut bien souvent utiliser par défaut des images, plutôt que nos mots, paradoxalement impropres à décrire ce monde dont le Verbe fut issu !

Au début du processus, l’âme, immortelle, est comme noyée dans la mer spirituelle, puis, vient le moment de la différenciation, de petites vagues se forment à la surface, et un peu plus tard, au-dessus de l’écume, apparaissent des gouttelettes détachées, prêtes à se disperser à tout vent et qui vont chercher des formes toujours plus denses pour vivre une nouvelle expérience.

Les indiens ont des mots pour ces différents stades, mais ici, il ne s’agit pas d'acquérir un savoir, mais de connaissance !

Je préfère garder leurs mots pour la suite, pour ce qui peut intéresser la phénoménologie occidentale.

Le Sämkya étudie principalement la relation de l’âme avec ses différentes formes, le corps physique humain étant l’ultime expérience pour certaines d’entre elles.

Alors, il y a les trois guna(s), ces types de relation où, tour à tour, l’âme domine sa forme, l’âme et la forme font jeu égal, la forme domine l’âme.

Ces trois relations que nous pouvons observer dans tout phénomène, y compris chez l’Homme, sont décrites comme : l’état de sattva, de rajas, de tamas.

Pour ne prendre que quelques exemples, dans la couleur orange domine la lumière, dans le bleu ou le violet, l’obscurité, cette dernière obscurcissant la conscience d’un homme dominé par ses sens, par ces titans dont parle la mythologie grecque, j'y insiste !  …

 Mon contradicteur exulta :

  •          Je vous ai bien écouté depuis le début, et je vois que les bouddhistes sont vêtus en orange quand le clergé catholique, quand il ose se montrer encore, est revêtu de bleu ou de violet ! …
  •        Je vous vois venir, n'alimentez pas votre mépris installé de nouvelles connaissances, les choses sont un peu plus compliquées que cela, si je peux me permettre ! ... pour ne prendre qu’un exemple, Krishna est toujours représenté avec un visage bleu, sans qu’aucun occidental, aussi érudit soit- il, y voit autre chose qu’une simple convention esthétique…
  •          Alors qu’il est un avatar de Vishnou incarné pour délivrer son message à son élève Arjuna, par la bouche de son cocher, acceptant par-là d’entrer dans l'obscurité de notre monde, acceptant cette forme intensément dense que nous appelons la matière, cette forme qui n’est pas vraiment sienne …
  •          Je vois que, pour finir, nous nous sommes compris !

 

 

 

 

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