Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront point !
Au XIXème siècle, on vous aurait enfermé pour moins que ça !
A la rigueur, dans ses dernières décennies, si l’on avait
voulu plaider la cause du possédé, on aurait pu dire qu’il avait eu vent de la terrible
nouvelle, de cette mort thermique de l’univers, annoncée froidement -
pourrait-on dire ! - à tout le moins sans tambours ni trompettes de
l’apocalypse, par la toute jeune thermodynamique.
Bien entendu, il ne s’agissait là que d’une fragile
hypothèse, et l’on était en droit de se demander comment ce fou avait bien pu
avoir accès à cette information qui brûlait déjà les doigts de ceux qui étaient
peut-être allés plus vite que la musique …
Quoi qu’il en soit, si son unique prémisse était discutable,
sa conclusion signait son arrêt de mort, relevant, à n’en pas douter, de la
psychiatrie lourde.
*
* *
Oyez, oyez, braves gens, la ville est calme, les feux sont
éteints, dormez en paix !
Le couvre-feu moyenâgeux se réinvite actuellement dans nos
villes, mais, ne s’était-il pas déjà subrepticement immiscé dans nos
représentations sans que nul n’en prenne ombrage ? …
C’est ainsi que cette déclaration incompréhensible n’est pas
celle d’un fou du XIXème siècle, mais d’un autre marginal, si l’on veut
présenter les choses ainsi, né en Galilée il y a un peu plus de deux mille ans
…
Celui-là ne fut pas enfermé afin que plus personne n’entende
ses sornettes, mais crucifié en place publique pour n’avoir pas dit ce que ses
auditeurs avaient envie d’entendre …
Si vous n’avez pas réagi à ce qui précède, à cet anachronisme
éhonté, c’est que cette parole fut oubliée, non de votre faute, mais parce que
l’Église, pour parler simplement, n’a pas fait le Job, se contentant de raconter
l’histoire de l’homme simple de Nazareth, taisant, petit bras, sa dimension
cosmique, par peur du qu’en dira-t-on, de ce qu’il se dit en ville, des
murmures du siècle, dissimulant plus sûrement encore, ce dont elle ne nous
estimait pas dignes, sous l’opacité de dogmes, bricolés pour les uns, incompréhensibles
pour la plupart.
« Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles
ne passeront point ! »
C’est ainsi que le galiléen qui n’en était pas à sa
première*, se mit en danger devant ceux qui auraient aimé le suivre mais ne
comprenaient plus rien, comme de ceux qui comprenaient bien désormais qu’il ne s’agissait
pas de celui que les hébreux attendaient …
Dans le contexte de la Palestine d’alors, ces paroles
sonnent d’une manière bien étrange, car rien ne saurait éviter le ridicule à
celui qui les tient : la mort de l’univers, fut-elle thermique, n’a pas
encore été supposée ...
Alors, j’entends déjà les réactions légèrement méprisantes
des demi-savants : « mais enfin, vous n’y pensez pas, la fin du monde,
c’est une vieille lune, votre galiléen n’a rien inventé, à part son
invraisemblable conclusion ! »
S’en suivra alors, une liste, se voulant dissuasive, de la
littérature apocalyptique, eschatologique, prophétique, ayant trait à la fin
des temps …
A ceux-là qui ont fait l’effort de chercher, quand bien même
ce fut au seul endroit où on leur avait dit de le faire, j’affirme qu’il ne
s’agit pas ici de tout mélanger à la sauce anachronique, comme nous en avons
l’habitude, mais de contextualiser de manière précise, de retrouver le sens des
mots, qui, s’ils ne changent pas, dissimulent des hommes bien différents …
Si nous entendons par eschatologie, un discours sur la fin
du monde ou la fin des temps, celle-ci est totalement absente chez les
prophètes hébreux …
Lorsqu’ils parlent de la fin des temps, c’est de ceux qui
voient le malheur de leur peuple, balloté entre les deux puissances du moment,
entre Héliopolis et Babylone !
Revenons donc à cette parole étrange !
« La terre et le ciel passeront ! » ce n’est
donc pas le propos d’un nième prophète hébreu, mais bien plutôt celui que tiendraient
aujourd’hui les nouveaux prophètes, ces astrophysiciens qui ont pris leur envol
il y a moins d’un siècle …
« … mais mes paroles ne passeront point ! »
comment expliquer cette parole qui ne peut être le fait d’un homme sain de
corps et d’esprit comme nous nous plaisons à dire, si ce n’est que l’entité qui
l’habite provisoirement peut se rendre présente au passé, comme au futur le plus lointain.
La réponse tient en six mots : « le verbe s’est fait
chair ! »
Le verbe !
Après les demi-savants, je les vois arriver en masse, ceux
qui ne veulent rien savoir : « le verbe, sans bouche pour le
prononcer, quelle est donc cette fable ? … autant tendre un micro à un
muet !
Que peut-on opposer à ceux pour qui la seule vérité est ce
monde sensible que nous voyons, entendons, humons, touchons ?
Peut-être une chose qui demande réflexion : l’univers
se développe selon certaines lois, c’est la science qui le dit, mais où
étaient-elles ces lois avant le big bang ?
La science ne le dit pas, et c’est bien là ce qui la taraude !
Autre question plus terre à terre, si l’on peut dire :
une équation peut-elle rester valable si on l’emmène dans un autre référentiel ?
*le galiléen, peu avant son procès, avait insulté un figuier
qui n’avait pas de fruits hors saison … ce passage essentiel et sa
signification, jusqu’alors ignorée ou occultée, ont déjà fait l’objet d’une
communication sur La Porte des Lions.