Le crucifié, l’évangile et le Coran ...
Avant de retenir mon attention, l’Évangile selon saint-Marc fut retenu, au détriment de nombreux prétendants, pour le rôle envié d'évangile canonique …
Je suis d'accord avec vous, cette entrée en matière peut paraître terriblement orgueilleuse, mais, tout compte fait, je la maintiens, car, comme vous, je suis un enfant du siècle, et, vous et moi, ne sommes-nous pas tous devenus des juges ? ...
Pour en revenir à une époque où tout un chacun n'aurait su usurper cette fonction suprême, il fut enfin décidé en petit comité, théologique pour les uns, Théodule pour les autres, de mettre un peu d'ordre dans la cacophonie des interprétations.
Ce casting hautement périlleux fut long, chaotique, âprement débattu, mais au moins peut-on dire que chacun des quatre évangiles ne doit pas sa notoriété au hasard, quand bien même, certains auraient fait, et feraient encore, à moindre risque il est vrai, d'autres choix ...
S'en suivirent des siècles d'affrontements, souvent sanglants, entre ceux qui pensaient que l'on pouvait atteindre la vérité par le seul raisonnement.
C'est alors que, sur la question de la crucifixion, le Coran eut un retentissement dont on n'a pas encore mesuré toutes les conséquences...
Bien que tardif, son avis fut tout à la fois tranché et ambigu, énigmatique, pourrait-on dire !
Acte 1, ou pour être exact, verset 157 de la quatrième sourate : "ceux qui ont crucifié Jésus se sont trompés, ils ne l'ont pas tué !..."
Les choses sont dites : que s'est-il vraiment passé au Golgotha ? ... ce dont se vantent les accusateurs du nazaréen n'est pas la réalité, c'est ce qui "leur est apparu", ils ne sauraient donc s'en prévaloir !
Donc, tout est ouvert ! ... ce qu'il fut colporté officieusement et officiellement de siècle en siècle, ne se serait pas passé, en tout cas, pas comme cela fut dit, ou bien encore le galiléen aurait été remplacé au dernier moment sur la croix par un quidam ... les fantasmes alors se déchaînent qui vont jusqu'à désigner l'intrus bienvenu, j'ai nommé l’innommable Judas !...
La morale est sauve et Jésus avec ! ...
Mais, patatras, le verset suivant interrompt le délire des hypothèses et autres raisonnements hasardeux par quelques mots énigmatiques : "Dieu tout puissant, dans sa sagesse, a élevé Jésus vers lui ! "
Le crucifié est donc bien mort sur la croix, mais sa mort reste un mystère, car que savent les uns et les autres, que savons-nous de ce qu'il s'est réellement passé sur la croix ? ...
Après tant de guerres et d'incompréhension, est-il encore opportun de révéler que Jésus est un personnage essentiel du Coran : dernier des grands prophètes, esprit et verbe de Dieu, et qui reviendra à la fin des temps, selon la tradition musulmane unanime, en tant que maître de justice ?...
Hélas! notre mémoire commune a fait place à la mémoire des blessures que nous nous sommes mutuellement infligés !
A l'évidence, nos représentations ne sont plus les mêmes; pour le dire autrement, nous ne vivons pas, nous ne vivons plus, dans le même monde !
Pour cette raison, vraisemblablement "nécessaire", sur la question qui nous occupe, soit le mystère du crucifié, le dialogue entre la Bible et le Coran ne peut s'établir que de manière occulte, par dessus les siècles et les opinions des uns et des autres qui ne dépasseront pas cet instant fugitif où elles furent proférées ...
La réponse inédite de l'évangile selon saint-Marc à l'énigmatique question du Coran, aucun des théologiens catholiques qui ont vidé les églises n'en fit jamais état !
Pourtant, tout est dit dans ce texte poignant, et de quelle manière !
Nous sommes à la fin de l'évangile, l'arrestation de Jésus provoque la fuite de tous ses disciples ...
Le seul qui reste à ses cotés et dont l'insolite présence intrigue les sbires du Sanhédrin, c'est un jeune homme en robe blanche ... alors ils veulent mettre la main dessus, pour l'interroger sans doute, savoir qui il est, ce qu'il fait là, mais celui-ci s'enfuit, laissant dans leurs mains incrédules la seule robe blanche ...
Jésus de Nazareth est désormais seul, définitivement seul, et on l'emmène ...
Le jeune homme en robe blanche apparaîtra par la suite à trois moments dramatiques, mais, avant d'y venir, demandons-nous ce que vient faire cette apparition totalement incompréhensible dans un récit qui, jusque là, correspond tant bien que mal aux autres évangiles, comme à l'idée que l'on se fait d'un déroulement "normal" des choses ?
Il se trouve qu'entre l'évangile* et nous, se sont interposés les colporteurs de mauvaises nouvelles.
La première, c'est que tout ce à quoi nous avions cru, gravé dans le marbre des textes dits sacrés, et nous permettait d'oublier peu ou prou notre condition de simples mortels doit être systématiquement remis en question ...
A quoi avions-nous cru en occident pendant des siècles? ... à la Bible, ou du moins à ce que nous en disaient les seuls qui étaient capables de la lire ...
Il y avait bien les vitraux et les bas-reliefs des cathédrales, mais sans les commentaires de ceux qui se disaient déjà experts, comment s'y retrouver ?
En deux mots, une nouvelle génération d'analystes, nés pendant la renaissance dans le berceau de l'antiquité retrouvée, adolescents au moment des lumières, se mirent en tête, influencés sans doute par l'exigence de "table rase" de Descartes et les applications sanglantes de ceux qui le prirent à la lettre, de faire tomber celles qui régnaient encore sur nos représentations ...
Homère n'a jamais existé !
L'on commença par Homère, cette supercherie fabriquée de toutes pièces, avant de faire monter dans la charrette lugubre, sous les regards ahuris de la foule des croyants en déroute : Shakespeare, Abraham, Jésus ...
Puis, comme il en va de cette métamorphose mythologique qui les faisaient bien rire, ils devinrent sur le tard les nouveaux prêtres, du nouveau dieu, de la Raison, faisant preuve désormais, tout comme ceux qu'hier encore ils méprisaient, de fine érudition, de réduction systématique, de parti-pris endémique, et pour finir, de si peu d'inspiration !...
Mais, de ce passé qui s'attarde éhontément dans notre présent, ne faisons pas à notre tour table rase !
Ils nous ont légué le doute et, à n'en pas douter, c'est bien ce qui nous fait !
Pour en revenir à ce jeune homme en robe blanche, insaisissable et qui s'enfuit, laissant Jésus à son atroce solitude, l'on pourrait dire avec nos philologues, enfin libres de tout sentiment, qu'il s'agit d'un rajout par rapport aux autres évangiles qu'il conviendrait donc d'éliminer, ou bien encore et, concomitamment, d'une allégorie dont la vocation serait de nous faire comprendre par l'image ce que dit le Coran d'une manière plus conceptuelle et plus elliptique : la partie divine de Jésus ne pouvait subir l’ignominieuse mort réservée aux seuls humains ...
Va pour l'allégorie !
Notre raison qui décide de tout n'y trouve-t-elle pas son compte ?
Le problème, c'est que le jeune homme en robe blanche se signale par la suite à deux reprises : la première aux trois femmes éplorées qui viennent embaumer le corps du crucifié, la seconde, auprès des disciples de Jésus qui, n'ayant su veiller à la veille du mystère de la soudaine impuissance de leur maître, se sont enfuis et n'ont donc rien pu observer de ce qu'il se passa réellement entre son arrestation et la crucifixion.
Il s'agit pourtant des mêmes qui iront prêcher, au péril de leur vie, la bonne nouvelle si longtemps espérée, que la vie ne s'achève pas avec le délitement du corps et qu'ils peuvent en témoigner !
Pierre, décentré, comme à son habitude, emporté hier par ses facultés de vision ataviques, aujourd'hui par la tempête soudaine des passions, avait renié son maître, s'était enfui, privé par là-même de participation aux événements intervenus entre sa débâcle et celle du corps de celui qu'il aimait par dessus tout ...
Il n'avait donc rien vu de ses yeux vus, mais c'est pourtant bien lui qui enseigna tous ces événements à son élève, l'auteur de l'évangile selon saint-Marc ...
Cherchez l'erreur !
Ici, pour tenter de comprendre ces apparitions, aux sbires du Sanhédrin tout d'abord, aux femmes endeuillées une fois entrées dans la tombe, aux disciples éparpillés, hagards et apeurés, je souhaite surtout ne pas faire appel à la dogmatique de la résurrection des corps qui eut paradoxalement son heure de gloire auprès de populations que l'on avait pourtant déshabituées du mythe et des légendes, mais finit par éloigner toute personne sensée de l’Église ...
Cette image de la résurrection de Jésus en "chair et en os", désormais méprisée, et qui provoqua tant de défections chez les "modernes"devenus enfin raisonnables, avait cependant permis, pendant des siècles, d'évoquer le mystère de l'au delà et de la permanence de l'âme à des hommes qui ne se savaient pas devenus matérialistes ...
Sans résurrection pas de christianisme ! ... Mais sans le Christ, point de résurrection !
Du moins au grand jour, loin de la pénombre élitiste des mystères ...
Depuis des siècles, ici et là, de l'Orient mystérieux à l'Occident balbutiant, quelques âmes à la recherche de la Vérité, de leur salut aussi, n'auraient su se satisfaire des croyances du peuple, de ces dieux qui nous ressemblaient un peu trop ... rarement, pour tout dire, pour ce que nous avons de meilleur ... pas plus d'ailleurs de ces philosophies émergentes qui nous réduisaient à une rencontre improbable et temporaire d'atomes, ou bien encore, ce qui n'est pas très loin, doutaient de tout, à commencer par la réalité de ce monde ...
Ceux-là, qui refusaient de s'endormir dans le berceau de la doxa, rejoignirent, sans rien en dire, en proie à une sourde volonté, la cohorte famélique et affamée de ceux qui se résolurent un jour à frapper à la porte du temple ou à celle d'un centre des mystères ...
Combien furent acceptés, cooptés ? ... nous n'en savons rien, mais ceux qui le furent, finirent, après d'infinies épreuves éprouvantes et autant de "recalés", par traverser l'expérience tant attendue : l'expérience de la mort mystique ...
De quoi s'agit-il ? ... que pouvons-nous bien dire, vu de l'extérieur, de cette mise au tombeau, de cette séparation de l'âme et du corps, présidant au voyage dans l’Hadès, dans le monde suprasensible, sous la vigilante protection des hiérophantes ... de la réintégration hasardeuse au bout de trois jours ?
Ceux qui en étaient revenus "intacts", n'étaient plus les mêmes, dotés de cette étrange certitude d'être nés une seconde fois car, que ce que jusqu'alors ils appelaient la mort n'existe pas ...
Ils revenaient de ce monde invisible où tout se décide, où l'âme choisit une nouvelle expérience, un nouveau mélange avec la matière ...
Mais, il était interdit d'en parler, "sous peine de mort!".
Pourquoi en effet éveiller celui qui dormait dans sa vie, si les terribles révélations ( "stupeur et tremblements", avaient dit ceux qui étaient de retour), n'avaient servi qu'à le rendre orphelin de ses si fragiles certitudes, de ses représentations, de ce qui pousse un peu plus loin ? ...
Le secret absolu participait, sans doute d'un élitisme, mais plus sûrement encore du bon sens et d'une certaine morale ! ...
Eschyle, ce fut le drame de sa vie, fut injustement accusé d'avoir trahi les secrets, il aurait pu en périr s'il n'avait pas pu prouver le contraire!
Cela peut nous sembler risible, archaïque, d'autant que nous venons d'oublier le "calvaire" d'Edward Snowden pour des révélations qui, pour être sensibles sont, dirons-nous, plus "terre à terre" !...
Mais, depuis le procès d’Eschyle (Vème siècle avant JC), de l'eau avait coulé sous les ponts dans le psychisme des hommes, et certains jugèrent le moment venu de s'en ouvrir à un public averti.
Plutarque notamment qui fut, selon ses dires, "conduit au Hadès" au pays de Zoroastre (Ier siècle après JC), engageant ainsi son autorité de prêtre d’Apollon au temple de Delphes ...
Sur ce point, avec Platon, aucun dialogue n'était plus possible : ceux qui n'avaient pas subi la mort mystique étaient destinés "au bourbier" !...
A part saint-Augustin qui n'avait pu que constater la continuité entre paganisme et christianisme, mais sans souligner la rupture à la fois qualitative et quantitative pour ce qui concerne le mystère de la crucifixion, personne dans l’Église ne fit jamais mine de reconnaître cette "démocratisation ", cette divulgation du mystère de la vie après la mort, à part peut-être, quelque vingt siècles plus tard, une sainte répondant au nom de Simone Weil ( la philosophe !).
N'ayant pas de temps à perdre - le savait-elle inconsciemment ? ... elle avait superposé l'image de l'âme du monde crucifiée dans le Timée de Platon et la croix du Golgotha ...
Le drame du Golgotha a ceci de mystérieux qu'il reproduit au grand jour ce qui, mutatis mutandis, et par volonté divine, ne doit plus faire mystère pour quiconque : le moment venu, dirions-nous désormais de manière dégagée avec nos mots, et par pudeur : chacun laisse son corps là où il l'a trouvé, c'est-à-dire sur Terre, mais il n'y a pas mort d'homme!
A cette différence près que le logos, autrement dit le Verbe du tout début de l'évangile selon Jean, n'attendit pas la mise au tombeau pour quitter le corps de Jésus, mais réintégra son corps de lumière dans lequel il apparut à plusieurs reprises auprès de celles et ceux qui pouvaient le rejoindre par l'esprit dans ce monde intermédiaire, et c'est là toute la révélation à la fois grandiose et pathétique de l'évangile selon Marc.
Notre raison peut encore douter de cet instant, mais pas notre mémoire : " Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné !? ...
Reste le mystère ce que l'on appelle la résurrection, sans trop savoir de quoi l'on parle et que chacun, voulant croire que la mort n'est pas une fin définitive, s'approprie en l'imaginant à sa guise, dans ce "au cas où", qui permet, aux enfants du pari de pascal, de vaquer le cœur léger à leurs occupations quotidiennes...
Pour tenter de comprendre ces apparitions qui se produisent de manière circonstanciée après la crucifixion, nous n'aurons pas l'audace de mobiliser la tradition de l’Église qui n'eut de cesse d'interdire ceux qui ne pensaient pas comme elle, et jusqu'à la bouffée d'air luthérienne, l'accès à la lecture des écritures, au cas où chacun aurait pu découvrir les nombreux passages inexpliqués ...
C'est donc aux sources qu'il nous faut remonter, à cette altitude où le clergé s'asphyxie, et notre sherpa a pour nom Henry Corbin.
Pour tenter de comprendre ces apparitions, ce que la tradition a nommé à juste raison, la résurrection, nonobstant la manière dont elle fut expliquée, une forme de viatique nous a été laissé par cet orientaliste qui découvrit dans la haute spiritualité perse un savoir que l'occident avait oublié depuis des siècles.
Ce savoir porte sur un monde intermédiaire, médian, médiateur, entre le monde sensible, celui que nous disons réel, le seul auquel nous portons désormais un intérêt, et le monde intelligible dont nous n'avons plus l'intelligence ...
Ce monde qu'il a nommé "imaginal" et qui n'a rien d'imaginaire, est le monde des théophanies, des apparitions, des manifestations du divin, qui prennent une forme accessible en fonction du degré d'avancement spirituel de celui ou celle qui est choisi(e).
Vous remarquerez que le jeune homme en robe blanche parle pour la première fois aux trois femmes éplorées : "celui que vous cherchez n'est pas ici!"
Le message est clair, et seules les femmes, plus subtiles pour ce qui concerne les choses qui ne sont pas de ce monde, savent l’interpréter ...
Cela est encore globalement vrai !
Comment envisager la résurrection de façon matérialiste, si l'on sait que le Christ ne fut pas reconnu de prime abord par les uns, quand un autre qui s'y fit un nom, n'y croyait pas ?
Vient alors le tour des disciples qui se sont enfuis et n'ont donc rien vécu de ce drame; tous les évangiles soulignent ce fait, et ce qu'il se passe alors est une réponse à l'énigme abordée par le Coran.
L'accès au mystère du Golgotha n'était pas réservé aux hommes tels que psychiquement devenus, c'est donc dans ce monde intermédiaire que l'entité symbolisée par le jeune homme en robe blanche leur fit part de ce qu'il s'était passé et des raisons pour lesquelles cela devait se passer à ce moment de l'histoire des hommes.
Et c'est fort de cet enseignement occulte et de la force ainsi reçue qu'ils purent annoncer la bonne nouvelle ici et là, souvent au risque de leur vie.
Le Coran avait raison, les personnes qui avaient assisté physiquement à la crucifixion, avaient raconté ce qui "leur était apparu !" ... mais contrairement au langage des sens, sur la croix il n'y avait plus que Jésus !... l'entité christique ne pouvait subir la mort, et Dieu l'avait élevée vers lui ...
* évangile signifie "bonne nouvelle"!