Mais, qui êtes-vous pour dire à Dieu ce qu'il doit faire ?

En réalité, amis lecteurs, cette remontrance ne vous était pas initialement destinée, mais bien plutôt à Einstein, en réponse à son célèbre et véhément refus du hasard qui, selon certains de ses collègues en rupture de ban, "régirait" le nouveau monde, le coté sombre de la matière ...

"Dieu ne joue pas aux dés!", avait-il asséné à ses confrères assemblés, qu'il traitait ainsi, de manière à peine voilée, de mécréants ...

C'en était trop ! et la réponse ne se fit pas attendre, légèrement méprisante pour cet aîné et son anthropomorphisme d'estrade* : "Mais qui êtes-vous, Einstein pour, etc." ...

Cinglante, cette remarque de Niels Bohr, consacra tout à la fois la rupture d'une amitié récente où la passion le disputait au respect, et l'amorce d'un long débat autour du nouveau né au front de l'Homme : la physique quantique.

J'ai enlevé "Einstein" du titre, car il me semble que cette apostrophe pourrait aussi bien s'adresser à chacun d'entre nous, au moins lorsque nous sommes en proie au doute, et jusqu'à Voltaire qui fustigea, non sans arrière-pensée, un monde "si mal fait", devant la catastrophe meurtrière de Lisbonne le 1er novembre 1755.

Mon propos n'est pas de revenir sur ce combat interminable, tranché sur le tard, trop tard en tout cas pour la plupart des belligérants ! ... ** en faveur de la vue avant-gardiste, révolutionnaire, contre-intuitive, de Niels Bohr, défenseur de l'inviolable et paradoxale intimité de cette origine, dont la matière ne serait que le cache-sexe ...

Non, ce qui peut nous intéresser ici, c'est la raison pour laquelle un génie comme Einstein freina des quatre fers, lorsqu'il fut confronté aux conclusions qui s’imposaient à l’issue de ce voyage des siens en terre inconnue ...

Alors, il nous faut, Einstein comme nous-mêmes, mettre de coté nos croyances, mater le "bon sens" en révolte, le temps au moins d'observer attentivement cet instant récent de l'histoire de notre psychisme, où la déflagration quantique sépara l'humanité entre ceux qui vivent comme avant, s'endorment sous l'orage, et ceux qui tentent de penser l'après de la pensée... et donc son avant ! ...

Les nouvelles lois "exotiques" qui dérangent nos petites habitudes, nos représentations, tout juste remises du traumatisme copernicien, n'ont, à l'évidence, que faire de notre jugement sur ce transformisme onde-corpuscule, cette superposition douteuse, ces mesures perturbatrices, sans oublier l'intrigante intrication, ce paradoxe de la fusionnelle non-localité ...

Je laisse le soin à ceux qui décident de ne pas abandonner en si bon chemin, d'aller voir de quoi il retourne sur cet internet capable du pire, mais en l’occurrence, du meilleur.

Commençons, si vous le voulez bien, par ce qui "dépassait" tout à la fois Einstein et la vitesse de la lumière, cette fameuse non-localité, ce défi au bon sens selon lequel la dispersion la plus extrême ne saurait interrompre la communication, attenter à l'intimité de l'instantané ...

Quel que soit son génie, Einstein est un héritier !

Avant de livrer ses expériences de pensée au vingtième siècle naissant, ouvert à tout vent, le petit Albert avait, selon toute probabilité, comme tous les intellectuels allemands alors francophiles, dû lire ou entendre parler de Descartes.

Celui-ci n'avait-il pas attesté de son existence, urbi et orbi, en localisant d'autorité la pensée, à l'abri de son "moi" : " Je pense donc je suis!"...

N'était-ce pas là s'approprier cette altérité qui nous caractérise et dont nous ne savons pas grand chose, la loger manu militari sous la voûte crânienne, la réduire pour ainsi dire à une propriété du cerveau, ce qu'un ancien grec n'aurait jamais, ô grand jamais, osé ! considérant que la pensée est une perception accordée à ceux-là seuls qui sont "aimés des dieux" ...

Si l'on veut faire un peu de sémantique, pour eux, "réfléchir" n'aurait su désigner une activité personnelle, tout au plus une transmission, une courbure diront les romains ! ...

Dire, comme il fut dit : "Ça pense !" est devenu impensable !...

Il est vrai que si Descartes, en proie au véritable doute, avait conclu par ce brouillon nerveusement froissé : "Ça pense, donc je suis !", saurions-nous seulement qu'il avait existé?

Tôt ou tard, un autre candidat à la célébrité l'aurait affirmé, car l'égocentrisme s'épanouissait au rythme de notre histoire.

Mais, avant Descartes, il y avait eu un précédent autrement dramatique, et d'amplitude, car celui-là concernait l'humanité en son entier .

Cet épisode oublié, car antérieur à la très récente enquête d'Hérodote, fut exprimé par le mythe, cette mémoire collective, moins fugace qu'un rêve, à laquelle nous ne comprenons rien ...

Aussi, nous est-il désormais possible de localiser dans le temps long de nos évolutions l'émergence de ce concept de localisation qui, de toute évidence, contribua à organiser notre cerveau, mais l'encombre encore, tel un échafaudage oublié ...

Avant la localisation était la non-localité !

Le mythe grec s'en souvient : la mise en pièces de Dionysos Zagreus par les titans, nous parle de ce monde unitaire mis en miettes et qu'il nous fallut reconstruire ...

De quoi s'agit-il ?

Un drame cosmique s'était joué dans la conscience de l'Homme, "scénarisé", mis en images, par ce qu'il est convenu d'appeler "la mise en pièces de Dionysos".

Non, pas celui qui est si mal connu, ce rejeton caricaturé à dessein par ceux qui craignaient déjà l'émergence du "moi", mais cet autre Dionysos qui fut déchiqueté, éparpillé façon puzzle ... Dionysos Zagreus pour les intimes.

Entre ce que découvre, désormais à ses dépens, la pensée ordonnatrice, et la conscience de rêve de l'Homme d'avant la raison, s'était organisée, au petit matin encore brumeux de la transe poétique, de l'appel aux muses, des légendes insistantes, des mystères décadents, la chasse aux mythes, où s'illustrèrent tout d'abord les philosophes post-socratiques, en tête desquels l'on trouve un transfuge nommé Platon, avant même ces quelques Pères de l’Église, si peu sûrs d'eux qu'il leur fallait faire table rase du passé...

" Tabula rasa!" ... Toute ressemblance entre la parole de Descartes et la Terreur, son geste joint dans la France de 1793 et le Cambodge de 1975 , étant purement fortuite ! ...

En deux mots, pour les anciens grecs, le meurtre de Dionysos Zagreus, fils du ciel et de la Terre, de Zeus et Perséphone, personnifie, met en scène, le drame cosmique qui bouleversa la conscience de l'Homme ...

Communion intemporelle avec un monde unitaire, non multiple, non localisé, non contradictoire, pré-biblique en somme, envahissant, ne laissant aucune place à l'individu qui attendait encore son heure sous l'horizon de l'histoire, sans que quiconque puisse jamais se mettre à distance de cette omniprésence, de cette volonté transcendante, trouver un instant pour soi, si toutefois, en avance sur son heure, il en avait eu le désir ...

Ce meurtre, cette "dislocation", fut l’œuvre des titans (les cinq sens), sur fond de jalousie en action (personnifiée par Héra), amour blessé qui divise, morcelle, isole et "localise" ...

Pour la pensée qui s'installe sur ces ruines et tente de redonner du sens à cet éparpillement, une chose est désormais ici ou là, mais plus jamais ici et là, comme au temps où le temps n'existait pas encore ...

Exit Héraclite et sa vision des contraires, le "ou"aristotélicien remplace alors le "et" du mythe, abolit la métamorphose, cette antique superposition, jusqu'à ce que le "et", magique, trop magique et par conséquent longtemps suspect, s'impose à nouveau, au grand désarroi de ceux nombreux qui pensent que deux vérités contraires ne peuvent coexister sans que l'une ou l'autre n’ait à abandonner son statut ...

Einstein ( "nous", pour ainsi dire ! ...) et Niels Bohr, ne parlaient pas du même monde.

Einstein parle du monde où nous sommes nés, Bohr, de celui qui nous fit naître !


* nous sommes au congrès Solvay de 1927 à Bruxelles, qui réunit la fine fleur de ceux qui témoignent de ce qu'ils n'ont pas vu, donnent priorité à la pensée sur le message des sens, plus connu sous le terme de "bon sens" ... j'ai nommé les physiciens quantiques ...

** Comment en effet continuer un combat à cet endroit d'outre-tombe où il n'a plus d'utilité ? ... débat tranché par un cocorico boy nommé Alain Aspect, au début des années 1980, soit plus de cinquante après qu'Einstein ait curieusement et paradoxalement refusé cette reddition du bon sens, cette acceptation de l'incertitude née d'une indétermination....



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