La matière noire signe-t-elle la fin du matérialisme ?

Il y a quatre siècles, cela se passait déjà en petit comité : les interrogatoires musclés de l'inquisition papale à l'encontre des premiers astronomes n'intéressaient pas beaucoup plus de monde que les interrogations de la moderne astrophysique sur ce qu'il en est de notre place exacte dans l'univers ...

De ce point de vue, rien n'a changé ! ... ce qui est central, c'est qu'à chaque nouvelle avancée, nous sommes remis sans ménagement à notre juste place, c'est à-dire un peu plus à l'écart !...

Hier, c'était un tout nouveau savoir qui installa, en un seul mouvement, le soleil au centre, son héraut sur le bûcher, et nous reléguait dans l'une de ses périphéries dont nous ne savions pas à l'époque qu'elle seule était vivable ... désormais, c'est l’intelligence que nous avons de notre ignorance qui nous expulse d'un univers devenu soudain étrange, lointain, fuyant, opaque, et qui, bien plus encore, n'obéit plus à nos lois ...

Voilà, patatras ! ... le mal est fait, les choses sont dites ! ... les lois qui fonctionnent si bien dans notre système solaire, semblent inopérantes dès lors que l'on s'en éloigne un tant soit peu, à l'échelle du cosmos s'entend ...

Alors, comme la nature, et, semble-t-il, plus particulièrement la nôtre, aurait horreur du vide, nous avons comblé ce dernier avec ce que nous avions sous la main, avec nos "vieux" réflexes ! ... avec de la matière !... noire, qui plus est ! ... en signe de deuil de notre intelligence, vraisemblablement !?...

Lapsus, non-dit ? ... terrible procès rétroactif à venir : est-ce à dire que lorsque nous ne savons pas ce qu'il se passe, de quoi nous parlons, nous nous réfugions dans le concept de matière qui pourtant a fait long feu chez nombre de physiciens quantiques depuis Schrödinger, ce transfuge de la philosophie et des sagesses orientales qui nous manque tant désormais?

Au point où nous en sommes, cela n'est pas dit ouvertement, mais, faut-il tuer le père ? ... faut-il remercier Einstein ? ... faut-il avouer que sa loi a fait son temps, relative, par définition, à l'espace restreint qui était accordé alors aux hommes de sa génération, ou continuer le bricolage qui permet de préserver les apparences d'une famille bien unie ?

Pour défendre la loi d’Einstein, contre vents solaires et marées cosmiques, mais surtout contre ces objets stellaires qui enfreignent sans vergogne la loi qui jusqu'alors ronronnait dans le respect dû au maître, les sectateurs du commandeur conçurent la matière noire, ce joker qui ressemble de plus en plus à un tour de passe-passe ... puis, il y a un peu plus de vingt ans, confrontés à une autre impossibilité théorique : l'énergie sombre, répulsif sournoisement à l’œuvre derrière le décor et qui expliquerait cette invraisemblable et "illégale" inflation de l'univers ...

Mais certains n'acceptent pas cette loi qui, pour se maintenir au pouvoir, invite au bricolage ...

Avant qu'il ne se fasse un nom, le nouveau Brutus se nomme Erik Verlinde ... "sa" gravité n'est pas celle d'Einstein, et s'il parvenait à l'imposer, ne conviendrait-il pas alors de saluer comme il se doit ce fabuleux coup de théâtre !

Mais la conjuration peine à se regrouper, d'autant que le néerlandais fait preuve d'une approche pas très catholique, dans tous les sens du terme : au départ de sa théorie serait l'étrange relation des particules intriquées, qui, une fois séparées, communiquent entre elles, sans contrainte aucune, ni de temps ni d'espace, n'en déplaise à Descartes !...

Cela contrarie notre matérialisme désormais bien installé, mais, en dépit de la doxa de ceux qui ne croient qu'à ce qu'ils voient, et surtout à ce qui leur fut dit, c'est précisément la physique quantique qui établissait très récemment la "réalité" de ce phénomène qui nous dépasse, groggy par cet affront fait à la matière, et délestant, faute de mieux, ce mystère à la métaphysique ...

En attendant cet improbable lever de rideau, laissons les compétents en décider entre eux, dans ce huis-clos inaccessible à qui n'a pas la "bosse des maths" ...

Quant à moi, dont le crâne ne dissimule nulle excroissance, j'entrevis soudain que ce débat qui agite et divise le monde de la physique, renvoie très curieusement à un autre débat, métaphysique celui-là, multi-millénaire, mais qui n'agite plus grand monde ...

"Plus grand monde", dès lors que l'Occident, tout à son affaire, ignora jusqu'à un passé récent les sagesses orientales, tandis que la sinueuse Église romaine tenta la lente digestion de l'énorme Plotin.

Car enfin, ce débat sur l'impossibilité de dire quoi que ce soit de la matière noire, de n'en rien savoir, tout en supposant qu'elle elle omniprésente dans le ballet cosmique, ne renvoie-t-il pas au mystérieux rapport de l'Un et du multiple !

Juchés sur un point de vue utilitariste, d'aucuns me rétorqueront que la matière noire, comme il en fut de l'Un, c'est nous qui l'avons inventée !

Mais ce n'est sans doute pas pour rien que, comme tant d'autres, ce mot est polysémique, car, "inventer" : est-ce fantasmer ? ... ou, comme cela fut pour la grotte Cosquer, découvrir ce que jusqu'alors, nous avions ignoré ?

La si discrète relation de l'Un et du multiple, jamais dévoilée, occulte pour tout dire, se trouve au cœur de la très ancienne spiritualité hindoue, de la "plus récente" initiation orphique de nos pères grecs, des carnets de voyages mystiques de Plotin et, plus proche de nous, du processus partiellement non élucidé de l'embryogenèse ...

Transposons : le multiple en astrophysique, comme dans la vie courante, c'est ce que nous voyons, ces milliards d'étoiles, et désormais, selon nos yeux écarquillés que sont les artefacts, ces milliards de galaxies ...

Nous savons désormais qu'il s'agit là de la manifestation d'un phénomène jusque là hors d'atteinte, que certains ont nommé par défaut "matière noire", noire, parce que, privée de lumière, et nous en privant, personne jamais ne l'a vue.

Dans le Rig Veda hindou, il est dit entre autres : "qu'avant tout ce déploiement ... il était ni être, ni non-être ... l'Un respirait sans souffle ... hors d'atteinte ... les ténèbres étaient noyées dans les ténèbres..."

Depuis lors, la philosophie, depuis longtemps séparée de sa mère la physique ionienne, s'est emparée de ce mystère, et l'on pourrait résumer son trouble jamais dissipé, par la question suivante :

L'un se donne-t-il à voir par le multiple, ou a-t-il besoin du multiple pour se voir lui-même ?

*

Prochaine communication : les mythes en savent-ils plus long que les anthropologues?

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