De Justinien à Hitler, la trouble esthétique du passé !

L'un, bien connu, n'a pas atteint son but, mais, au train où vont les choses, il semble bien que l'on parlera de lui pendant mille ans ou plus ...

Quoi qu'il en soit, ce premier siècle d'après la débâcle de 1945, lui est d'ores et déjà acquis, et la manne de la publicité à ses détracteurs empressés...

L'autre, dont nous avons tout oublié, jusqu'à son nom, voulu faire oublier la philosophie grecque à son occident natal ... son truc à lui, quand il entendait parler de Platon ou d'Aristote, ce n'était pas de sortir son revolver, pour la seule raison qu'il n'était pas encore sorti, ce n'était pas non plus la grandiloquente autodafé ... non, Justinien n'était pas dans la rodomontade du pied bot qui court après le pouvoir, dans le symbole contre-productif qui donne à penser qu'il ne faut plus penser ... plus radical, car déjà au pouvoir, il attaqua le mal à la racine et fit fermer toute école philosophique qui faisait mine d'inquiéter les théologiens frileux et incertains de la jeune église romaine.

Nous étions alors en 529 après la naissance de celui qui ne condamna ni Platon, ni Aristote, ni aucun homme d'ailleurs, fussent-ils ses bourreaux ! ...

Mais, sur ces deux-là qui marquèrent l'Histoire de leur nostalgie, que savons-nous de plus ?

Le premier fut empereur, comme jamais ou presque on ne le fut depuis des lustres dans ce qu'il restait encore de l'empire romain ! ... le second, muet, contemplatif, devant l'effigie figée de cet empereur si cher aux allemands, et qu'il ne serait jamais! ...

Tous deux étaient enfants de la guerre !

Tous deux voulurent restaurer un empire plus ou moins fantasmé, plus ou moins disparu, et dont Rome fut tout à la fois la magistrale synthèse et l'improbable fossoyeur ...

Tous deux, fous d'architecture, voulurent marquer de leur empreinte une ville dont les hommes de leur époque étaient empreints, qui Constantinople, qui Berlin ...

Tous deux, de simple extraction, furent happés, quand bien même chacun y contribua sans répit, par un destin auquel nul n'aurait pu songer avant même qu'eux-mêmes ne commencèrent à y croire ... improbable destin qui les avait propulsé au pouvoir suprême ...

Et pour finir, ne vous en déplaise, la plupart des idées de chacun des deux, déterminent en partie nos actuels comportements et représentations ...

C'était mieux avant !

Notre propos n'est pas de mesurer ce qu'ils ont initié, il ne s'agit pas d'une biographie, ni comparée, ni parallèle, mais de tenter de comprendre ce moteur de la représentation du passé que se font les hommes, surtout quand l'un ou l'autre, tel l'enfant roi, a soudain le pouvoir de le reconstituer ...

Toutefois, pour ce qui reste symbolique de leur intervention dans le monde sensible et dont personne ou presque ne se doute plus, à l'un on peut attribuer Sainte-Sophie, sa coupole céleste, ce chef d’œuvre sous lequel chacun peut réfugier sa propre croyance, cœur de la moderne Istanbul, avatar de Constantinople et de l'antique Byzance ... à l'autre, le dessin de la voiture du peuple (Volkswagen) qui véhicula et véhicule encore des millions de jeunes, ignorant tout de la main, ni tendue, ni tremblante, qui dessina sur un bout de nappe, cette petite voûte à quatre roues, synonyme de liberté ...


Pour Justinien, récemment nommé empereur de l'Empire d'orient, comme pour la plupart de ceux dont nous disons qu'ils furent de "grands hommes", le futur appartenait au passé !

Il fallait tout d'abord en finir avec cette parenthèse de près de mille ans où l'effervescence de la démocratique agora athénienne avait remplacé le pouvoir absolu, divin et solitaire du roi-prêtre, reclus en son palais entouré de murailles dissuasives, en finir avec ces philosophes qui, beaucoup trop longtemps, pensèrent le monde sans se préoccuper jamais de ce qu'en avaient dit les dieux; fermer ces temples païens qui prétendaient les accueillir hors de toute présence humaine, alors qu'à sainte-Sophie, église de toutes ses attentions, le Christ n'est présent que lorsque les fidèles nombreux et assemblés célèbrent l'eucharistie.

Avant que les romains, après avoir essayé à leur manière, ne finissent par remettre bon ordre à cet égarement, il y avait donc eu cette période incroyable pendant laquelle, en Grèce, chacun pouvait donner son avis sur tout et n'importe quoi, ce qui avait le don de faire rire les puissants à la cour du roi de Perse ...

Finies les tergiversations ! fini le libre-arbitre ! au diable le "moi" adolescent, la restauration du prêtre-roi, désigné par Dieu et commandant à tout ce qui vivait sur cette réplique du cosmos : voilà le seul rôle qui lui convenait !

Une fois ceci établi, il fallut bien vaquer aux occupations de ce monde, anéantir quelques dizaines de milliers d’opposants, avoir enfin les mains libres pour restaurer la puissance initiale de l'Empire romain dont tous ces barbares venus on ne sait d'où, s'étaient déchirés des pans entiers en occident, comme en Afrique du nord...

Toute enfance à une fin, et celle de Justinien ne fut pas joyeuse, le temps était venu des problèmes insurmontables, la peste pour exemple, dont il pensait en homme de son époque que c'est dieu qui la lui avait envoyée ... alors, il finit par s'en aller doucement vers ce lieu où se prenaient les véritables décisions, ignorant la très grande fragilité de son éphémère reconstruction territoriale, épargné du spectacle de sainte-Sophie bientôt squattée par les nouveaux maîtres qui attendaient sous l'horizon de l'histoire ...

Autre temps, autre mœurs !

Pas si sûr ! ... plus radical encore, le guide suprême de la nation allemande avait envisagé un sursis de mille ans pour la race aryenne, pourvu qu'elle accepte de purifier son sang ...

Justinien refusait la récente évolution de la pensée, l'inhérente émancipation de l'individu, et voulut être le roi-prêtre de ses sujets, comme cela se faisait à Mycènes et encore un peu partout en orient, et, pour ce qui venait de se déliter au pays du soleil couchant, reconstituer l'empire romain tel qu'à son apogée.

L'ambitieux amant de la nation allemande voulait bien plus encore, il s'agissait de remonter à une époque antédiluvienne où la seule loi des hommes était celle du sang, où le moi n'existait pas encore, où la plus petite unité consciente était la tribu, où personne n'aurait pu affirmer "je pense donc je suis", mais, s'il y avait été convié avec beaucoup de patience : je suis de la tribu donc je suis !...

Comment y arriver ?

Comment arriver à cette régression qui fait fi de plusieurs millénaires d'évolution, de brassage, de mélanges ?

Hitler savait-il que l’uniformisation du psychisme, et donc des représentations, dépend étroitement de la pureté du sang ?

Savait-il qu'une très grande consanguinité empêche l'émergence de ce mutant que nous nommons "individu" ?

Bien plus encore, savait-il bien quelle force retardataire le poussait à agir en ce sens ?

Si l'on veut bien analyser les fondamentaux du national-socialisme, la profonde transformation de la société et des consciences qu'il voulait opérer, c'est plutôt vers Sparte qu'il faut tourner notre regard, car c'est vers cet endroit de l'Histoire que, de toute évidence, lorgna Hitler, consciemment ou inconsciemment ...

Certes, les alignements de Nuremberg, les retraites au flambeau, les insignes, les drapeaux, les uniformes, font irrésistiblement penser à des légions romaines endimanchées par Hugo Boss et qui auraient fait un stage graphique en Inde, mais le soldat de la Vehrmacht, dans sa formation, le tout jeune fanatique de la Hitlerjugend, dans sa psychologie, dans ses représentations, est un produit de l'ordre qui pour être nouveau, a tout de l'ancien, voire du très ancien, bref, un spartiate !

Le rapprochement de la construction sociale du IIIème Reich de celle de Sparte est si évident que nous n'en retiendrons que quelques traits significatifs ...

Le nouveau-né appartient, s'il est fort et bien constitué, et à cette seule condition, non plus à sa famille, mais à la communauté qui en fera un soldat dévoué à la défense de celle qui l'a éduqué ...

Pour les autres, une simple piqûre vaut mieux qu'une exposition aux aigles et autres carnassiers sur ce no man's land archaïque où furent abandonnés tous les petits Œdipe d'une histoire qui n'a rien de mythique ...

L'individu ne s'appartient pas, il doit rejoindre quotidiennement les siens à l'exercice ou au banquet, comme à Sparte, ou dans quelque manifestation ou défilé du parti comme à Berlin ...

La représentation dominante est, à Sparte, avec beaucoup d'avance, et à Berlin avec beaucoup de zèle, le darwinisme social, c'est-à-dire la loi du plus fort ...

Inutile de développer ! ... mais pensez plutôt aux derniers mots d'Hitler qui célèbrent la force du peuple slave qui vient de dominer le peuple aryen qui mérite donc la mort : désespoir d'un homme en faillite ou dernière application de sa logique ?

En conclusion, provisoire :

Il est temps de dépasser une morale étroite, de circonstance, "humaine trop humaine!" aurait dit Nietzsche ... Le mal et le bien ne sont pas des entités immuables, car seule compte l'évolution ... Les anciens perses savaient très bien cela ... Aucune morale n'est féconde si elle n'intègre pas le stade où nous en sommes pour ce qui concerne l'évolution de notre conscience ... Au regard de cette évolution, ce qui était bien hier mais s'attarde, devient un mal, ce qui sera un bien demain, mais qui arrive trop tôt est un mal !

Ainsi, vouloir transgresser cette loi universelle, orientée vers un homme nouveau, recréer artificiellement, et par sa seule volonté, l'un ou l'autre de nos passés, produit du monstrueux !


Prochaine communication : Darwin, imposteur ou miroir ?

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