Physiciens quantiques, initiés antiques (suite) ...

Prisonniers à l'extérieur de ce monde qui nous vit naître !

Très peu d'entre nous en ont conscience, mais nous sommes, en quelque sorte, retenus prisonniers à l'extérieur de ce monde qui nous paraît pourtant si familier.

Pour le dire autrement, ce monde si beau, lorsque, préservé de nos souillures, seul notre regard y pénètre, ne nous donne pourtant à voir qu'une infime partie de lui-même, réservant ses merveilleux mystères à ceux, hypothétiques qui, un jour ou l'autre, s'en montreront dignes.

Pour l’heure, le gros de la troupe du "très peu d'entre nous" est composé de philosophes des sciences, mais plus particulièrement de celle qui, à défaut de bouleverser notre représentation du monde, comme il eut été logique et salutaire, révolutionna notre quotidien, dans l'indifférence générale, il faut bien le dire, car prévaut désormais le "tout m'est dû!", insupportable enfant roi de l'ego qui ne sait plus où sont ses petits *

Ce n'est pas faute d'avoir été avertis !

Nous devrions pourtant en être conscients, si seulement nous avions eu l'intelligence d'écouter les messages laissés par les anciens, qui, n'eurent cependant pas l'heur de plaire à notre intelligence de parvenus.

C'est bien là leur faiblesse, que dis-je ? leur tare originelle ! mais, loin de nos agitations derrière ces barreaux invisibles qui nous tiennent à distance des mystères du monde, ils avaient le temps pour eux, et se rappellent désormais à notre bon souvenir.

Oh, il y a bien eu ces générations de philosophes qui doutaient douloureusement de jamais pouvoir contacter "la chose en soi" ( "l'envers du décor", pour ceux qui ne mangent pas de ce pain de l'entre-soi), accusant de ce retard, tour à tour, nos cinq sens qui nous tromperaient sur la véritable nature du monde, ou bien encore notre cerveau qui ne saurait interpréter correctement les messages qui ainsi lui parviennent.

N'envisageant à aucun moment que c'est le monde qui ne veut plus de nous !

Néanmoins, l'effort fut intense, et mobilisa des trésors d'intelligence, mais qui, comme il en est pour nos physiciens, se heurta invariablement à l'intransigeante opacité du réel.

Les anciens, qui ne fréquentaient l’abstraction que depuis peu, avaient, à l'image du mythe expressif qui avait encore de beaux restes, érotisé le problème, il s'agissait alors, pour les initiés, de soulever le voile d'Isis, et un peu plus tard, celui de la jeune Artémis...

Des messages immémoriaux qui se rappellent désormais à notre bon souvenir ...

Difficile pour nous désormais d'admettre que nos anciens aient pu avoir intelligence avec le cosmos et la nature, démunis qu'ils étaient de la notre !

Il faut dire que la Raison qui gouverne désormais nos représentations, à défaut de nos comportements, cumula, en un double mouvement inédit, la démolition du mythe et son partiel réemploi ...

Jusqu'à Platon, ambigu, sur ce sujet au moins, le message des anciens tient encore une place essentielle, au prix toutefois de quelques abandons, d'une difficile adaptation qui nécessitât tout le talent de cet immense dialoguiste.

Mais le mal était fait, celui des philosophes post-socratiques qui doit le plus au mythe, avait porté le coup de grâce en qualifiant ses récits foisonnants (bourgeonnants, il est vrai!) de "contes de nourrices" ...

Une bouteille à la mer ...

Ce temps de l'intelligence avec la nature n'eut qu'un temps, même s'il prit tout son temps !...

Ceux qui avaient connu cette époque, désormais sottement idéalisée, ont manifestement cherché, avant de disparaître, à nous avertir par tous les moyens, y compris par celui auquel ils répugnaient le plus : celui de l'écriture, jusque là réservée à de viles tâches, corsetant les mythes et autres révélations dans l'étroitesse figée de ces signes étranges, et dont chacun, fut-il ignare, non initié, non préparé, pourrait un jour disposer à sa guise, alors qu'ils étaient confiés depuis des millénaires à de saintes et bonnes mains, à la seule tradition orale.

Qui leur en rend témoignage ?

Le nôtre n'hésite-t-il pas entre le mépris et une curiosité condescendante ?... Pauvres de nous !

Comme le dit fort justement Aurélien Barrau, physicien, philosophe des sciences, vulgarisateur jamais vulgaire, un siècle après Rudolph Steiner, initiateur de l’Anthroposophie, et tous ceux qui savent la très grande fragilité de notre savoir comme de nos opinions : "nécessairement, tout ce à quoi nous croyons, sera inévitablement considéré comme mythologie par ceux qui nous succéderont sur cette planète..."

Juste retour des choses, à cette différence près, et qu'ignore manifestement Aurélien Barrau, c'est que le contenu des mythes correspond à une réalité qui fut vécue en images, quand la plupart de nos concepts s'évaporeront comme autant d'hypothèses fugaces ...

Alors, puisque nous sommes désormais entre nous qui savons que l'humilité est à l'intelligence ce que la fleur de sel est aux marais salants, attachons-nous à découvrir, avec dévotion pour ma part, ce que nos anciens disaient de ce moment où nous fumes enfermés à l'extérieur de ce monde qui nous vit naître, qui nous fit naître ...

Un trait commun tout d'abord : que ce soit dans les mythes ou les textes dits "révélés", nous ne décidons de rien, non, nous sommes chassés, expulsés d'un monde où, de toute évidence, nous nous serions bien "éternisés"...

Faut-il en déduire une absence de conscience, de volonté, de liberté ?

La question est d'importance car il fallut des millénaires, et mille fois plus encore, avant qu'un physicien (déjà!), de notre cousinage, dissèque et hiérarchise un processus mystérieux qui jusqu'alors gardait l'incognito : "Je pense donc je suis!" ...

Bref, sans être exhaustif, attachons-nous à deux scènes mythiques, qui, peu ou prou, ont façonné nos représentations:

Zeus, dont la fonction essentielle est de remettre chacun à sa place, les hommes et les dieux, nous chasse du banquet perpétuel que nous partagions avec ces derniers ! **

Au diable, et surtout à un futur hypothétique, naissance et mort, ces bornes arbitraires de la blessure ontologique originelle, car au dijo, était servie sans compter l'ambroisie, liqueur d'immortalité !

Pour les grecs du symposion , le banquet est un paradis !

Chez les hébreux on ne banquette pas, non, du désert naît, chacun le sait, d'étranges et troubles désirs, obsessionnels souvent, car au beau milieu des buissons trônait, ardente et belle à croquer, une pomme !...

Un mythe donc et un texte révélé, ravalé depuis belle lurette au rang de mythe.

Un jour viendra cependant où le mythe sera élevé au rang de révélation, car, faisant fi par avance de nos anachronismes, il n'est pas la mise en récit d'un concept, mais résultat d'un vision directe des initiés et des aèdes, présence au passé, comme disait si bien le grand Jean-Pierre Vernant ...

Et, pour le dire autrement : téléportation psychique temporelle atavique, en un mot : clairvoyance, bien qu'aux derniers temps, il fallut souvent forcer la nature dans les terribles écoles d'aèdes, notamment...

Homère n'en fit-il pas les frais dont il était dit qu'il était le "voyant aveugle" ?...

Plus d'ambroisie par conséquent pour des grecs qui ne tarderont pas à déclencher la première révolution eschatologique, à tout mettre sens dessus dessous, considérant cette vie loin des dieux comme la véritable mort, interminable et fugace moment de l'oubli ...

Plus de jardin d’Éden donc, pour une simple pomme, pour les hébreux, seule occurrence traumatisante où ces habiles marchands avaient perdu au change !...

Un étrange retour des choses ...

L'affaire a vu le jour il y a un peu plus d'un siècle : les découvertes hallucinantes de la physique quantique, la controverse passionnée entre ses hérauts, entre Einstein l'emblématique et Nils Bohr, le challenger inspiré, pour ne prendre qu'un exemple, faisaient alors la une des journaux à grand tirage, et ce, dans le monde entier.

Depuis lors, beaucoup d'eau a coulé sous les ponts, charriant pêle-mêle les cadavres innombrables de la seconde guerre mondiale, l'abandon de notre quête fébrile de ce qui peut bien se passer derrière le voile, au profit de celle du moment, de la tentative d'améliorer un quotidien devenu si difficile ...

A défaut d'avoir révolutionné notre manière de voir le monde, cette mystérieuse reine des sciences, devenue subitement silencieuse, Hiroshima oblige, révolutionna la quasi entièreté de notre quotidien, sans que personne ou presque n'en sache quoi que ce soit...

Mais plus encore, cette révolution conceptuelle inédite par son ampleur, qui rétablit la vision platonicienne de ce monde comme illusion, efface peu ou prou quelques deux milles ans de pensée autoproclamée positive, fut rapidement occultée par le réflexe utilitariste d'homo modernicus qui consacre désormais l'essentiel de son énergie à satisfaire le moindre de ses désirs, à gaver son "moi" qui n'en peut mai de cette boursouflure mais en redemande, ce "moi" qu'il croit bien connaître, mais dont il ne sait à peu près rien : ni quand il apparut dans la longue histoire de l'évolution, ni s'il existera au moment venu pour chacun de disparaître, ni même s'il a une véritable existence, comme le suggèrent nos amis bouddhistes.

Savons-nous vraiment à qui nous devons nos représentations ?

A celui qui se dit exclusivement matérialiste, ce qui, mutatis mutandis, sera bientôt vintage, j'aimerais poser la question de ce qu'il sait vraiment de la physique ionienne, de Démocrite ou d’Épicure ...

En d'autres termes, nos pensées nous sont-elles propres ou sont-elles "sales" de la pensée des autres ? de ces autres sur lesquels nous ne saurions mettre un nom ...

Je n'ai pour ma part aucune prétention à ce sujet, car, tout bien pensé, je ne saurais même avoir celle liminaire de dire "je pense" !...

Je laisse cette appropriation intempestive à Descartes. Sur ce point au moins, il paraît qu'il ne doutait de rien, c'est d'ailleurs à ça qu'il fut reconnu !...

Ceci étant, cet étrange, cet indéfinissable et si troublant sentiment d'être, pour peu que l'on s'y attarde, le devons-nous à Descartes qui, en homme de son temps, l'exprima à sa manière toute personnelle, ou à Zeus qui nous extirpa manu militari de cette douce torpeur exclusive de tout mal-être existentiel ?

Qui s'interroge jamais sur ce qu'il pense ?

Nous interrogeons-nous d'ailleurs sur la provenance, sur le long chemin, sinueux souvent, souterrain parfois, de l'eau que nous buvons ?

En 1950, Werner Heisenberg, l'un des principaux fondateurs de la physique quantique, clôt (qui le sait ? alors que soixante dix années se sont écoulées ...) la longue, l'interminable, parenthèse démocritéenne et sa cohorte de faux guérisseurs de l'âme.

Démocrite, chacun connaît ! ce père de l'atome qui lui échappa bien vite et prétendit, à peine imaginé, être la vérité ultime de ce monde... Pauvre de lui! comme tous les prétentieux, il ne tardera pas (un peu quand même en l'occurrence !) à être humilié par beaucoup plus petit que lui ! ...

"Insécable!" disait-il de lui, bombant le torse, amateur de rodomontades, mais pour finir, pulvérisé! ... Reste le mot, en guise de linceul !...

Faux guérisseur de l'âme, cet Épicure, connu plus encore que le Faust de l'atome, mais pour de mauvaises raisons, car son propos était moins de jouir que de ne point souffrir, et, en cette ambition, de supprimer la cause de la principale de nos souffrances : "la blessure ontologique originelle", disait-il, beau parleur, fourre-tout dans lequel on à peine à distinguer : la peur de la mort, la peur du jugement dernier, le fantasme d'une vie qui perdure sous d'autres modalités, l'idée saugrenue que l'être éphémère, âme comprise, issu d'un improbable regroupement d'atomes puisse survivre à la dispersion de ceux-ci ...

De manière implicite, paraphrasant par anticipation Jean-Jacques Rousseau, Épicure nous dit, le message est clair : "mais pourquoi ne vous contentez-vous pas de vivre, comme l'animal ?"

Ce qui, à tout prendre, serait un statut plus enviable que cet éphémère regroupement d'atomes qui ne savent pas trop ce qu'ils font là ni pourquoi ils s'en iront !

Bref, un raisonnement un peu court pour une parenthèse aussi longue ! ... et qui n'est toujours pas refermée pour nombre d'entre nous pour qui, vraisemblablement par vitesse acquise ou par quelque paresse de l'esprit, la vie est une parenthèse improbable entre deux néants ...

Heisenberg donc, met un point final à la divagation matérialiste, plus de deux fois millénaire, réhabilite Platon, l'un des derniers grands initiés; non à ce titre, bien entendu, mais par ce qu'il voit derrière les équations : au bout du bout, au terme d'une odyssée rocambolesque dans l'infiniment petit, il n'est plus d'objets physiques à proprement parler; apparaît alors le monde magique et fluide des idées et des formes! ...

J'ajouterais, sous mon entière responsabilité, qu'avec Heisenberg, tout comme Ulysse avait fini par retrouver Pénélope, l'humanité tente, après moult et décisives épreuves, ballottée de Charybde en Scylla, de retrouver son âme ...

Quinze ans avant ce coup de tonnerre étouffé sous l'édredon médiatique, un autre père de la physique quantique, Erwin Schrödinger, tente d'expliquer à l'aide d'un chat expéri-mental ( n'en déplaise à Brigitte Bardot!), que dans ce monde quantique qui se refuse à nos sens comme à ces habitudes que nous nommons intuitions, un objet peut se trouver dans plusieurs états à la fois : dans l'expérience de pensée restée célèbre, le chat imaginaire de Schrödinger est en effet tout à la fois mort et vivant, sans autre torture que celle infligée aux méninges assoupies par des siècles de rationalisme, par des siècles de dictature aristotélicienne où ceci n'est pas cela, alors que ceci peut être aussi cela, et sans délai, pour peu que notre regard ne vienne pas, par sa seule présence, contrarier l'ordre mystérieux du monde...

A ce stade d'effondrement de certitudes lentement acquises, quand bien même ce fut souvent par sauts brusques, Heisenberg se tourne vers Platon, et Schrödinger vers l'Advaïta Vedanta, dit-on communément dans la petite communauté des spécialistes.

Sommé de s'expliquer sur son concept d'onde stationnaire qui se comporte en même temps comme un ensemble de particules, il assène cette réponse énigmatique au curieux de passage: "les particules ne sont que la crête d'écume sur l'océan de mon onde !" ...

Cette métaphore, élégante comme une équation prometteuse, me fait furieusement penser à une magnifique philosophie initiatique, science spirituelle clairvoyante, très antérieure, de plusieurs millénaires, à l'Advaïta Vedanta, et qui a pour nom Sâmkhya.

Cette école de pensée spéculative, post Veda, dotée de facultés de perception aujourd'hui disparues, s'était fixée pour but de décrire la descente de l'âme à travers les formes immatérielles puis matérielles, son rapport de forces avec chacune d'entre elles selon les circonstances et les individus, et fera l'objet d'une communication spécifique, tant elle peut une fois de plus éclairer la pensée occidentale.

Je dis "une fois de plus" car il me semble bien en trouver plus d'une trace dans le néo-platonisme.

La métaphore de Schrödinger correspond trait pour trait au deuxième stade de cette descente qui décrit le processus cosmique de différenciation ...





* combien de prix Nobel de physique quantique peut-on retrouver dans la conception d'un smartphone ?

** Ces scènes mythiques sont, pour les mieux intentionnés d'entre nous, d'amusantes inventions car nous ne savons plus rien de la conscience de ceux qui leur donnèrent le jour : nous, nous sommes conscients le jour et, d'une certaine manière, inconscients la nuit.

A l'inverse, les hommes qui nous précédèrent de plusieurs millénaires sur cette terre, étaient conscients la nuit du monde qu'ils fréquentaient et dont nous fûmes chassés, ne disposant pas par ailleurs de la conscience claire diurne qui nous semble si normale.

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