Le christianisme peut-il ressusciter ?

Si Marie-Madeleine s'avançait aujourd'hui dans l'ombre sépulcrale d'une de ces innombrables églises abandonnées, aurait-elle à nouveau la vision d'un jeune homme en robe blanche, assis sur l'autel, et qui lui dirait : "Celui que tu cherches n'est plus ici!"... *

Fille aînée de l’Église : la mantille est passée de mode, avec quoi pourrais-tu bien désormais te voiler la face ? ... n'es-tu pas à ton tour le tombeau déserté ?

Certes, après tant de renoncements, tant de concessions au siècle, tant de fourvoiements dans des domaines qui relevaient moins de ta compétence que de ton féroce appétit de pouvoir, après tant et tant de crimes, comment ne pas accueillir dans la plus stricte intimité ce qu'il reste d'une parole désormais inaudible, après que celle du Verbe dont tu te réclamais encore dans ta folle jeunesse, fut inexorablement dévoyée, trahie, foulée au pied, du haut de la chaire accusatrice...

Fille aînée de l’Église, vieille fille, tu n'as pas "fait" d'enfants !

Goethe pensait-il déjà à toi lorsqu'il disait avant même tes derniers soubresauts : "ce qui est vrai, est fécond!" ...

Pour tenter de répondre à la question initiale, peut-être pourrions-nous commencer par nous interroger sur la véritable date de naissance du christianisme !

La réponse va de soi, me direz-vous!

Eh bien non, et c'est bien là toute la complexité de cette religion qui tait depuis trop longtemps ses origines, ce qui n'échappa pas à saint Augustin.

Celui-ci n'avait-il pas écrit : "ce que l'on appelle le christianisme, a toujours existé !..."

Oui, c'est écrit de sa main dans les "confessions", qui nécessitèrent, de toute évidence, pour qui connaît un tant soit peu l'homme dont la raison gouverne ses intimes raisons, une longue, très longue réflexion, une méditation, envisageant, en toute solitude, le pour et le contre, les terribles ravages qu'une telle affirmation pourrait déchaîner une fois remise entre de mauvaises mains, si contraire à tout ce que ses pairs s'acharnaient à démontrer, pour tenter de faire exister la toute nouvelle église sur les sables mouvants d'une table rase ...

Mais, contre toute attente, il ne se passa rien, ses enfants spirituels ayant refusé cette part de l'héritage, la passant sous silence - comme il était aisé à l'époque - eu égard à la dette qu'elle supposait envers un passé honni ...

Alors la question se pose : Augustin d'Hippone, propulsé "Père de l’Église", sanctifié sur le tard, et qui pour autant ne tarda pas à éclipser la plupart de ses pairs dans notre mémoire indistincte, était-il bien qualifié pour asséner pareil jugement à des consciences qui n'y étaient pas préparées ?

Avant de livrer à l’écrit cette bombe à retardement, avant de s'être converti, sur le tard là-aussi, Augustin avait "vu du pays", comme l'on dit de ceux qui, dans un premier temps au moins de leur vie, refusent "d'être né quelque part" ...

C'est que ce fils indigne, ne succomba pas de suite aux charmes de l'église de sa mère, qui devint beaucoup plus tard sa mère l'église, et venait elle-même de succomber à ceux de l'empire romain ... Non, Augustin avait besoin de vagabonder, sa quête de vérité l'emmena loin des frontières terrestres, culturelles, psychiques, de leur abyssale insuffisance ... tel Ulysse, il navigua entre plusieurs eaux, ballotté de Charybde en Scylla ... son odyssée, certes, fut plus prosaïque, plus conceptuelle, comme il était de mise à son époque : du dieu de Plotin dont décidément on ne pouvait plus rien dire, au Christ décidé à tout dire de ce qui était tu à la plupart, en passant par Mani qui, décidément, une fois passé le temps de l'engouement, ne lui disait plus rien !...

Fallait-il cette révélation venue d'un des plus grands combattants de la foi, pour envisager le mystère de cette religion cachée qui précède et éclaire de tous ses feux, la naissance de Jésus de Nazareth ?

Depuis que la lecture des évangiles est accessible aux ouailles, et pour qui s'en donne la peine, n'avons-nous pas sous les yeux la parfaite illustration du propos objectif de cet intellectuel flamboyant, analyste voyageur, initiateur de l'introspection, désormais vénéré par tous, croyants et athées confondus ?

Pour lui faire écho, je voudrais rappeler ici la remontrance que fit Alexandre le fougueux, à son maître Aristote, avant de devenir grand à son tour ...

Ce jour-là, il laissa libre cours à son insolence : l'obligé de son père n'avait-il pas divulgué à ceux que lui, Alexandre, n'en jugeait pas dignes, certains secrets, déjà synonymes de pouvoir ? ...

Confronté à un passé lointain et qui s'attarde (de nos jours encore!), Aristote ne chercha point d'autre défense que celle d'une évidence : peut importe que les mystères soient divulgués, car la plupart n'ont pas d'oreille pour les entendre ...

Ainsi, serais-je curieux de savoir combien parmi ceux qui "pratiquent" ( comme l'on dit d'un sport !), bref, qui se rendent en tenue adéquate à leur club du dimanche matin, savent ce qu'il en est vraiment des premières lignes de l'évangile selon Jean ?

" Au commencement était le Verbe, et le Verbe s'est fait chair ! " ...

De quel verbe s'agit-il ? ... "au commencement", c'est-à-dire avant qu'il n'y ait quoi que ce soit ! ... quel est donc ce moment où il décida de se faire chair ? ... malgré l'ombre portée par le non-dit de la dogmatique romaine, Jean est on ne peut plus clair à ce sujet : c'est à "l'occasion" du baptême dans le Jourdain ... soit trente ans après la naissance de Jésus, par laquelle commencent les évangiles de Mathieu et de Luc, témoins d'un autre aspect du mystère ...

Ce choix de relater la nouvelle aventure du Verbe sur cette terre, passation de pouvoir entre ce passé qui devait diminuer et cet avenir destiné à croître, selon la prophétie de Jean-Baptiste qui avait encore la tête sur les épaules, est lourd de sens, dès lors que Jean, cet enfant des mystères d’Éphèse, ne s'intéresse qu'à la double nature du nazaréen !

L'homme "simple" nommé Jésus, nouveau concept apparu au 19ème siècle, a fait beaucoup parler, notre époque est-elle d'ailleurs capable d'autre chose ? ... le Christ, désormais exsangue ne fait plus couler beaucoup d'encre, quant au Verbe ? ...

Le Verbe, le Logos, ce profond mystère qui était étudié depuis des siècles à l'école initiatique d’Éphèse, n'est-il pas la porte qui s'ouvre sur le monde mystérieux de l'évangile selon Jean ?

Quand bien même Jésus a beaucoup parlé : aux uns, les plus avancés, par des concepts; aux autres, plus nombreux, par des paraboles; aux autres encore, en voie d'extinction, au moyen de visions, période de transition psychique oblige; le Verbe dont parle l'auteur de l'évangile selon Jean est à l'évidence le Verbe cosmique.

Flash back : à Éphèse, les initiés à la pensée nouvelle, précurseurs des philosophes, entreprirent, dans le plus grand secret ( il en allait de leur vie!), de décontaminer les dieux du peuple des images que celui-ci s'en faisait. Il est vrai qu'en cette période de mutation du psychisme humain qui migrait lentement d'un monde vécu en images à un monde perçu au moyen de concepts, les dieux du peuple ne pouvaient satisfaire aux exigences de la pensée nouvelle.

C'est d’ailleurs au même moment, étonnamment fébrile, étonnamment fécond, occidental en somme, que les héros de l'épopée font place à la tragédie de l'individu; la versification incantatoire à la prosaïque prose, le temps cyclique au temps linéaire; l'individu, à la tribu, comme unité de base; le roi-prêtre à la démocratie; le vertical à l'horizontal, la confiscation de l'Esprit par un seul, au temple ouvert à tous (soit environ du 7ème siècle au 4ème siècle avant J.C.)

Pressés d'en finir avec un passé encombrant, à l'instar des pères de l'église, leurs inavoués prédécesseurs, les modernes diront un peu vite - donc sans véritable amour!- de cette période ô combien féconde, ô combien complexe : que nous assistons-là au passage "miraculeux" du mythe à la raison !

Fort heureusement, il me semble qu'à ce spectacle artificiel, paradoxal, manichéen ( au mauvais sens du terme ), qui un temps battit son plein, il n'y a plus grand monde !

Bref, un temps de mutation du psychisme humain qui ne laissa pas beaucoup de traces physiques, mais de nombreuses traces dans les esprits.

Que savons-nous encore de cette indicible souffrance, de ce manque abyssal, de cette nostalgie, comme le cria Empédocle dans le désert de Sicile, cinq siècles avant J.C., sans émouvoir beaucoup plus nos élites assoupies, ignorantes de ce sentiment de "ne pas se sentir chez soi" exprimé par les soufis perses, 17 siècles plus tard, qu'il nous est donné d'entendre aujourd'hui par la voix inspirée du très regretté, de l'immense Henri Corbin, seul capable, à mes yeux, de ne pas ensevelir le mystère de la résurrection sous les vaticinations des théologiens romains, que leur incapacité notoire et installée à expliquer l'inexplicable ne semble toujours pas empêcher de nuire, mais de nous permettre d'y accéder par la révélation mystérieuse et pourtant limpide de ce qu'il appelle le " monde imaginal".

Henri Corbin, c'est le moment où jamais de nous y arrêter !

Comment le définir d'un mot ? ... comment définir ce chevalier de l'Esprit à la reconquête des esprits ?

Il nous a laissé "le monde imaginal", disent à juste titre ses nombreux admirateurs; je dirais plus volontiers : il nous a restitué ce monde intermédiaire que l'occident a progressivement exclu de ses représentations, lieu de passage et de rencontres improbables entre notre monde sensible et le monde intelligible, où se produit, lorsqu'il se doit, la rencontre mystique entre l'homme et le monde intelligible, où les infirmes que nous sommes, comme disait Maître Eckhart, sont admis à une première guérison....

Si, secrètement, vous avez déjà essayé de réintégrer le mystère de la résurrection du Christ à vos représentations, mystère sans lequel, entendons-nous bien! ... le christianisme n'existe pas, ou si peu!... il vous faut désormais intégrer l'enseignement d'Henri Corbin, qui nous ramena d'orient ce que l'occident ne sait plus nous dire...

Merci Henri Corbin !


Pour en revenir à la question initiale !

Comment le véritable christianisme pourrait-il ressusciter puisque, jamais né, il ne pouvait mourir ?

Mis à part l'énigmatique prologue de l'évangile selon Jean, l'évangile qui laisse le plus clairement apparaître cette étrange vérité, est celui qui fut écrit selon Marc, où l'on voit, lors du dénouement de cette période de trois ans au contact des hommes, un jeune homme en robe blanche, théophanie du Christ cosmique, s'enfuir lors de l'arrestation de Jésus, et que l'on retrouve, un peu plus tard, assis sur la tombe désertée, lorsqu'il dit à Marie-Madeleine : celui que tu cherches n'est plus ici !

Au commencement était le Verbe ! ce à quoi le Verbe fait écho à la fin de l'évangile selon Marc : "ce monde passera, mais mes paroles resteront! "...



* il ne s'agit pas là d'une mise scène, mais de la transposition à notre époque d'une des dernières scènes de l'évangile selon Marc ...

L'évangile selon Marc est pour moi le plus poignant, le plus étrange, le plus difficile, en ce sens qu'il réunit le concept du Verbe, du Christ cosmique, et la souffrance indicible de Jésus sur la croix, porteur "abandonné" de l'entité qui l'anima pendant trois ans ...

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