Quand l'Occident hésitait encore ! ...

Orient vs Occident !

Que reste-t-il de nos différences, si l'on sait, pour ne prendre qu'un exemple, que nombre de cadres indiens rêvent d'un mode de vie à l'occidentale, tandis que leurs homologues occidentaux se pressent depuis près de cinquante dans le premier monastère tibétain du Périgord ?

Ce que l'homme a de commun avec l'oie, c'est l'empreinte initiale, gardienne intransigeante de ce que nous avons de plus intime, enfoui souvent, mais qui reviendra tôt ou tard se rappeler à notre bon souvenir, gloussant d'avance et se dandinant ... Ne voit-on pas les premiers, ayant troqué le turban pour le costard-cravate et le smartphone non renonçant, s’agenouiller devant un maître spirituel de passage, et les seconds, sitôt rechaussés leurs souliers à la sortie du temple, rendre un hommage appuyé au foie gras, ce rite périgourdin ancestral qui ne cédera plus un pouce de terrain, après celui qui fut accordé au monastère...

Une parenthèse plus de deux fois millénaire est-elle en train de se refermer, qui s'ouvrit avec cette Grèce encore ensommeillée, s’extirpant à grand peine de la matrice orientale, de son interminable rêve éveillé?

Pour tenter de caractériser l'évolution de l'Homme qui conduit jusqu'à nous, l'anthropologie moderne, aime à poser ici et là, sur une ligne imaginaire et qui serait continue, quelques jalons incontestables ...

Hors des idéologies, des querelles d'école, des révélations avortées aussitôt qu'adoubées, voyons ce qu'il nous reste, dont nous serions à peu près sûrs, au moins jusqu'à plus ample informé :

Station debout, maîtrise du feu, premières tombes intentionnelles, art pariétal, sédentarisation, "invention" des dieux, religion, écriture, civilisation palatiale du prêtre-roi ...

Autant de traces extérieures de l'évolution d'un comportement, mais qui, mis à part quelques déductions bien souvent hasardeuses, idéologiques plus souvent encore, anachroniques, nombrilistes, ne nous disent rien ou presque de l'évolution du psychisme de nos prédécesseurs, avare il est vrai, de restes imputrescibles ...

La vérité oubliée, c'est que le dernier rejeton de cette prodigieuse odyssée , nous l’appellerons "l'homme intérieur" (vous et moi par conséquent) est d'extraction récente.

A l'échelle de l’évolution humaine, si l'on retient par compassion la chronologie qui nous intima l'ordre de descendre de l'arbre il y a trois millions d'années, pour la rapporter à une journée de 24 heures, l'homme intérieur est né en toute fin de journée, quatre vingt six secondes avant minuit ...

C'est un peu court pour s'en faire une idée - me direz-vous - mais si l'on sait que ces quatre-vingt six secondes représentent les trois mille dernières années, on peut toutefois épier sa naissance en Grèce quelque part entre le VIIème et le IVème siècle avant JC, entre Homère et Platon, entre le souvenir mythique des héros irresponsables, amateurs de vie courte mais glorieuse, et la réalité de l'homme nouveau, fragile et douloureux, en proie aux affres conjugués du temps qui passe et du doute qui s'installe, en quête de salut.

Bien entendu, la mutation pu prendre, ici, quelque avance, et là, quelque retard ... en témoigne la si touchante et imprévisible défaillance du héros indien Arjuna sur le champ de bataille de la Baghavad Gîta, qu' Achille eut été bien incapable de comprendre, alors que seuls ou presque, un espace et trois fleuves les séparait.

L'homme intérieur a donc un peu moins de trois millénaires !

Pour tenter de nous faire une idée de cette fantastique mutation, le mieux n'est-il pas de la prendre sur le fait en Grèce où elle est, pour qui se donne la peine de la traquer, amplement documentée.

En l'espace de deux siècles, entre le VIIème siècle d'Homère et le Vème siècle de Socrate, les héros entament et poursuivent une étrange migration qui les mène des terres du mythe et de l'épopée à la scène du théâtre tragique, de la possession divine qui tout se permet, à la responsabilité de ses actes, de l’insouciance légère à l'unique instant du choix, d'un temps cyclique qui renouvelle tout ce qu'il détruit, au temps linéaire qui nous entraîne inéluctablement vers la mort ...

Que s'est-il donc passé pour que tout cela advienne? ... qui en a jamais décidé ? ... où? ... dans quel but ? ... y avait-il seulement un but ? ... qui en est témoin ? ... et, s'il y avait bien une cause, où aurait-elle produit les mêmes effets ? ... car après-tout, la Grèce n'est qu'un instant du monde !...

L'expulsion du monde spirituel, car c'est bien de cela qu'il s'agit, ou, pour le dire autrement, cet enfermement à l'extérieur de la nature, que les hindous nommèrent "maya", avant, bien avant, que ce syndrome d'exclusion n'affecte la fine fleur de nos physiciens, n'aurait su prendre place dans l'histoire d'Hérodote ...

Comment son enquête aurait-elle bien pu porter sur des faits vieux de près de mille ans, n'ayant jamais fait l'objet d'un quelconque écrit, étrangers, déjà, à la sourde marche du monde ?

En orient, la réaction ne se fit pas attendre :

Au constat désabusé de l'Hindouisme nostalgique du temps des révélations, de ce temps des Veda où l'homme était encore au contact des dieux, les bouddhistes, arrivés sur le tard, rien ne retranchent ni n'ajoutent, le verdict est sans appel : ce monde est un monde de douleur, et la source de notre malheur a deux causes : l'ignorance et le désir !

Toutefois, l'ignorance n'est pas celle qu'on croit, au moins dans l'occident du livre ... non, l'ignorance n'est pas absence de savoir, mais oubli !...

Oubli de notre véritable patrie où il convient de retourner en se donnant les moyens de ne plus jamais revenir dans cet endroit désormais privé de ciel.

Loin de toute morale occidentale, les soufis iraniens, assis au carrefour, pour l'heure inconfortable, de la plupart des grandes spiritualités, affirment que la seule faute de l'homme, c'est de ne pas être chez soi !...

Jusqu'à il y a peu, l'orient semblait avoir tranché : refus de cette vie, renoncement à tout ce qui nous y ramène inexorablement, notamment ce corps de désirs qui finit par se prendre lui-même pour objet, refus de l'expérience sensible, refus du "moi" et de sa monstrueuse excroissance : la liberté ...

Devenir spectateur de soi-même, se mettre hors d'atteinte de l'emprise de ce monde délétère ! ... voilà le vecteur qui permettra de prendre la tangente du cycle infernal des réincarnations...

Le "miracle grec" ou quand l'Occident hésitait encore ! ...

Le "miracle grec" : comment nommer plus mal ce moment de l'humanité qui, précisément, vit l' avènement de la Raison ?

Pourtant, à y regarder de plus près, cela pourrait y faire penser, car entre Homère et Platon, rien n'était joué pour l'Occident ... et donc, faut-il le rappeler, pour vous et moi ...

Le refus de ce monde tel qu'il était devenu, n'était pas moins virulent que dans l'Inde de Bouddha ... cela vaut pour les attitudes devant la naissance, ce commencement de l'oubli, devant le corps, cette prison de l'âme, devant le temps délétère qui emporte et corrompt tout ce qu'il a vu naître, devant ces dieux qui se comportent comme des hommes, devant ces hommes qui ne savent plus qu'ils furent des dieux ...

Sur les rives du Gange comme dans les centres des mystères du Péloponnèse, de Sicile ou d'Ionie, la réaction ne se fait pas attendre : ascèse, purifications, exercices spirituels, exercices de mort ("mélétè thanatou", pour ceux qui ont survécu ! ...), toutes conditions nécessaires à l'arrêt du cycle des réincarnations.

Et la ressemblance s'est installée jusque dans les mots : Platon ne résume-t-il pas les quelques deux ou trois siècles du grand basculement des représentations par cette sentence adressée à qui a des oreilles pour ne pas entendre et autres non-initiés : la plus grande faute pour l'âme, c'est l'ignorance dans laquelle elle se trouve de sa véritable patrie ? ...

"Le grand basculement des représentations" : entre Homère et Platon, l’Hadès, l'enfer, migre des entrailles de la terre au plancher des vaches, du tartare étouffant au premier inspir ... l'enfer de ces grecs partis à la conquête du "moi"et de sa promesse de liberté, ce n'est pas "les autres" comme aimait à dire Jean-Paul d'en l'entre-soi du Café de Flore, c'est " yo soy yo, y mi circunstancia", comme l'avait si bien entrevu José, dans les lieux peu familiers de son exil ...

Que s'est-il donc passé pour que les premiers physiciens, issus pour la plupart des sectes philosophico-religieuses nouvellement organisées autour de la recherche du salut, et partant, du refus de la vie, aient, pour leur part, choisi de ne point fuir, mais bien au contraire de tenter de lever un coin du voile d'Isis, vaille que vaille, avec les moyens du bord, avec cet attelage incertain du cerveau et des cinq sens, abandonné en chemin par quelque dieu en déroute ?...

Pour une première tentative de réponse à cette énigme, je laisserai la parole à Michel Bitbol, épistémologue, philosophe des sciences et notamment de la physique quantique, qui en peu de mots a mis le doigt, sans le savoir, à tout le moins sans l'affirmer, sur le mystère et la mission de l'occident :

"Il n'y a aucun doute sur le fait que notre accès au réel est soumis à des limitations ... infranchissables ... qu'elles génèrent au fond ... une théorie aussi puissante que l'est la mécanique quantique ... si le corps physique était complètement transparent, si tout était parfaitement cristallin, que pourrions-nous en dire, que pourrions-nous en prévoir ?"

J'ajouterais : dans cet exercice, dans ces travaux d'Hercule, qu'est-ce qu'il se joue, si ce n'est la construction d'un homme libre, dont la conscience devenue claire célébrera bientôt la beauté et le mystère d'un monde remis en ordre ?













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