De l'idée comme fait, à l'idée qu'on s'en fait !

Des idées platoniciennes, penser que Platon en aurait eu un jour l'idée, serait assurément s'en faire une très mauvaise idée ! ...

Raymond Devos, exhibitionniste pudique, virtuose du quiproquo, n'était pas en peine de trouver chaque soir un public nombreux et dévot pour sa branlette féconde, tentant à sa manière, qui certes n'en manquait pas, de nous initier à l'inexorable dérive du sens des mots, à leur plasticité extrême, dès lors qu'en toute fantaisie, nous les emmenons là où ils n'auraient su aller d'eux-mêmes...

Prenez l'emblématique expression "à vau-l'eau" devenue, au "fil du temps", auto-référentielle : avait-elle en amont d'autre ambition que d'immortaliser une image bucolique, de décrire ce mouvement, qui s'attarde parfois, comme en suspens, le temps d'un tourbillon hypnotique ... de ce qui va, et s'en va, au fil de l'eau, dans le sens du courant ? ...

Ce "sens du courant", qui bientôt quitta les rivières paisibles pour le brouhaha des bancs de l'Assemblée ou les vallées siliconées du business fébrile, et jusqu'à l’Église qui oublia la Parole pour s'intéresser à ce qui se disait en ville.

Quant à l'expression elle même, issue du vieux français, observation paisible de la vie telle qu'elle va, à son rythme millénaire, auto-organisé, intelligent, qui ne nous demandait rien d'autre que d'être là, silencieux, pour une communion au goût d'éternité, elle désigne désormais le délitement, la précipitation vers le néant, la prochaine extinction ...

"Au fil de l'eau", "dans le sens du courant", en apparence on parle bien de la même chose ! ... et pourtant, si " Au fil de l'eau" convoque encore une image, "dans le sens du courant" signifie beaucoup plus, selon que le récepteur est plus spontanément adonné à la contemplation ou à l'abstraction.

Ce passage du monde vécu en images au monde vécu en concepts, dont on peut épier la progression dans la Grèce des tout premiers philosophes, n'est toujours pas achevé, mais moins encore conscientisé.

De ces maîtres oubliés, nous avons gardé nombre de leurs mots, mais pour autant, parlons-nous le même langage ?

Mais, sans aller si loin, nous-mêmes, vous, moi, avons-nous la garantie de parler des mêmes choses au prétexte que nous employons les mêmes mots ?

Ainsi, dans ces années où la neurobiologie décidait du monde, la mode était à débusquer la dominante cérébrale du quidam, soudain promu au rang d'objet statistique, ce qui n'est pas moins que rien pour celui qui ne figurait nulle part, et trônait désormais sur un graphique scientifique, non comme un individu, chaque chose en son temps, mais au sein dune courbe ...

On lui posait alors une question ouverte, en apparence, car le piège ne tarderait pas à se refermer, non sur lui, mais sur ce qu'il ne savait pas de lui, et dont certains auraient pu faire mauvais usage ...

Sous couvert d'une étrange banalité, la diabolique question était : si je vous dis "amour", dites-moi, sans prendre le temps de réfléchir, c'est important, quelles images vous viennent immédiatement à l'esprit ?

Le protocole était strict, vous l'avez bien compris, il ne fallait pas que le numéro 2808 appelé pour le test puisse se rendre compte du piège et commence à faire son numéro, ce qui aurait faussé l'enquête ...

Ceux qui demandaient d'emblée ce que l'esprit venait faire en cette affaire, étaient recalés d'office, nous en savions assez sur eux ...

Cette libération de la parole sous caution scientifique, plus efficace que le plus efficace des déboucheurs de lieux d'aisance, légitima pour certains sondés l'expression naturelle et sans limites d'un vécu jusqu'alors clandestin : les images étaient très localisées : baiser, et autre manie héritée d'une ville disparue de l'ancien testament, etc.

Bref, ceux-là étaient manifestement restés en arrière, faisant preuve sans détours d'une dominante cérébrale reptilienne ...

Exposés à ce stimulus, d'autres voyaient des seins comme s'il en pleuvait, évoquaient la chaleur maternelle, de fortes émotions, des odeurs familières, les caresses, l'amitié ... démontrant à l’évidence une forte empreinte du système limbique dans le décodage du signal, nous étions passés au mammifère ...

Le troisième groupe, dubitatif de prime abord, entendait tout d'abord questionner la question, avant d'émettre des théories, qui sur l'amour courtois, qui sur le romantisme, qui sur le retour sur investissement, qui sur le rapport entre le premier éros et le second éros ... de manière très logique, on les rangea dans la dominance du néo cortex ...

Sans doute, cette investigation avait-elle ses limites, dans le temps en tout cas, puisque plus personne n'en parle, mais n'avait-elle pas l'immense mérite de montrer que, si "le monde est ma représentation" comme disait Schopenhauer, nous nous déplaçons alors dans un multivers qu'il n'y a donc pas lieu d'aller chercher au fin fond du cosmos.

Cette dérive incessante, héraclitéenne, du sens des mots, fait que nous ne pouvons plus rien comprendre au psychisme de ceux qui les employèrent.

1945, à nos yeux sinistrés, que les archives cinématographiques promènent en noir et blanc dans l'étrange et monotone spectacle des villes allemandes bombardées à partir d'un ciel vengeur, s'oppose soudain le défi graphique et conceptuel de quelques façades fantomatiques qui refusèrent de s'écrouler ...

La vie qu'elles abritaient ou dissimulaient, s'est estompée avec la poussière qui avait fini par retomber. On les conserva néanmoins, non pour faire du neuf avec de l'ancien, mais pour dissimuler, conformément à leur vocation première, le fait que tout avait changé ...

Ainsi en va-t-il des mots !

Un des premiers à comprendre l'intérêt de ce phénomène en politique fut l'empereur Auguste qui s'empressa de garder le nom rassurant des institutions de la République, les vidant toutefois subrepticement de leur contenu, première étape de la Pax Romana intérieure, qui fort de ce premier succès, adopta tous les dieux des populations occupées pourvu qu'il sacrifient, ne serait-ce que pour la façade, au nouveau dieu de Rome.

Laissons donc passer la cohorte bruyante des historiens de la philosophie au service de la vérité du présent, des philologues onanistes, des aveuglés des lumières, des vendeurs d'anachronismes, des exportateurs de présent dans le passé, pour nous attarder, le calme enfin revenu, au psychisme de ceux qui nous précédèrent à la surface de Gaïa ...

Tout le monde ou presque a entendu parler de Homère, mais personne ou presque ne sait ce dont il n'avait jamais entendu parler ...

L'âme, le ciel bleu !

Pour ce qui concerne l'âme, que les muses ne lui avaient pas présentée et qui attendait son heure sous l'horizon de l'histoire, je vous encourage à lire le développement précédent intitulé "L'Homme, cette invention!" du 29/03/2020, situé dans "AUTRES ARTICLES" en bas de page, à la fin de ceux qui figurent à l'écran.

Pas de ciel bleu en Grèce !? ...

Au temps d'Homère, la relation de l'homme au ciel se passe de couleurs, elle est psychique, variation de sentiments en fonction de la plus ou moins grande luminosité de cette limite basse du monde spirituel.

Et s'il s'agit de lui attribuer absolument une couleur, on ira plutôt sur le rouge, ou le jaune ...

Il existe un éclairage, si j'ose dire, à ce mystère que les scientifiques et les philologues ont mis à jour sans pouvoir l'expliquer.

Tournons notre regard vers l'Inde ancienne, et plus particulièrement vers une école de pensée qui s'appelle le Samkhia ... l'intégralité des formes et des phénomènes y est analysée dans le rapport, équilibré ou déséquilibré, qui existe entre l'esprit et la matière (matière entendue au sens large des formes visibles et invisibles), entre la lumière et l'ombre.

Ainsi, s'il s'agit des couleurs, le spirituel est dominant dans le jaune, l'orange et le rouge; les forces sont à égalité dans le vert; l'ombre, la matière, est dominante dans le bleu et le violet.

Goethe a tenté d'initier ses contemporains à cette sagesse multi-millénaire, mais les esprits n'étaient pas prêts. Il est vrai que nous étions encore dans l'âge sombre, le Kali Yuga ...

Les idées de Platon, le dernier des philosophes initiés, ne sont pas des constructions, le résultat de spéculations, ce sont des perceptions lorsque son regard se tourne vers le ciel le plus bas, vers cette limite du monde intelligible.


Comment comprendre cela, nous qui disons "je" pense ?























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