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Affichage des articles du avril, 2020

La fin du rêve de Judas

Claudia s'était éclipsée à l'intérieur du palais, le laissant seul avec lui-même... Privé de la justesse de ses analyses, de ses questions qui souvent tenaient lieu de réponse, il s'entendit dire machinalement : quel drôle de peuple! Comment en étaient-ils arrivés là, à cette attente fébrile d'un messie ? Se sentaient-ils à ce point en danger, en perdition, qu'il leur fallait un sauveur ici et maintenant... Mais, comme si Claudia eut été encore présente à ses cotés, il balaya d'un revers cette idée trop simpliste. Tout bien considéré, cette attente n'était-elle pas universelle, partagée par tous les peuples ? Par les romains eux-mêmes, jusques et y compris par le plus illustre d'entre eux, César Auguste, premier empereur, fossoyeur de la république, quoi qu'il en dise, et qui ne résista pas plus que de bienséant à l'idée de sa prochaine divinisation... Plus qu'aucun autre dirigeant de Rome, Auguste avait su prendre tout le temps que

Retour à Jérusalem (suite extrait du 21/04/2020)

Mais, plus encore, il n'eut pas rétrospectivement le sentiment que celui qui lui faisait face - si l'on peut dire - correspondait en quoi que ce soit à toutes les relations qui lui étaient parvenues à son sujet, qu'elles proviennent de convertis, d'adversaires ou de sceptiques ... L'image étonnante de Judas lui revint alors en mémoire : "le temple de chair"... Celui qui s'était tenu en face de lui alors que la foule versatile exigeait désormais la mort sur le champ, n'était-il plus qu'un temple déserté ? Et, lorsque dans un ultime réflexe il voulut lui demander de s'exprimer, ne serait-ce que sur cette question qui avait taraudé toute l'antiquité, sur la question de la vérité, il n'avait obtenu aucune réponse. Sur le moment, il n'avait fait qu'enregistrer cette étrangeté, en concluant rapidement que Judas s'était considérablement trompé, grossièrement fourvoyé sur les pouvoirs de ce pauvre hère dont, contre toute a

Retour à Jérusalem (suite de l'extrait du 20/04/2020)

La lune tout là-haut avait disparu derrière la masse menaçante d'une coalition de nuages. Dans le désordre de ses pensées, une autre entrevue avec Judas lui revint soudain en mémoire; il ne se souvenait pas du début, mais une phrase de celui-ci l'avait particulièrement frappé. Totalement investi dans sa vision apocalyptique, débarrassé de son habituel contrôle, il lui avait affirmé non sans une certaine véhémence: - le galiléen, comme tu dis, lui refusant en cela toute transcendance, est le messie que tout mon peuple attend depuis des siècles... Pilate, refusant de se laisser impressionner, tenta une approche de contour : - comment peux-tu en être sûr? les hébreux furent-ils seuls à l'attendre fébrilement depuis le crépuscule des dieux? Et parmi les hébreux, combien des vôtres et non des moindres, n'ont-ils pas affirmé qu'Auguste César était bien le messie attendu par les nations? Judas accusa le coup. Bien au fait de ce qu'il jugeait être des erremen

Retour à Jérusalem ( suite de l'extrait paru le 18/04/2020)

Il sentait bien que Judas tentait de le manipuler, son ambition messianique débordant largement à l'évidence le petit arrangement temporel qu'il s'acharnait à lui proposer. Mais encore une fois, parmi les extrémistes, il était le seul qui tentait d'arriver à ses buts par le dialogue, même si son discours était truffé de faux-semblants, de trompe-l’œil plus ou moins réussis, bien loin en tout cas des beaux raisins peints par Zeuxis, si réalistes que les oiseaux s'étaient jetés dessus... Non, Judas n'avait décidément pas ce talent, mais il désirait ardemment que la réalité vienne s'ajuster à l'image qu'il en avait. D'ailleurs, tout bien pesé, qui manipulait qui ? L'essentiel d'ailleurs n'était pas là, n'était plus là. Pilate essayait de se faire une idée de ce qu'il se passait vraiment derrière cette agitation nationaliste désordonnée, cacophonique certes, mais qui, le passé en témoignait, pouvait se regrouper en un seul

De l'idée comme fait, à l'idée qu'on s'en fait !

Des idées platoniciennes, penser que Platon en aurait eu un jour l'idée, serait assurément s'en faire une très mauvaise idée ! ... Raymond Devos, exhibitionniste pudique, virtuose du quiproquo, n'était pas en peine de trouver chaque soir un public nombreux et dévot pour sa branlette féconde, tentant à sa manière, qui certes n'en manquait pas, de nous initier à l'inexorable dérive du sens des mots, à leur plasticité extrême, dès lors qu'en toute fantaisie, nous les emmenons là où ils n'auraient su aller d'eux-mêmes... Prenez l'emblématique expression "à vau-l'eau" devenue, au "fil du temps", auto-référentielle : avait-elle en amont d'autre ambition que d'immortaliser une image bucolique, de décrire ce mouvement, qui s'attarde parfois, comme en suspens, le temps d'un tourbillon hypnotique ... de ce qui va, et s'en va, au fil de l'eau, dans le sens du courant ? ... Ce "sens du courant", qui

Retour à Jérusalem (suite de l'extrait du 16/04/2020)

Pilate voulut pousser Judas dans ses derniers retranchements : - imaginons ! Rome décide de proclamer le galiléen Roi des juifs ... mais pour autant vassal de Rome, tu ne l'as pas oublié, j'espère ? - Comment l'aurais-je pu ? - Bien, as-tu pensé à la réaction des sadducéens ? - Les sadducéens n'attendent aucun messie, ils redoutent jusqu'à l'évocation de cette attente qui dépasse, tu le sais, très largement nos frontières... - Que veux-tu dire ? - Pilate : je veux bien continuer notre conversation à la seule condition que tu ne plaides pas continuellement le faux pour savoir le vrai... - soit, exprime-toi ! - Même s'ils n'en pensent pas moins, le culte des césars leur convient, des lors qu'il ne peut nuire à leur pouvoir sur le temple... - Selon ce que tu dis, Auguste ne fut pas le messie? - Comme je viens de te le dire, ils ne sont pas dupes mais sont près à accepter cette parodie, pour autant que leur pouvoir héréditaire sur le

Retour à Jérusalem (suite de l'extrait du 14/04/2020)...

Un flot d'images, de sons, d'odeurs, de vociférations, de regards hallucinés, de gestes menaçants, refaisait surface dans sa conscience bousculée, le paralysait, lui interdisait de tourner les talons. Seul sur le parvis déserté, il luttait de toutes ses forces pour tenter d'agripper une pensée cohérente, un fil conducteur, une sensation connue, qui lui permettraient de prendre un peu de distance avec ce qu'il venait de vivre dans un état second. C'est alors qu'il revécut, jusque dans les moindres détails, une scène qu'il pensait avoir oubliée... C'était la première fois!... Judas avait alors sollicité un entretien qu'il lui avait accordé sans trop savoir ce qui le motivait. Il revoyait, comme si c'était hier, cet homme étrange, paradoxal, patriote exalté, retors, prêt à toutes les folies, à toutes les compromissions, pour qu'enfin son rêve messianique s'accomplisse, pour que le royaume de David renaisse enfin de ses cendres, plus

Quelque part en Calabre, non loin de Crotone, grande Grèce, début du Vème siècle avant J.C. ( suite du 14/04/2020)

Harassé mais heureux, un peu vieilli avant l'âge il est vrai, Apollonius avait envisagé d'achever ici son périple initiatique ... Ici, c'est-à-dire aux confins occidentaux de la grande Grèce, dans cette nébuleuse sicilo-calabraise où s'étaient réfugiés depuis quelques décennies, tous ceux qui n'auraient su accepter le joug perse sur les côtes orientales, cette tentative de mainmise sur les consciences nouvelles d'un passé qui entendait bien s'attarder, fût-ce aux moyens conjugués de la guerre et de la tyrannie. Pour ce qui concernait son propre destin, c'est en tout cas ainsi que le hasard des rencontres de ces dernières années en avait apparemment décidé ... Fils d'un riche marchand de la côte occidentale d'Asie mineure, il aurait pu tout aussi bien mener une vie tranquille, oisive, consacrée pour l'essentiel à l'étude des enseignements venus du fond des âges, pimentée toutefois par le brouhaha des philosophies naissantes, par c

Jérusalem, début des années 30, par un beau mois d'avril...

Que s'était-il passé ? La cour du palais, lavée à grande eau, déserte, se refusait manifestement à témoigner du chaos de la veille. Complice de ce silence, le murmure familier des rues avoisinantes semblait avoir déjà refermé la tragique parenthèse. Hébété, interdit, ne se décidant pas à regagner ses pénates, il crut entendre ou s'entendre dire quelques mots familiers, comme une petite musique intérieure, insistante : « La vie toujours reprend ses droits!» Mais, dans le silence tumultueux de son esprit, cette formule, de prime abord anodine, lui parut soudain obscène, monstrueuse pour tout dire. De quelle vie s'agissait-il en effet ? De quels droits, quand les plus élémentaires venaient d'être foulés aux pieds? Rien ne s'était déroulé comme prévu... Judas, il venait de l'apprendre, s'était pendu ! Il semblait bien que lui, à tout le moins, ne s'accordait plus le droit de vivre... Extrait de "Rencontres secrètes, le rêve de Judas

Que sommes-nous venus chercher ici-bas ?

La question est biaisée, je vous l'accorde ... et par son présupposé, un brin provocatrice pour beaucoup d'entre nous ... "fermée", tout simplement, dirait-on sans autre émotion dans le milieu froid des sondages qui savent si bien manipuler l'opinion au service de leur commanditaires ... Question pour question, celle que posa la Sphinge à Œdipe, qui conditionne nombre de nos actuelles croyances, "à l'insu de notre plein gré", était-elle bien plus honnête ? Un bref rappel des faits : la sphinge donc, demande à Œdipe, "quel animal commence sa vie à quatre pattes, la poursuit sur deux pour finir sur trois ? La question "ouverte" eut été : qu'est-ce que l'Homme ? Mais le mythe, ne cherche pas une vérité absolue, intemporelle, et qui serait indépendante de notre circonstance ... non, plastique, il se fait à la fois témoin et formateur du psychisme de l'Homme à un moment donné de sa lente et chaotique évolution. Le ré