L'Homme, cette invention!


" ...la mémoire...représente une difficile invention, la conquête progressive par l'homme de son passé individuel, comme l'histoire constitue pour le groupe social la conquête de son passé collectif. Les conditions dans lesquelles cette découverte a pu se produire au cours de la proto-histoire humaine, les formes qu'a revêtues la mémoire à l'origine, autant de problèmes qui échappent à l'investigation scientifique."

Jean- Pierre Vernant dans "Mythe et Pensée chez les grecs", citant Ignace Meyerson, son maître en lucidité et compagnon de résistance, inventeur de la psychologie historique.

JPV est un sacré bonhomme qui a toute mon admiration et ma reconnaissance pour l'immense travail accompli sur ce qui reste, grâce à lui en partie, un chantier prometteur ... les paradoxes chez un homme sont-il le signe d'un grand destin ? ... ancien résistant, libre chercheur de vérité, il ne sut cependant résister aux ukases de l'Ecole, faire, lorsqu'il eut fallu, un pas de coté ... privilégiant une démarche pluridisciplinaire, innovatrice, il n'enfreignit jamais la discipline qui interdit de regarder ce qui se passe à coté ...

Car, s'il avait accepté d'aller fouiner du coté de l'effervescente Allemagne avant qu'elle ne se donne comme un seul homme, transie, uniforme, aux fureurs d'Adolph, il aurait trouvé la réponse à cette énigme qu'il a néanmoins le mérite de poser, en même temps qu'avec beaucoup de dignité, il dépose les armes de la science officielle.

Si donc, d'un pas de géant, JPV avait enjambé le Rhin, il en avait l'envergure ... qu'aurait-il trouvé dans l'effervescence intellectuelle des années 1920 ? un personnage que les vignerons français ont découvert il y a déjà deux ou trois décennies, alors que nos intellectuels continuent à penser peu ou prou le monde et sa complexité comme cette France qui inventa "le jardin à la française" , la chimie léthale au cas où la vie foisonnante, réfugiée en quelque îlot, ferait preuve de résistance ...

Au fond, la France, toute son histoire en témoigne, je dis bien "toute", a horreur de ce qui est naturel ! La science, à la remorque de l'Eglise, n'a-t-elle d'autre but que de la dompter ? Quand pourra-t-elle accorder son pardon à celle qui avait exclu l'homme en vue de sa liberté ?

Rudolph Steiner est, il est vrai, tout bien considéré, un penseur "d'un tout autre tonneau" que les sages écoliers de la rue d'ULM ...et, sans vouloir trop pousser le jeu de mots, je dirais que contrairement à celui des Danaïdes, il a gardé tellement de choses en mémoire que c'en est époustouflant !

Seulement, pour tenter d'aborder sans préjugés l'immense corpus de textes et de conférences de ce très controversé, il leur faudrait revenir à ce moment indifférencié où leur indescriptible élan vital, leur appétit de savoir, de comprendre, était encore vierge de l'empreinte de l'Ecole, avatar de l'Eglise romaine fondée sur les ruines du Capitole...

La relation de l'Homme avec le temps, localisé, rythmique, temporel, fera l'objet d'une prochaine communication.

Plus largement, à chacun d'entre nous, il revient d'abandonner nos croyances, rebaptisées " connaissances" au fil de cet oubli qu'elles nous furent transmises la plupart du temps sans mode d'emploi, décontaminées de leur difficile genèse ...

Etienne Klein, qui ne se paie pas de mots, mais gentiment la tête de ceux qui ignorent leur véritable valeur, fait utilement la chasse à ces évidences dont, bien souvent, nous ne saurions plus démontrer l'évidence.

A celui qui affirme doctement : "La Terre est ronde! ", EK, ce nouveau Socrate incarné en dandy polymathe, pose la question : comment l'a-t-on su ? ... si tu ne sais répondre, ce que tu penses avoir valeur de connaissance est en fait une croyance !...

Il me faudra donc consacrer une étude entière à ce vulgarisateur distingué, qui ondoie non sans une certaine grâce entre humour printanier et rigueurs du Spitz-berg , tous lieux où ses admirateurs les plus chevronnés ont manifestement du mal à le suivre, en témoigne l'applaudimètre qui a souvent un temps de retard pour les saillies intemporelles de l'homme aux deux montres ...

Pour en revenir à la mémoire, son histoire se confond avec la lente évolution psychique de l'Homme qui toutefois ne s'interdit pas quelques sauts brusques dont n'avons plus souvenir. Seul le mythe sait ce qu'il en est ! ... Nous pouvons épier ce phénomène qui survint en Grèce en l'espace de trois siècles, goutte d'eau à l'échelle cosmique.

Entre Homère et Platon, tout ce qui allait de soi hier encore, commença à poser problème.

Pour la plupart d'entre nous désormais, l'âme existe, et notre seul véritable problème à son sujet est de savoir si elle existera encore lorsque nous n'existerons plus ! ...

Pour d'autres, dégât collatéral de la honteuse confiscation de cette question existentielle par l'Eglise romaine, l'âme n'existe pas. C'est une invention, une vue de l'esprit ! auquel, par conséquent, on concède la faculté d'exister mais pas celle de voir!? ...

Reste que si elle n'a pas su s'imposer de manière universelle, elle a désormais toute sa place dans le dictionnaire qui revendique quant à lui cette qualité, ce qui n'était pas joué d'avance !

C'était au temps où Homère chantait ! ... c'était au temps du ci-né-ma muet ! ... comment, dites-moi, l'âme aurait-elle pu faire le sien, et devant quel public ? ... puisque les muses avaient omis de la présenter à Homère ?

Il est vrai que, si, après de longs et terribles apprentissages dans l'obscurité totale, propice à l'ouverture de l’œil spirituel, la transe rythmique, minutieusement, douloureusement intégrée, pouvait rendre l'aède " présent au passé" - nous n'avons pas connaissance des ratés ! ... l'avenir, quant à lui, était réservé à d'autres initiés, formés dans d'autres écoles, les devins ... mais qu'auraient-ils bien pu dire, ceux-là, au temps d'Homère, de celui qui viendrait en temps voulu, de l'individu, ce mutant, seul au monde, mais accompagné de son viatique, en un mot, de son âme, qui attendait son tour sous l'horizon de l'Histoire ?

Vous avez bien entendu relevé une contradiction déstabilisante dans ce qu'il vient d'être dit à propos des devins ... elle n'est qu'apparente, car les initiés ne devaient pas révéler ce qu'ils savaient du futur à ceux qui n'auraient de toute manière pas su le comprendre mais surtout à ceux qui auraient pu en faire mauvais usage. C'est à cet égard le sens de la fameuse et "cinglante" réponse que fit Aristote à Alexandre, qui, en homme de pouvoir, voulait garder le secret sur l'enseignement dont il bénéficia.

A Homère, rien n'était interdit, il pouvait bien parler de la colère d'Achille ou de la description par le menu de la flotte achéenne, rien de tout ce déballage ne changerait le cours de l'histoire.

A la différence du futur, le passé n'est pas réversible! ...

Donc, entre Homère et Platon, tout a basculé ! Et quand vous saurez que, vous et moi, sommes nés de ce grand chamboulement, j'imagine que vous serez un peu plus "présents au passé" ...

Depuis un peu plus d'un siècle, les chercheurs de l'Ecole*, en France, comme en Allemagne, notamment, ont fait un travail remarquable. Ils ne se sont pas contentés de commenter les fouilles de la Grêce des palais et des temples, de débarasser les greniers des copies mitées, des exégèses tardives, partisanes, soporifiques, de textes en lambeaux qui se refusèrent manifestement à des mains qu'ils savaient si grossières ... non, par différents moyens, parmi lesquels trône le souci de vérité, ils sont allé chercher ce qu'il avait bien pu se passer sous le crâne des grecs puisque, c'est du moins leur opinion, c'est là que tout se passe...

Alors, en quelques mots, voici un condensé de leurs spectaculaires découvertes. Je dis "spectaculaires" parce que c'est à notre naissance que nous assistons...

Homère n'avait pas de mots pour décrire l'âme !... d'aucuns pourraient en déduire qu'il trouvait cette idée tellement absurde ou bien que sidéré par cette apparition, les mots lui avaient manqué ... qu'ils se détrompent ! il ne s'agit pas là de décrire une de ces émotions qui vous submerge au point de ne plus trouver ses mots, de rester la gueule béante, mais du langage chirurgical, rationnel, efficace, d'un philologue d'outre Rhin ** qui, comme tous les siens - je parle des philologues - loin des basse-cour où l’œuf le dispute à la poule conceptualise la circularité hautement réversible entre langage et conscience .

L'expression : "Il a l'âme d'un héros !" n'aurait donc eu aucun sens pour Homère, c'est peut-être la raison pour laquelle l'on préféra parler d'étoffe, bien que, nul n'est parfait, elle puisse à son tour se froisser ...

A l'appui de la thèse de Bruno Snell, force est de constater que le mot "conscience" n'était pas disponible non plus, et pour un bon moment ! ... jusqu'à ce que vingt cinq siècles plus tard, un dénommé Malebranche pris conscience de cette incroyable pudeur qu'avait eu la conscience à parler enfin d'elle-même ...

Ce qui, accessoirement, peut sauver Achille de notre jugement anachronique !

Mais, le temps qu'Homère eût eu récité ses quelques vingt cinq mille vers, sans compter les impros, certains avaient fini par s'endormir, quand d'autres avaient choisi de voter avec les pieds, de migrer vers ces théâtres rapidement édifiés à l'aide de quelques planches, à la frontière des deux mondes, où l'on tentait dans le coude à coude des émotions nouvelles, d'oublier les héros, le cosmos bringuebalant des dieux, pour s'intéresser aux promesses du nouvel ordre qui avait su résister aux démons du passé, aux perses retardataires, interloqués par ces grecs qui, selon toute apparence n'avaient plus de roi, refusant pour autant de se prosterner devant le leur ...

Ces gens bizarres, selon le roi perse, qui aimaient se défier en des joutes interminables au cours desquelles chacun sortait un peu grogui mais somme toute grandi, comme sculpté par le couteau précis des arguments des Phidias de la parole...

toute effervescence sous le patronage énigmatique de Dionysos, le dieu nouveau qui pousse un peu loin le bouchon et donne chaud aux oreilles, le bâtard, le sang mêlé, né de Zeus et de la mortelle Sémélé, l'étranger, le loufoque, le différent, bref, celui qui le premier avait donné à voir, libre du regard des autres, ce que voulait dire "être moi!" ...

Une fois la fête terminée, et les lampions éteints, l'émotion partagée sur les bancs du théâtre, chaude réminiscence de l'âme du groupe des temps anciens, laissait place au retour sur soi, à la difficile urgence d'avoir à penser sa vie...

Alors, exit l'île des bienheureux, esseulée dans l'Hadès, réservée à quelques héros parmi les plus grands, submergée par le tsunami du besoin démocratique d'un salut individuel ...

De cyclique et rassurant, en ceci qu'il revient à intervalle régulier et renouvelle ce qu'il détruit, le temps devient linéaire, inquiétant, fuyant ... un peu comme notre vie ! ... l'acquisition de la mémoire temporelle s'accompagne, non pas, curieusement, d'un émerveillement, d'un appétit de savoir son passé, mais d'une volonté farouche de sortir de ce temps délétère, de ce temps des hommes qui s'enfuit comme l'eau que la main ne peut retenir, du devenir, de ce temps héraclitéen qui s'écoule inexorablement...

Insouciant ou presque, le temps où les grecs n'avaient nulle responsabilité de leurs passions, de leurs exploits, de leur envie, de leurs crimes aussi ... pas plus de leur gloire, lorsqu'ils auraient pu y prétendre, comme aux jeux ... mais Pindare est là qui veille, et c'est le dieu qui triomphe ! ...

Chez les orphiques, chez les pythagoriciens, dans le mythe, et bientôt au grand jour de la philosophie (au demi-jour serait plus exact, "step by step", tout le monde n'est pas admis à la révélation), l'enfer migre, et du sous-sol, s'invite sur le plancher des vaches ...

C'est tout le sens ignoré et grandiose du mythe d'Orphée et Eurydice qui fera l'objet d'une prochaine communication ...

En attendant Platon, un travail souterrain de purification de l'idée que nous nous faisons des dieux prépare, avec d'infinies précautions, beaucoup d'atermoiements, dans le plus grand secret, les âmes à la destitution des dieux du peuple au profit du dieu ensorcelé, de l'homme-dieu ...

"Nul n'entre ici s'il n'est géomètre!" ... c'est dire si cette invention de l'esprit humain , dans les deux sens du terme, en dit long sur les nouvelles représentations de ceux qui savent et préparent le monde à venir ... le pouvoir change de main, et dans ses lignes intimes, la verticale fait place à l'horizontale : le pouvoir de l'anax, le tout puissant roi-prêtre mycénien, migre vers l'agora ... sans trop se presser toutefois, il lui fallait quelques siècles ! ... un seul nom nous suffira pour en dire long sur cette métamorphose à une époque ou le nom d'un individu disait tout de son âme : "Anaxagore" de Clazomènes, prophète de la raison cosmique, du "noûs" comme disent ceux qui veulent rester entre eux, entrevue sur les cotes d'Asie mineure, et qui vint initier l'indolente Athènes, à la philosophie ...

Pour en arriver à un tel constat, que d'efforts ! que d'intelligence ! que d'intuition ! que d'aveuglement aussi ! car autant de superbe ! ...

Il est vrai que le philologue, il l'avoue peu souvent, ne peut exercer son talent que sur la partie la plus récente de notre longue histoire, la plus ténue, celle de l'écrit ...

Alors, à leur décharge, me vient une question sous forme d'image : comment pourriez-vous décrire cette ligne de chemin de fer désafectée qui ne se donne plus à voir que dans ses derniers mètres, ceux qui viennent mourir à vos pieds, sous votre nez ? ...

Comment reconstituer son histoire, ses lointaines sinuosités, tout ce qu'elle charia à son rythme hypnotique, mémorisé de longue date, de biens palpables et impalpables, de peines et de joies, de retrouvailles, de rendez-vous manqués ... si, pour vous en faire une idée, l'on vous confine au seul terminus ?

Tout juste pourrez-vous apercevoir ces deux rails qui, pudiques, semblent vouloir se rejoindre au delà des herbes folles ...

Une chose m'intrigue : aucun de ces chercheurs admirables, c'est mon point de vue, n'eut l'idée, devant cette conjonction d'indices, de faits, devant ce qui pourrait ressembler à une nouvelle création, d'aller voir, sans idée préconçue, sans s'en vanter non plus, inutile à ce stade de se mettre en danger! ... du coté des mythes, d'aller voir si, par le plus grand des hasards, ceux-là n'auraient pas quelque chose à dire sur l'époque qui, tout à la fois, les vit naître, et qu'ils virent naître?

Eh bien non, jamais, ô grand jamais, ceux-là mêmes qui sont si prompts à s'extasier devant un tesson de poterie rejeté par un éboulis récemment embourgeoisé, ne sauraient risquer leur carrière pour cette idée saugrenue qu'un endroit existe où ils pourraient contempler la poterie dans son intégrité, reprenant forme et couleurs ...

Cette période fabuleuse, cette nouvelle création, où notre psychisme s'apparaît à lui même, où notre conscience reste interdite devant le miroir tendu par une main mystérieuse, n'ose tout d'abord s’apercevoir, pour très vite, se prendre elle-même pour objet ... cette période où l'individu, ce mutant, lorsqu'il dit "moi", ne dit pas "moi" comme vous et moi, et ne saurait décrire cet étrange sentiment que cet autre lui-même, s'est installé à demeure sous la voûte de son crâne ...

Plusieurs mythes décrivent cette nouvelle relation au cosmos et à soi-même, ce transfert de souveraineté ... plus particulièrement ceux qui nous donnent à voir sans filtre et sans légende, faisant fi de nos pauvres concepts, froids, étriqués, la mise en pièces de Dionysos Zagreus et le rapt de Perséphone.

Commençons, si vous le voulez bien, par le moins gore ! ... je vous propose donc d'aller faire un tour du coté de la jolie prairie ou Perséphone cueille innocemment quelques fleurs, plus particulièrement des narcisses ...

A cet instant, si l'on veut tenter de comprendre quoi que ce soit au drame qui va suivre, ne pas trouver refuge dans un ricanement impuissant, il me faut vous parler du char et de sa présence significative dans la plupart des grands textes fondateurs de nombre de civilisations ... ces textes n'étant, cela fut oublié, que le récent "arrêt sur image" de traditions orales multi-millénaires.

Si, au détour d'un texte, il vous semble entendre ce bruit particulier, sourd et qui se fait désormais cliquetis, grinçant, progressif, c'est qu'un char approche ... Alors, prêtez l'oreille, car il va nécessairement se passer quelque chose d'important pour l'humanité, une nouvelle mutation, de celles qui emmènent l'Homme vers son étrangeté ...

Pourquoi un char me direz-vous ? ... Le monde suprasensible, qui a le sens de la communication, s'exprime au moyen d'images tirées de notre monde sensible lorsque l'un ou l'autre des nôtres se montre sensible. S'il se décidait de nouveau à communiquer avec nous, ce qui n'est manifestement plus son projet ... il en va de notre liberté! ... peut-être choisirait-il un autre objet transitionnel ? je vous laisse choisir ...

Quels sont donc ces chars qui signalent à l'homme curieux des origines de son espèce les étapes de sa lente et magistrale construction ? ...

Du plus secret au moins connu, en voici donc une première liste, non exhaustive :

Tout d'abord, le Merkaba des anciens hébreux : "... on ne doit pas aborder la Maasse Merkaba, l'enseignement du char céleste, des formes d'existences de Dieu, en présence même d'un seul auditeur, à moins qu'il ne soit un sage et un initié." C'est sur ce char aux roues de feu qu’apparaîtra le messie, le fils de l'homme, à la fin de ce temps, annonçant le nouvel éon ! **

Alors, dans cette course à l'innovation, suivent ou précèdent : le char fou de Phaeton, gros de catastrophes cosmiques, de nouveaux départs aussi, peut-on lui attribuer la fin des dinosaures et la possibilité d'un homme ? ... le char de Krishna dans la Bagavad Gita, qui annonce, au grand dam de notre morale humaine trop humaine, comme des atermoiements de son élève Arjuna, le second amour, celui qui n'est pas réservé uniquement à ceux de son sang; enfin dans la dernière course, en nocturne, le char de Platon où l'âme, désormais aux commandes, a droit à un ou plusieurs tours de rattrapage lorsqu'elle a misé sur le mauvais cheval qui ne songe qu'à emmener tout l'équipage dans l'ornière de la sensualité...

Ainsi initiés aux courses de char, quittons le bruit et la fureur des compétitions, pour revenir à Perséphone, koré pour les intimes, jeune fille en fleurs qui, tout à la contemplation candide de son image jamais aperçue, n'a pas entendu, ou trop tard, le grondement annonciateur du char de Pluton, surgi soudain de terre, et donc des enfers ...

Au passage, le mythe établit une relation directe, comme de cause à effet, entre ce que l'on appelle désormais le stade du miroir et l'enfer où nous rejoindrons donc quelques singes et autres pies malicieuses ...

Cette mise en scène d'un mystère cosmique où se jouait l'avenir du microcosme, le nôtre par conséquent, ne se donnait pas en spectacle aux innombrables "tenus à l'écart" des mystères ... réservée aux célébrations solennelles d'en l'entre-soi ritualisé des mystères d'Eleusis, elle ne souffrait d'aucune divulgation.

Eschyle, accusé de ce crime, seul drame qu'il n'ait songé à écrire, mais il est vrai que les siens abordaient peu les problèmes trop personnels, faillit le payer de sa vie. Chez les anciens grecs, chez les hébreux de ces générations, chez ces gens-là, Monsieur, on ne parle pas ... on ne divulgue pas! ...

Socrate, qui, dit-on, résuma la philosophie à une "mortaumachie", ne songea jamais à "sauver sa peau" comme disent ceux qui pensent qu'elle vaut mieux que l'âme, à se réfugier dans quelque lieu sanctuarisé, ni même à se défendre devant le tribunal des dévots de son époque, de cette inquisition laïque qui, en d'autres lieux, et de toute bonne foi, lapidaient les femmes adultères.

Bref, revenons au mythe !

Si l'on tente d'épier ce qui s'est passé en Grèce, entre Homère et Platon, il apparaît qu'en l'espace de trois ou quatre siècles, l'on passe, ce sont mes mots, n'en déplaise à Boileau, de "l'homme extérieur" à "l'homme intérieur"!

L'équivalent microcosmique de Pluton, c'est le corps humain ! Perséphone, fille de Zeus et de Demeter, donc du ciel et de la Terre, c'est le psychisme de l'homme terrestre d'avant le rapt, délocalisé, non prisonnier du corps, ne revendiquant pas sa singularité, ni même son existence, n'ayant pas encore entendu l'appel d'Apollon : "connais-toi toi même!" qui entre singulièrement en resonance avec le "va vers toi!" des anciens hébreux.

L'observation des relations entre le macrocosme et le microcosme fut partout une exigence pour les peuples qui nous ont précédés; chez les hindous, subtils philosophes, cela a donné les Upanishads; chez les grecs visionnaires à l'esprit plastique, tous ces mythes si colorés; quant aux hébreux, la relation directe se fit en ce temps-là par le biais des prophètes.

La suite du mythe, chacun la connaît ou peut y accéder facilement : Demeter finit par obtenir gain de cause, enfin, très partiellement, puisque Perséphone n'est autorisée à quitter l'enfer qu'à mi-temps.

A ce point, il est très intéressant de constater que tous ceux qui se disent libérés de l'empreinte de l'Eglise romaine, lisent pourtant ce mythe à l'envers, car lorsque Perséphone quitte l'enfer, c'est par la mort ... dans les nouvelles représentations des grecs, et qui coincident avec celles réactualisées en Inde par Gautama dit "le Bouddha", l'enfer est ici bas, et il convient de ne jamais y revenir, ce à quoi fut condamné Orphée qui s'était retourné au dernier moment sur son âme terrestre, sur Eurydice.

Mais cette méconnaissance de l'empreinte de ceux qui se disent libérés de la pastorale romaine deux fois millénaire, à commencer par la réaction de Voltaire pris en défaut d'incohérence devant le tsunami de Lisbonne, mérite d'être mise à jour, ce qui fera l'objet d'une prochaine communication.



*
Jean-Pierre Vernant
Jacqueline de Romilly
Roberto Calasso
Pierre Hadot
Jean-Pierre Vesperini
Jean-François Ricard
Bruno Snell


**
Les grecs avaient leurs idiots, en général ils venaient d'Abdère, les hébreux situaient les leurs en Galilée, au moins selon le Talmud de Babylone ... Le galiléen nommé Jésus, venu à pied de sa province réputée être celle des ignorants et des sots, et plus encore des sangs impurs, avait oublié, sot qu'il était, c'est peu de le dire, mais plus encore ignorant des conventions, de signaler son approche au moyen de ce char ...

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